L’ADN des nouveau-nés grecs en danger : un accord secret au cœur d’un scandale

Écrit par Mounir Moujoud
Jul 7, 2025

Un accord passé sous silence

À l’abri des regards et loin de tout débat public ou parlementaire, le ministère grec de la Santé a discrètement signé un accord qui inquiète jusqu’aux défenseurs des libertés fondamentales. Deux entreprises privées : RealGenix, filiale grecque de la société américaine Plumcare et Beginnings ont obtenu l’accès à l’ADN de 100.000 nouveau-nés d’ici 2029, via un programme de séquençage génomique. Ce qui ressemble au scénario d’un épisode de Black Mirror est bien réel. Et ce n’est que grâce à une enquête conjointe de Reporters United et du journal EfSyn que l’affaire a été révélée avant sa mise en œuvre.

Contrairement au dépistage néonatal classique, qui prélève quelques gouttes de sang pour détecter certaines maladies génétiques, le séquençage du génome entier collecte l’intégralité du patrimoine génétique de l’enfant. Cette technologie, encore expérimentale, promet certes des diagnostics plus poussés, mais elle soulève surtout de graves questions éthiques. Elle ouvre la voie à l’exploitation d’informations personnelles et héréditaires à vie, livrées à des acteurs privés.

Un contrat opaque et inquiétant

L’accord a été conclu en contournant toutes les procédures légales : aucune consultation de l’Institut public de santé infantile pourtant requise par la législation grecque, aucune autorisation éthique ou scientifique, aucun consentement parental. Pire encore, l’accord n’a jamais été publié sur la plateforme de transparence du gouvernement, comme l’exige pourtant la loi.

Le contenu du contrat soulève également de vives inquiétudes : une clause de confidentialité interdit de révéler les résultats des recherches, et la propriété exclusive des données ADN est attribuée aux entreprises. En contrepartie, ces dernières se sont engagées à lever 56 millions d’euros auprès de sponsors du secteur pharmaceutique et technologique.

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Des risques majeurs pour l’avenir

L’enjeu est de taille : les données génétiques sont permanentes. « On ne change pas d’ADN comme on change un mot de passe Netflix » affirme Nikos Goudis pour The European Correspondent. Confier ce patrimoine biologique à des entreprises privées sans consentement explicite ouvre la porte à de multiples dérives : exploitation par les assurances, discrimination à l’embauche, ou revente à des tiers en cas de faillite, comme le montre l’exemple américain. Lundi dernier, la société 23andMe a été vendue au géant pharmaceutique Regeneron pour 256 millions de dollars avec les données ADN de 15 millions de clients.

L’Union européenne classe les données génétiques comme sensibles et exige un consentement parental éclairé. Mais en l’absence de réglementation unifiée, la protection de l’ADN des enfants reste une zone grise. Partout en Europe, le séquençage génomique doit faire l’objet d’une transparence totale, d’un contrôle scientifique rigoureux et d’une supervision publique.

Vague d’indignation contre un accord controversé sur la santé infantile

Toutefois, face à une pression croissante et à une vive indignation publique, le ministre grec de la Santé a pris ses distances avec l’accord pourtant signé de sa main, annonçant en direct à la radio sa suspension. Cette volte-face est intervenue après les révélations d’un consortium de journalistes d’investigation sur la nature controversée du projet. L’Institut public de santé infantile a réagi immédiatement, refusant de transmettre tout échantillon de sang sans le consentement préalable des parents. Dans les jours suivants, plusieurs associations scientifiques ont publiquement dénoncé l’accord, des députés de l’opposition ont soulevé la question au Parlement grec ainsi qu’au Parlement européen, et surtout, 195 scientifiques ont signé une pétition ouverte réclamant purement et simplement l’annulation du projet.

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« C’est un parfait exemple de la manière dont le journalisme d’investigation indépendant peut provoquer un réel changement, même dans un domaine aussi strictement encadré que la santé publique. » Nikos Goudis

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