Expansion géopolitique d’Israël en Méditerranée-Orientale: La Grèce, tremplin privilégié

Par Orestis NIKIFOROU, politiste et éditorialiste
Ath
ènes le 22/08/2025

  1. Introduction : enjeux et contexte

Depuis les années 2010, Israël intensifie sa stratégie d’expansion en Méditerranée orientale. La découverte de gisements gaziers offshore en Israël et à Chypre a transformé la région en un espace stratégique convoité. Tel-Aviv cherche à utiliser ses ressources naturelles pour asseoir sa puissance et son influence, en s’appuyant sur des alliances diplomatiques et militaires souvent opportunistes.

La Grèce, par sa position géographique, son rôle dans l’UE et ses infrastructures militaires, est devenue un tremplin stratégique pour les ambitions israéliennes. L’objectif de cet article est d’analyser le revirement de la politique grecque, les mécanismes d’infiltration économique et sociale, ainsi que la réaction de l’opinion publique et des mouvements sociaux grecs.

  1. Du soutien à lOLP à lalignement sur Israël : le revirement grec

2.1. La Grèce pro-palestinienne (1981-1990)

En 1981, le gouvernement de Andreas Papandréou et le gouvernement du PASOK (Mouvement Panhellénique Socialiste) affirment leur soutien à la cause palestinienne et nouent des liens solides avec l’Organisation de libération de la Palestine (OLP). La Grèce se positionne comme un acteur indépendant du Moyen-Orient, soucieux de justice et de droits des peuples, jouant un rôle de médiateur régional.

2.2. Un changement progressif et opportuniste

À partir des années 1990, la Grèce amorce un revirement progressif de sa politique étrangère. Les priorités stratégiques se déplacent vers la coopération militaire et énergétique avec Israël et Chypre, tout en maintenant des tensions contrôlées avec la Turquie. Tous les grands partis parlementaires grecs s’alignent sur cette position.

Ces choix reflètent un opportunisme géopolitique, marqué par des alliances changeantes et fluctuantes impliquant Israël, la Turquie, Chypre et même des fractions sécessionnistes de la Libye. La politique grecque au Moyen-Orient devient une politique du court terme, basée sur la spéculation et le jeu du hasard, aboutissant à un changement complet de 180 degrés par rapport aux années 1980.

  1. Linfiltration israélienne en Grèce

3.1. Économie et capitaux

Israël s’implante en Grèce via l’investissement économique et l’acquisition immobilière, dans un processus d’infiltration progressive. Les capitaux israéliens interviennent dans :

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Les entreprises stratégiques, comme Intracom Defense ou ELVO (privatisées et désormais sous contrôle israélien) ;

L’immobilier, le tourisme , l’hôtellerie, souvent dans une démarche de spéculation ;

Les mécanismes de privatisation du patrimoine public grec, démantelé et bradé suite aux injonctions du FMI et de l’UE, où certains investissements israéliens sont surtout des manœuvres d’optimisation fiscale.

Depuis octobre 2023, près de 30 000 citoyens israéliens se sont installés en Grèce, jouissant de privilèges exceptionnels. Bien que discret, ce groupe pourrait devenir un cheval de Troie, amplifiant l’influence économique, sociale et politique israélienne en Grèce.

3.2. Lobby pro-israélien minoritaire

Une minorité d’oligarques et de capitalistes grecs profite directement de cette dynamique, constituant un lobby pro-israélien qui influe sur certaines décisions politiques. Ce groupe reste minoritaire face à l’opinion publique, mais exerce une influence significative sur les choix gouvernementaux.

Il convient par ailleurs de noter que, dans le cadre actuel du capitalisme néolibéral mondialisé et financiarisé, il devient bien difficile de tracer l’origine des capitaux investis dans une économie.

  1. La Grèce comme tremplin stratégique et militaire

4.1. Bases et transit militaire

La Grèce accueille une part importante des opérations israéliennes et alliées : 70 % des vols militaires vers le Moyen-Orient transitent par des bases grecques, à Kalamata, en Crète ou autour d’Athènes. Cette donnée, confirmée par l’organisme de surveillance de l’aviation civile, démontre le rôle central de la Grèce dans les stratégies de projection de puissance israélienne.

