Annulation de la Dette africaine ou la fable du pompier-pyromane

A l’heure où l’humanité entière est en train de réaliser ses limites et son extrême fragilité face à la pandémie du COVID-19, l’on aurait pu s’attendre à plus d’humilité de la part des spécialistes du mensonge international.

L’affront lancé au monde par cette pandémie doit nous inciter à opérer des changements substantiels de paradigme et du mode de société que nous voulons. Au contraire, c’est avec stupéfaction que les dirigeants du monde dominant se sont illustrés par une valse de déclarations cacophoniques et tonitruantes au sujet de la Dette africaine destinées à «aider» l’Afrique à faire face au ravage annoncé du COVID-19, en appelant, tantôt à l’annulation des intérêts de la Dette, tantôt à une annulation massive de la Dette ou pour d’autres à un moratoire sur les remboursements en cours.

D’abord, le 23 mars 2020, c’est le président de la Banque mondiale, David Malpass, puis, le 25 mars 2020, c’est conjointement que la Banque mondiale et le FMI –deux organisations multilatérales, non démocratiques et au service des puissances occidentales –appelaient à un allègement de la Dette africaine.

On retiendra surtout les sorties médiatiques les 13 et 14 avril 2020 du président français, Emmanuel Macron, à latélévision française puis à RFI, canal historique par lequel s’expriment les dirigeants français aux colonies d’Afrique, d’appeler à l’annulation massive de la Dette africaine en accord avec la Banque mondiale, le FMI et surtout le Club de Paris, encore une autre structure non démocratique et informelle. Ce trio qui n’est d’ailleurs pas à sa première annonce d’annulation de la Dette, disait-on «historique», n’a fait que perpétuer la domination dans les faits.

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Sous les faux airs de générosité, il s’agit en fait d’une cynique farce qui se joue au vu et au su de tous car ce sont ces organisations multilatérales et la Françafrique qui sont responsables du chaos social et sanitaire dans lequel est plongé l’Afrique et qui l’a complètement désarmé face à la pandémie du COVID-19. Naturellement, l’existence des régimes anti-peuples, corrompus et des élites «compradores», qui en sont les principaux bénéficiaires, font partie de la définition du sous-développement.

Il convient de rappeler que les relations entrel’Afrique et les institutions de Breton Woods sont faites de scandale et de perfidie. Obnubilées par le remboursement des créanciers depuis les années 1980, les Institutions financières internationales (IFI) ont imposé à toute l’Afrique la même médecine du cheval par des plans d’Ajustements structurels (PAS) drastiques qui se caractérisent par:

•une réduction brutale des financements des secteurs de santé, d’éducation, de logement et des infrastructures de base;

•des coupes dans les budgets sociaux et accentuant en même temps la libéralisation de l’économie;

•la suppression des barrières douanières, la dérégulation nationale et la privatisation des entreprises;

•l’instauration des impôts injustes comme la TVA et la dévaluation des monnaies locales. Ligue Panafricaine-UMOJAhttp://lp-umoja.comcontactlpu@lp-umoja.com

Est-il, ainsi, étonnant qu’au bout de 40 ans de mise en coupe réglée des économies africaines par les IFI et à l’heure où le COVID-19 exige des comptes:

•que la moyenne du nombre de médecins (généralistes et spécialistes confondus) pour 10.000 habitants est de 3,4 (l’écart par pays allant de 0,2 à 21,6) contre une moyenne mondiale de 14,9 (30,4 pour les pays à haut Indicateur de développement humain (IDH));

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•que le nombre de lits d’hôpitaux pour 10.000 personnes est de 12 contre 28 au plan international (55 pour les pays à haut IDH);

•que l’IDH pour l’Afrique subsaharienne est de 0,541 contre une moyenne mondiale de 0,731?

Pompier-pyromane, disions-nous! Quand on a un tel bilan, l’annulation de la Dette ne relève pas de «l’aide» mais d’une réparation et d’un droit vis-à-vis du peuple meurtri et sacrifié sur l’autel des remboursements des Dettes odieuses et illégitimes. Car les victimes des dictatures africaines, sont aussi celles des Institutions financières internationales.

Le pompier-pyromane, soucieux du tapage médiatique, tire son idéologie d’un économisme rigoureux, d’un chauvinisme fanfaron et d’une doctrine discriminatoire des droits de l’homme. Alors que nous savons que les pays africains versent annuellement aux cosmocrates et aux classes dirigeantes des pays du Nord plus de valeur qu’ils n’en reçoivent sous forme d’investissements, de crédits de coopération, etc.

Par conséquent, le garrot de la Dette est l’arme de domination la plus puissante dont dispose le Nord sur le Sud.

Aminata Traoré rappelle une tradition africaine dans son livre magnifique, intituléL’Etauau sujet de la dette: la dette se traduit en bamananw par «juru», c’est-à-dire la corde. Etre endetté, c’est avoir la corde au cou. Ainsi, l’un des vœux les plus chers pour un africain, est de rejoindre sa dernière demeure sans laisser de dette à ses héritiers. S’acquitter d’une dette est une affaire d’honneur pour un Africain, encore faudrait-il qu’elle soit juste!

Mais, pour nous, Ligue Panafricaine –UMOJA, le discours du président Thomas Sankara, tenu le 29 juillet 1987 à Addis-Abeba lors du 25èmesommet des chefs d’Etat, reste le bréviaire et l’horizon politique essentiel sur la problématique de la Dette.

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En voici un extrait: «je voudrais que notre conférence adopte la nécessité de dire très clairement que nous ne pouvons pas payer la dette. Non pas dans un esprit belliqueux ou belliciste. Ceci pour éviter que nous n’allions individuellement nous faire assassiner. Si le Burkina Faso tout seul refuse de payer la dette, je ne serai pas là à la prochaine conférence. Par contre, avec le soutien de tous, dont j’ai besoin…» (rappelons que Thomas Sankara fut assassiné près de trois mois après avoir prononcé ce discours, le 15 octobre 1987).

Pour notre organisation, la Ligue Panafricaine –UMOJA, à la suite du président Thomas Sankara, nous militons aussi pour un front uni contre la Dette. Et le premier noyau incompressible de ce front est la création d’un Etat fédéral africain!

Fait à Cotonou, le 19 avril 2020
Le Bureau Politique Provisoire de la Ligue Panafricaine -UMOJA