Syrie-Genève : retour à la case départ, par Richard Labévière

Pause jusqu’à mardi dans la Cité de Calvin pour la suite des négociations entre l’opposition et le gouvernement syriens. Mais la délégation officielle laisse planer le doute sur son retour à Genève après des déclarations « provocatrices » à l’encontre de Bachar al-Assad. « Nous repartons demain (…) et c’est à Damas de décider » si la délégation doit revenir mardi comme l’a proposé le médiateur de l’ONU Staffan de Mistura, a déclaré ce vendredi aux journalistes Bachar Al-Jaafari, ambassadeur de Syrie aux Nations unies à New York et négociateur en chef du gouvernement syrien.

Staffan de Mistura a annoncé que cette huitième session de pourparlers, qui a débuté mardi dernier, allait faire une pause de trois jours et que les discussions reprendraient mardi prochain pour durer jusqu’à la mi-décembre. Parlant aux journalistes à l’issue d’un entretien avec le médiateur de l’ONU, M. Jaafari a critiqué l’opposition pour son « langage provocateur, irresponsable » au sujet du sort du président Al-Assad. L’opposition a de nouveau réclamé, publiquement le départ du chef de l’Etat syrien avant tout règlement politique du conflit. « Ceux qui veulent imposer des conditions préalables ne sont pas réalistes. Il y a une réalité politique sur le terrain, nous sommes le camp fort et notre armée gagne face aux terroristes », a ajouté Bachar al-Jaafari.

Au cours d’une conférence de presse jeudi soir, Staffan de Mistura a affirmé que la question du sort du président Assad ne faisait pas partie des sujets discutés. « Ce sera aux Syriens de décider dans les élections supervisées par l’ONU », a-t-il précisé. Depuis 2016, ce n’est pas moins de sept cycles de pourparlers qui ont été organisés par Staffan de Mistura. Désormais, il cherche à centrer les discussions de Genève sur la rédaction d’une nouvelle constitution et l’organisation d’élection législatives sous supervision internationale.

DOUZE POINTS CENTRAUX

Vendredi soir, Staffan de Mistura a rendu public une nouvelle version d’un document en « douze points centraux ». « Ils sont essentiels parce qu’ils renvoient à ce que pourrait être une vision partagée du genre de Syrie où les Syriens voudraient vivre », a expliqué le représentant de l’ONU qui a soigneusement évité d’entrer dans les détails. En fait, il s’agit de notions très générales et génériques – intégrité nationale, souveraineté, égalité hommes-femmes, respect de toutes les religions, multiethnicité, etc. – qui ne peuvent être refusées ni par l’opposition ni par le régime, d’autant que rien de précis n’est évoqué pour leur mise en œuvre.

« Depuis les toutes premières discussions, il y a cinq ans, ces points ont fait consensus, et il n’y a rien de bien nouveau », regrette un diplomate européen. Les discussions des quinze prochains jours devraient porter sur l’application de la résolution 2254 du Conseil de sécurité de décembre 2015. Elle prévoit notamment une transition, sans que le départ de Bachar Al-Assad soit un préalable, l’élaboration d’une nouvelle constitution, puis la tenue d’élections sous le contrôle des Nations unies.

Entre opposition et gouvernement syrien, les positions restent pourtant diamétralement opposées sur ces différents points. En position de force sur le plan militaire, le gouvernement n’acceptera que quelques ajustements de façade. La problématique des élections, et surtout la question des participants, est tout aussi cruciale alors qu’il y a sept millions de Syriens réfugiés à l’étranger et autant de déplacés à l’intérieur du pays. Dans tous les cas de figures, « c’est un retour à la case départ, comme s’il n’y avait jamais eu aucun progrès sur rien », commente un ambassadeur européen en poste à Genève. La faute à qui ?

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L’ARABIE SAOUDITE SERRE LES BOULONS !