4.2. Projet EastMed et enjeux énergétiques

Le gazoduc EastMed, présenté comme une opportunité économique pour la Grèce, demeure un projet incertain. Il est principalement un terrain de spéculation pour les capitalistes occidentaux. Les bénéfices pour la Grèce et son peuple relèvent davantage du fantasme et de la propagande politique de la Droite grecque et de ses alliés. Par ailleurs, ce projet constitue une menace écologique majeure pour toute la Méditerranée orientale, dont les écosystèmes sont déjà soumis à une pression anthropique dangereuse.

  1. La dimension régionale et chypriote
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À Chypre, Israël déploie une infiltration immobilière, financière et géopolitique. Cette pénétration est dénoncée par la gauche chypriote, notamment le parti AKEL, comme une menace pour la souveraineté de l’île, historiquement grecque et partie intégrante de l’héritage hellénique mondial.

Les jeux géopolitiques impliquant la Grèce, la Turquie, Chypre, Israël et la Libye sont opportunistes et changeants, avec des alliances fluctuantes, des choix militaires et diplomatiques motivés par l’opportunité et la spéculation plutôt que par une stratégie durable. Plutôt que de garantir une stabilité pour la région et la sécurité de la Grèce ils les exposent aux risques d’une escalade militaire aux conséquences désastreuses. Il y a déjà quelques années la France macronienne s’est immiscée par intérêt dans ce jeu d’échecs trouble en préservant cependant des marges confortables de sécurité nonobstant les jeux rhétoriques de Macron.

  1. La contestation populaire et sociale

En dépit de l’alignement gouvernemental sur Israël, la société grecque exprime une opposition forte et continue :

Manifestations populaires larges et régulières contre la politique pro-israélienne ;

Mobilisation des mouvements sociaux et syndicats ;

Blocages des livraisons d’armes vers Israël et empêchement des navires de tourisme israéliens d’accoster aux îles grecques ;

Réprobation des jeux opportunistes et des choix changeants du gouvernement au Moyen-Orient ;

Dénoncir du lobby pro-israélien minoritaire et de l’influence des oligarques.

Cette opposition rappelle l’écart profond entre l’opinion publique et les décisions officielles, et souligne le rôle central de la société civile dans la défense des droits palestiniens et des intérêts du peuple grec.

  1. Enjeux humanitaires et diplomatiques

La Grèce a également abandonné les minorités grecques orthodoxes au Liban (7% de la population), en Palestine et en Syrie, trahissant sa mission historique de protectrice des communautés helléniques dans la région. Ce choix est perçu comme une trahison des idéaux nationaux grecs par la société et les intellectuels patriotes.

L’opinion publique et les mouvements sociaux doivent désormais défendre la justice et la solidarité internationale, notamment face à l’épuration ethnique palestinienne et à l’expansion israélienne.

  1. Conclusion : responsabilité morale et choix stratégique
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La Grèce, par son rôle militaire, économique et stratégique, est devenue un tremplin privilégié pour Israël en Méditerranée orientale. Cette situation repose sur des alliances opportunistes, un lobby minoritaire et une infiltration économique et sociale israélienne, mais rencontre une contestation massive et continue de la part de la société grecque.

Au-delà de la dimension stratégique, la Grèce a un devoir moral : celui de se tenir du côté des opprimés et des victimes de génocide, en l’occurrence le peuple palestinien. La mémoire historique de la Grèce, marquée par des siècles de domination étrangère, des génocides, et des politiques impérialistes ayant infligé des souffrances lourdes à sa population, rend ce devoir particulièrement pertinent. L’histoire et la conscience collective imposent à la société grecque de défendre la justice, la solidarité internationale et de soutenir ceux qui subissent aujourd’hui l’injustice et la violence.

Le choix de la population, des mouvements sociaux et de l’opinion publique sera déterminant pour freiner cette expansion et réaffirmer l’indépendance stratégique, la souveraineté nationale et les valeurs humanitaires de la Grèce.

Cette contestation, quasiment absente du Parlement grec, soumise à la censure, l’intimidation et la manipulation des médias, n’a de terrain pour s’exprimer autre que la rue, la partie du mouvement syndical qui reste fidèle au principe de la lutte des classes et les collectifs citoyens de base.

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