Interview de Jean-Pierre Page par Dimitris Konstantakopoulos
Dans une série d’entretiens avec des experts connaisseurs de la situation internationale, en mettant l’accent bien sûr sur la région toujours explosive de l’Asie occidentale, nous avons parlé avec des observateurs très bien informés, parfois même des acteurs, comme James Galbraith https://www.defenddemocracy.
Aujourd’hui, nous avons décidé de vous emmener faire un tour au cœur du « Vieux Continent », en France, la « mère » de la démocratie européenne moderne et « laboratoire politique » de l’Europe, comme l’a qualifiée dès le XIXe siècle Karl Marx. Ancienne puissance coloniale, mais aussi symbole de l’indépendance et de la souveraineté européennes tout au long de l’après-guerre, jusqu’à ce qu’elle aussi soit « avalée » par la « mondialisation néolibérale », Maastricht et l’augmentation dramatique de l’influence du Capital financier et des lobbies israéliens et de l’OTAN.
Nous parlons aujourd’hui avec Jean-Pierre Page, vétéran cadre dirigeant du mouvement de gauche français et ancien membre de la direction du plus grand syndicat français, la CGT. Un homme ayant une connaissance très approfondie du mouvement syndical français et mondial. Et surtout, un fin connaisseur, un excellent « baromètre » de la situation française et internationale.
Notre interlocuteur a été membre de la direction de la CGT de 1981 à 2000 et, entre 1990 et 2000, responsable du Département international de la Confédération générale du travail (CGT), le plus grand syndicat ouvrier français, ainsi que directeur de l’Institut de formation et de recherche Louis Saillant de la CGT. Il a été membre du Comité central du Parti communiste français (PCF) de 1981 à 2001 et membre de la Commission des affaires étrangères du Comité central (1990-2001). Il a participé et/ou organisé des dizaines d’événements politiques et culturels à travers le monde. Il a enseigné à la New York University et à la Cornell University sur la situation sociale et syndicale de la France et est le directeur de la revue théorique La Pensée Libre. Il a écrit des livres sur la Chine, la Russie et le syndicalisme français, publiés dans 15 pays. Il a également écrit près de la moitié de l’ouvrage collectif « Les Maîtres du monde. Aux dessous des guerres dans les Balkans », auquel ont aussi contribué Noam Chomsky et Samir Amin.
La principale caractéristique de la situation politique française est le rejet extrême, le mépris envers toute la classe politique du pays et, avant tout, envers le président Macron, affirme-t-il. 80 % des Français déclarent dans les sondages qu’ils ne veulent même plus le voir. Ils le détestent à ce point.
La politique de la France actuelle au Moyen-Orient et vis-à-vis de l’OTAN marque une rupture avec toute la tradition de la France gaullienne. « La France s’est éteinte, la diplomatie française s’est éteinte, nous parlons d’une éclipse mondiale de la France et d’une Europe qui s’est aussi éteinte », nous dit-il de manière frappante, tout en jugeant « très inquiétant » l’effondrement du niveau politique et intellectuel dans tout l’Occident et parmi ses élites dirigeantes, y compris dans la France de Macron et l’asile de fous de Trump.
Les crimes d’Israël à Gaza (pires que ceux des nazis, selon lui), ont commencé, même avec un très grand retard, à provoquer les premières fissures dans l’environnement fortement prosioniste qui prévalait dans la sphère politique et médiatique française. La jeunesse, révoltée, se tourne désormais vers la gauche de la « France Insoumise » de Mélenchon, la seule qui, avec l’extrême gauche, défend courageusement les Palestiniens, d’autant plus que l’extrême droite de Le Pen et Bardella, comme toute l’extrême droite mondiale, s’est révélée être un partenaire privilégié du régime Nétanyahou.
Parallèlement, comme dans d’autres pays européens, les travailleurs commencent à se mobiliser pour bloquer les livraisons d’armes à Israël. Peu à peu, un mouvement international émerge depuis la base. Les directions syndicales supérieures – qui soutiennent mais ne peuvent pas dire qu’elles soutiennent Israël – regardent tout cela d’un mauvais œil, mais ne peuvent pas faire grand-chose. Elles sont obligées de condamner le génocide.
Face au mouvement croissant de solidarité avec les Palestiniens, le gouvernement Macron réagit par une intensité de répression sans précédent. Plus d’un millier de membres et cadres de la CGT, ainsi que la chef du groupe parlementaire de la « France Insoumise », ont été convoqués pour répondre de l’accusation de « soutien au terrorisme » pour avoir critiqué Israël. Plus l’ « Occident collective» s’engage profondément dans la guerre contre le reste du monde, plus nous nous éloignons, en apparence, du régime de la « démocratie bourgeoise » tel que nous l’avons connu après la Seconde Guerre mondiale.
Voilà ce que nous dit notre interlocuteur, et bien d’autres choses encore très intéressantes. Mais ne vous disons pas tout, pour ne pas risquer, en ces temps de paresse où nous vivons, que vous lisiez seulement notre introduction et ne regardiez pas l’interview.
Traduit du grec par Christian Haccuria