Une catastrophe démographique et géopolitique: Vers une Grèce sans Grecs !

Par Dimitris Konstantakopoulos

Partie 1 et partie 2 

En Grèce, les retraités meurent plus rapidement, l’espérance de vie et l’état de santé général de la population diminuent. Pour la première fois depuis la fin de la guerre civile (1949), les gens réfléchissent à deux fois avant d’ avoir des enfants. Les jeunes Grecs instruits émigrent, privant ainsi le pays du capital humain nécessaire. Les Grecs paient pour former certains des meilleurs médecins d’Europe, qui vont ensuite travailler dans les hôpitaux allemands. La population totale de la Grèce diminue en termes absolus et le pourcentage de Grecs d’origine et de conscience au sein de la population est également en baisse. 

Une population qui vieillit, matériellement démunie, qui se sent moralement trahie, dans un désespoir et une insécurité totale, sans aucun droit ni aucune protection, vit aujourd’hui en Grèce ! 

Même si les méthodes sont différentes, ce qui arrive aux Grecs présente quelques analogies avec ce que les Romains auraient fait aux Juifs en l’an 60. 

Il est également assez étonnant que les résultats des politiques de la Troïka soient assez similaires, même si les méthodes sont très différentes, aux plans d’Hitler pour la Grèce, tels que décrits par Winston Churchill dans ses Mémoires. Le projet d’Hitler était de transformer la Grèce en une zone de vacances pour les Ariens et de transporter les Grecs au Moyen-Orient.

 L’establishment occidental, et pas seulement les Allemands, a toujours été profondément divisé dans son attitude envers les Grecs et la Grèce, reflétant d’une certaine façon aussi sa division entre son aile plus démocratique et son aile plus totalitaire (cette querelle se reflète d’une certaine façon dans la façon différente dont Oxford et Cambridge voient la démocratie grecque antique et l’empire romain). 

Il y a toujours eu une forte attitude philhellénique, mais aussi une forte attitude de “haine des Grecs” (comme celle du Premier ministre britannique Disraeli) en Occident. Quant à Samuel Huntington, l’idéologue de la “guerre des civilisations”, il classe essentiellement les Grecs parmi les “nations ennemies” au même titre que les Russes. Les Chrétiens Orthodoxes sont pour lui le deuxième pire ennemi après les nations islamiques. 

Coup d’Etat 

L’ensemble du programme grec constituait une violation flagrante des principes fondamentaux de l’ordre constitutionnel grec (qui fait partie du droit européen), des principes fondamentaux sur lesquels l’Union européenne a été fondée et des dispositions clés du droit international. 

Selon certains spécialistes, les dispositions de ce programme clairement néocolonial n’ont d’équivalent dans aucun des programmes du FMI appliqués dans les pays du tiers monde. (Pour une analyse approfondie des questions juridiques et même de “changement de régime”, le lecteur peut consulter le discours de l’un des plus grands spécialistes européens du droit constitutionnel, le professeur Kasimatis, ici) 

Ce programme a été appliqué contre la volonté directe des citoyens grecs, qu’ils ont exprimée de façon claire la seule fois où ils ont eu l’occasion de l’exprimer, lors du référendum de 2015. 

Afin d’imposer ce programme, les principales puissances et institutions européennes, le FMI et les hommes politiques grecs qui ont collaboré avec eux, ont utilisé des méthodes de fraude, de chantage, de pression politique et économique, toutes inacceptables en général et au sein d’une Union soi-disant démocratique d’États, de peuples et de nations égaux, en particulier. Tous les accords signés par les gouvernements grecs pour appliquer le programme de sauvetage ont été le résultat de la coercition et de la violation des principes fondamentaux de l’ordre démocratique national et international. 

L’imposition du programme grec était un coup d’État, mais un coup d’État au sens de Carl Schmitt, qui visait à établir un nouveau régime, d’abord en Grèce, puis dans toute l’Europe.

 Les institutions démocratiques ne sont plus qu’une pure forme en Grèce depurvu de vrai signification, car le programme a aboli les principes de la souveraineté populaire, nationale et étatique, du moins en matière de politique économique, la capacité de la société grecque à se reproduire et les bases économiques de la démocratie parlementaire. En effet, il a transformé la Grèce d’un État-nation capitaliste européen habituel et d’ une “démocratie parlementaire” habituelle en une nouvelle forme de colonie, une colonie de la dette de la Finance internationale gérée par le biais des institutions européennes et du FMI.  

Au cours de l’été 2015, les créanciers ont proposé au gouvernement grec un nouveau programme de plusieurs milliers de pages en anglais. Le programme a été traduit par des programmes de traduction automatique en grec en deux jours et a été voté en loi en deux jours supplémentaires. La même procédure a été suivie au printemps 2006.