Cruelle évidence pour les poètes disparus des « révolutions arabes », Bachar al-Assad a gagné la guerre ! Et sur le terrain, les services spéciaux syriens ont redoublé d’activité pour débaucher nombre de groupes armés, proposant des libérations de prisonniers, voire des amnisties plus ou moins avantageuses. Cette série de défections a, aussi affecté les différentes structures de l’opposition politique. Dernièrement, la jonction opérée par l’armée gouvernementale syrienne et les forces spéciales irakiennes sur la frontière syro-irakienne à l’est du pays (une bande de 650 kilomètres entre la Jordanie et la Turquie) a, brusquement concrétisé la hantise des pays sunnites de la région : l’établissement du « couloir chi’ite » tant redoutée par le petit roi Abdallah de Jordanie : une continuité territoriale entre l’Irak, la Syrie et l’Iran avec une transversale libanaise…

Par conséquent, le jeune prince-héritier saoudien Mohamad Ben Salman (MBS) – déjà engagé dans son coup d’Etat intérieur pour concentrer la totalité du pouvoir de la monarchie wahhabite entre ses seules mains – a sonné le rappel des groupes de l’opposition syrienne à Riyad pour serrer les rangs. Et, effectivement, l’opération « serrage de boulons », comme on l’appelle à Genève a, relativement bien fonctionné. Cent cinquante dissidents, représentant différentes sensibilités de la nébuleuse anti-Assad, des plus intransigeants aux plus conciliants, ont été contraints par les Saoudiens, de former une délégation unie de trente-six membres. Les plates-formes du Caire et de Moscou, deux formations très critiques de l’insurrection, qui faisaient jusque-là bande à part, ont été intégrées au nouvel organe, baptisé « Comité des négociations », qui remplace le Haut comité des négociations, établi en décembre 2015.

Ainsi, on a vu réapparaître Madame Basma Kodmani, comme porte-parole de cette nouvelle structure, alors qu’elle avait démissionné du Conseil national syrien (CNS) le 28 août 2012, déplorant notamment que « le CNS ne travaille pas bien avec les autres groupes d’opposition ». Proche du Qatar et des Frères musulmans, cette ancienne collaboratrice de la Fondation Fordau Caire, a été, des années durant, la « secrétaire » de Patrick Seal, officiellement journaliste et résident parisien des services britanniques du MI-6. En 2008 et 2012, elle participe aux réunions du Groupe Bilderberg en compagnie de Bernard et Christine Kouchner, ainsi que de plusieurs ministres du cabinet israélien de Benjamin Netanyahou.

Sa sœur, Hala Kodmani reprend aussi du service. Egalement membre à part entière du CNS, elle répond, depuis plusieurs années, au qualificatif de « grand reporter » et « envoyé spécial » en Syrie pour le quotidien Libération. Elle a publié plusieurs fascicules au éditions Acte Sud, dans la collection de Farouk Mardam-Bey, financée par quelques généreux donateurs du Qatar… Cette « journaliste » très particulière s’est aussi spécialisée dans la recherche et la délation de ses confrères qui ne partagent pas sa lecture dualiste d’une guerre civile qui opposerait de gentils révolutionnaires au sanglant dictateur. Cette approche simpliste plait beaucoup à la rédaction en chef de Libération qui se plait à présenter sa « journaliste-activiste » comme une grande experte de la région.

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Aux ordres de Riyad, tous ces braves gens partagent toujours la même condition initiale à l’avancée des négociations : le départ de Bachar al-Assad, préambule pourtant abandonné par les chancelleries occidentales. Appelant ces opposants à « un peu plus de réalisme », Staffan de Mistura vient de leur rappeler qu’ils « n’avaient pas gagné la guerre… » Derrière une unité de façade, les trente-six membres du Comité des négociations n’en continuent pas moins à se distribuer les portefeuilles ministériels d’un improbable futur gouvernement de transition.

L’OPPOSITION RESTE DIVISÉE

Derrière cette agitation, les clivages demeurent entre différentes factions qu’on peut regrouper en cinq composantes :

1) La Coalition nationale syrienne (CNS) : Cette organisation, basée à Istanbul et dont les cadres vivent tous à l’étranger, dispose de huit sièges au sein du Comité des négociations. Formée fin 2012 au Qatar, elle amalgame des « libéraux », comme Riyad Seif, son président actuel, et des islamistes, proches des Frères musulmans, comme Ahmed Ramadan. Longtemps parrains de la CNS, dont ils ont encouragé le jusqu’au-boutisme, les grands pays occidentaux et leur alliés arabes ont peu à peu pris leurs distances vis-à-vis d’elle, du fait de la résilience inattendue du régime syrien et de la montée en puissance des forces jihadistes au sein de la rébellion. Aujourd’hui la Coalition est la formation de l’opposition qui oppose la plus grande résistance aux pressions ouvertes ou implicites de la communauté internationale en faveur d’un maintien au pouvoir de Bachar Al-Assad durant la phase de transition. A peine arrivé à Genève, le chef du Comité des négociations, Nasser Al-Hariri, qui est membre de la CNS, a ainsi réaffirmé que le président syrien devrait quitter le pouvoir en prélude à tout règlement du conflit.