 C’est exactement ce qui fait de l’expérience grecque une opération d’importance fondamentale pour la transformation du régime social et politique occidental, représentant une coupure nette avec les principes de Souveraineté Populaire et Nationale, sur lesquels les régimes occidentaux étaient basés, au moins en théorie, après la Révolution Française. 

Tout cela ne peut guère être considéré comme une “coïncidence” ou un accident. Les architectes du traité de Maastricht semblent avoir pris en compte un tel scénario et la manière de l’utiliser, lorsqu’ils ont introduit dans le traité des clauses interdisant la solidarité de l’Union envers ses membres. Goldman Sachs a également joué un rôle essentiel depuis le tout début jusqu’à la création de la bulle de la dette grecque, avec ses swaps grecs. 

Kafka en action : Une expérience “anthropologique” profonde 

Pour qu’un changement de régime soit stable, il doit produire les êtres humains qui l’accepteront, même si accepter cela signifie accepter passivement la mort de leur pays, de leur nation et, enfin, mais seulement finalement, leur propre mort. Une procédure similaire transformant un être humain normal en un être priant pour sa propre mort est décrite par Kafka dans son chef-d’œuvre Le Procès. 

Cela a été fait en Grèce avec la diffusion de la peur et de l’hypothèse de la mort, plus la culpabilité, produisant ainsi une dépression et non une révolte, dans les premières années d’application du programme. Il a également été fait par l’utilisation massive de la confusion et par l’ utilisation “inverse” des identités, comme l’utilisation des socialistes pour détruire la société ou des “nationalistes” pour détruire la nation. Le triomphe est venu en 2015, avec la manipulation et l’utilisation des chefs de la Révolte pour imposer le programme, dans une opération qui a eu pour résultat un coup moral et psychologique énorme sur la confiance en soi et a sa possibillite de devenir maître de son destin de la population. La défaite, la capitulation et la trahison ont tué l’Espoir en faisant dominer les sentiments de honte, de désespoir et de l’ attitude “Chacun pour soi”. 

Le peuple grec a reçu l’un des pires coups psychologiques et moraux de sa longue histoire avec l’imposition de ce programme puis par la trahison du parti SYRIZA, qu’il avait chargé de défendre son pays. L’ ame de la nation grecque a reçu un coup quasi mortel, mais nous pensons que ses racines sont toujours vivantes. Mais bien sûr, la Nation reste décapitée pour l’instant, sans dirigeants, sans forces, sans intellectuels pour articuler sa Vérité et lutter pour ses Droits. 

Les conséquences géopolitiques de l’ “expériment” grec 

Les Européens ont mobilisé des centaines de milliards d’euros pour mettre en œuvre ce programme, mais moins de 5 % de cet argent est resté en Grèce, la majeure partie ayant servi à rembourser des banques allemandes, françaises, belges ou italiennes. 

En détruisant la Grèce et en lui faisant payer toute sa dette, l’Europe a acheté quelques années de pseudo-stabilité financière, ses banques ont évité des pertes, même l’Allemagne a eu un bénéfice net du programme de sauvetage de la Grèce, tandis qu’il en est de même pour la BCE qui a spéculé contre un Etat membre de l’Union en difficulté ! 

Mais de tels gains financiers, bien que très importants en soi, ne suffisent probablement pas à expliquer une opération d’une telle ampleur et des conséquences politiques, géopolitiques et “idéologiques” énormes. 

La finance internationale, directement responsable de la crise bancaire de 2008, a su non seulement éviter de subir des pertes mais aussi transformer ses dettes en dette souveraine européenne et sa propre crise en une crise de l’UE, entraînant ainsi une sorte de “guerre civile” à l’intérieur de l’Europe. Une telle guerre civile, inter-européenne, était et reste l’arme privilégiée de l’Empire des Finances et des Etats-Unis pour dominer l’Europe (dans le passé, elle était aussi l’arme principale de l’Empire britannique). L’Europe semble aujourd’hui avoir deux voies devant elle, soit accepter de se transformer en “Empire” totalitaire, comme José Barroso l’a un jour appelé, soit être détruite. 

La Grèce n’est pas si importante économiquement, mais c’est un pays clé en termes géopolitiques. Depuis les Croisades, toutes les campagnes occidentales contre l’Orient islamique ou russe ont dû commencer par le contrôle de l’espace grec. C’est pourquoi la défaite grecque représente aussi une victoire indirecte, encore très importante, du “parti de guerre” extrémiste au sein de l’establishment occidental, en organisant ses campagnes contre l’Iran, la Russie et la Chine. Les bases militaires américaines couvrent désormais à une vitesse étonnante l’ensemble du territoire grec. La Grèce et Chypre sont devenus, dans une large mesure, les satellites d’Israël, contre la volonté du peuple grec. 

Beaucoup de gens sont enthousiasmés en Europe, et en dehors de celle-ci, par la perspective de voir l’Union européenne dissoute, compte tenu de ses politiques. Pourtant, comme l’exemple de l’Union soviétique aurait dû nous l’apprendre, c’est une chose de se débarrasser d’une structure qui ne vous plaît pas, mais le plus important est ce que vous mettez à sa place. 

La dissolution de l’Union européenne peut présenter certains avantages étant donné son pouvoir d’oppression sur les nations européennes, mais au total, et dans les circonstances actuelles, sa dissolution entraînera très probablement la multiplication d’une galaxie de petits États, rivalisant entre eux et incapables de résister à la pression des deux superpuissances occidentales (la finance et les États-Unis). 

Après la défaite de la gauche en 2015, le mécontentement a alimenté la droite radicale en Europe, ce qui est plus approprié si les choses évoluent vers une dissolution de l’UE. Mais, s’il s’est avéré si facile pour les forces de l’establishment occidental de micro-contrôler et de manipuler les dirigeants d’un parti comme SYRIZA, il sera beaucoup plus facile de faire de même avec les forces de la “droite radicale” européenne, canalisant ainsi le mécontentement social et national vers les ennemis extérieurs, les autres pays européens, l’Islam aujourd’hui, la Russie ou la Chine demain. Le fait que Nétanyahu entretienne d’excellentes relations avec 22 des 25 plus grands mouvements de la droite radicale européenne et qu’il dirige pratiquement la politique américaine sous Trump témoigne de la nature et du caractère réels des radicaux de droite et des soi-disant “antimondialistes”. 

Une crise européenne de grande ampleur semble désormais très probable, car les dirigeants européens n’ont rien d’autre à proposer que d’accroître les inégalités au sein de leurs pays et de l’UE dans son ensemble. Plus que jamais en Europe, nous avons besoin d’une nouvelle fédération de forces politiques radicales, suffisamment radicale et sérieuse pour relever les défis des crises si profondes et multiples auxquelles l’Europe et le monde sont confrontés, pour lutter pour une Europe indépendante, verte et sociale qui agisse comme un pilier d’un “monde multipolaire” ; un ordre international radicalement différent.  

En théorie, il existe également une troisième voie ente la soumission totale a l’ euroliberalisme totalitaire et la destruction de l’ UE dans le chaos. C’est la voie d’un effort conscient d’une coalition de forces sociales progressistes du continent pour le transformer de manière radicale et profonde. Mais elle reste théorique tant que de telles forces n’apparaissent pas et, en particulier, ne sont pas coordonnées au niveau européen. 

En faisant ce qu’elle a fait en Grèce, l’alliance de la grande finance internationale et des élites allemandes et européennes a clairement créé les conditions d’une généralisation des tendances centrifuges, dont nous sommes témoins depuis 2015, de la Catalogne au nord de l’Italie. Le Brexit lui-même serait inconcevable sans le spectacle de 2015 de l’Allemagne détruisant et étranglant un petit pays européen. 

Berlin a écrasé la Grèce en 2015, mais ce faisant, elle a détruit une grande partie du capital politique allemande accumulé pendant de nombreuses décennies, redevenant ainsi la puissance détestée qu’elle était dans une grande partie de l’Europe, même si les gens ne le disent pas toujours ouvertement. 

Pour les États-Unis et l’autre superpuissance occidentale, c’ est a dire la Finance internationale,  ce qui s’est passé est un triomphe colossal. Les Allemands ont créé la “Nouvelle Europe” que Donald Rumsfeld tentait d’organiser en 2003, contre la France et l’Allemagne ! 

Une crise européenne de grande ampleur semble désormais très probable, car les dirigeants européens n’ont rien d’autre à proposer que d’accroître les inégalités au sein de leurs pays et de l’UE dans son ensemble. Plus que jamais en Europe, nous avons besoin d’une nouvelle fédération de forces politiques, suffisamment radicale et sérieuse pour relever les défis des crises si profondes et multiples auxquelles l’Europe et le monde sont confrontés, pour lutter pour une Europe indépendante, verte et sociale qui agisse comme un pilier d’un “monde multipolaire” ; un ordre international radicalement différent. 

Dimitris Konstantakopoulos
Journaliste, expert en géopolitique (Grèce)

https://uwidata.com/11398-a-demographic-catastrophe-towards-a-greece-without-greeks/