2) Le Comité de coordination nationale pour le changement démocratique (CCNCD). Cette organisation, basée à Damas, et dont les dirigeants vivent en Syrie ou bien à l’étranger, dispose de cinq sièges au sein du Comité des négociations. Fondée en 2011, dirigée par l’avocat damascène Hassan Abdel Azim, elle est composée d’une dizaine de petits partis, pour la plupart de gauche, souvent imprégnés d’idéologie nationaliste arabe.

3) La plate-forme de Moscou. Ce groupe formé en 2015, sous la tutelle du Kremlin, dispose de quatre sièges au sein du Comité des négociations. Il est composé de figures proches du régime Assad, comme son chef, Qadri Jamil, un ancien vice-premier ministre, limogé en 2013, qui à l’époque où il était au pouvoir considérait les révolutionnaires comme des « agents de l’étranger ». Les autres composantes du Comité des négociations.

4) Les inclassables. le Comité des négociations comprend des représentants de deux autres groupes : les brigades armées, qui disposent de sept sièges, et les indépendants, qui en ont obtenu huit. Les premiers sont proches des positions de la Coalition nationale syrienne. On trouve dans leurs rangs Mohamed Allouch, ex-chef de la délégation de l’opposition lors des négociations tenues en février-mars, qui est le conseiller politique de Jaysh Al-Islam, une formation armée salafiste, implantée dans la banlieue de Damas. Parmi les Indépendants, on trouve des opposants de diverses obédiences. L’un d’eux, Khaled Al-Mahamid, un homme d’affaires impliqué dans la négociations de cessez-le-feu locaux, a fait scandale au mois d’août, en déclarant que le régime avait gagné la guerre et qu’il était temps pour l’opposition de changer d’approche.

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En attendant la reprise des pourparlers de Genève, Moscou pousse aussi à la recherche d’un règlement politique. La Russie entretient deux processus parallèles : celui d’Astana (Kazakhstan), lancé lors de la libération d’Alep en décembre 2016, afin d’avancer sur les questions militaires – consolidation des cessez-le-feu et élargissement des zones de désescalade, échanges de prisonniers et reddition de factions armées ; celui de Sotchi (sud-ouest de la Russie) pour préparer un « Congrès du dialogue national », avec l’ensemble des acteurs liés au conflit, davantage centré sur les questions de reconstruction politique et économique.

DES CHINOIS EN MÉDITERRANÉE

Poussant ces différentes initiatives, Moscou s’empresse conjointement de rassurer la « communauté internationale » en soulignant que les efforts engagés, tant à Astana qu’à Sotchi, « doivent servir la médiation principale des Nations unies et le travail exemplaire de Staffan de Mistura ». En effet, aux différents niveaux de cette négociation complexe, Moscou parle de plus en plus de la « reconstruction », d’ores et déjà en cours !

D’après l’ONU, il faudra au moins 250 milliards de dollars pour reconstruire la Syrie. L’envoyé spécial de la Chine pour le conflit syrien a annoncé vendredi à Genève que son pays était « prêt » à participer à la reconstruction, « sans condition préalable », lorsque la sécurité sera garantie. « La Chine se tiendra prête à participer à la phase de reconstruction lorsqu’elle commencera et le gouvernement chinois va encourager les entreprises chinoises à entreprendre des projets sur place «, a déclaré Xie Xiaoyan.

Ces derniers jours, les observateurs militaires ont remarqué l’arrivée de plusieurs centaines de soldats chinois dans le port syro-russe de Tartous en Méditerranée orientale. Ce port militaire abrite, désormais une base chinoise à partir de laquelle, frégates, bâtiments de projection amphibie et ravitailleurs chinois croisent en Méditerranée pour passer le détroit de Gibraltar, afin de rejoindre l’Atlantique nord, le Grand nord Arctique, la mer de Béring et… la mer de Chine méridionale.

En effet, l’une des conséquences stratégiques majeures de la guerre civilo-globale de Syrie et des difficultés, sinon des fautes des diplomaties occidentales dans ce conflit, est le retour opérationnel de la Russie et l’apparition de la Chine en Méditerranée…

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Source : espritsurcouf.fr, Richard Labévière, 04-12-2017