Hommage à Alan Roberts 1925-2017

Par Hall Greenland

Ouvrier d’usine, puis Professeur de physique, et devenu un pionnier de l’écologie, Alan Roberts au retour de la deuxième guerre mondiale a obtenu son diplôme de physicien. Alors qu’il enseignait à Monash (une des universités les plus prestigieuses d’Australie), son opposition passionnée contre l’énergie nucléaire l’a mené à devenir l’un des premiers écologistes de l’Australie.

Théoricien physicien, marxiste et amoureux des chiens, Alan Roberts est l’un des premiers écologistes de l’Australie. Tout en enseignant la physique à l’Université Monash dans les années 1970, Alan a produit une série d’essais écologistes provocants, dans un cadre de préoccupation sociale. Dans les décennies suivantes, il est devenu une autorité internationale pour la modélisation mathématique des dilemmes écologiques et leurs possibles solutions.

Alan est né dans une famille monoparentale à Brisbane le 2 avril 1925. Son père était mort de ses blessures de guerre, deux mois avant la naissance d’Alan. Avec sa mère et sa sœur aînée, Alan a survécu à la grande dépression suivant la guerre avec la maigre pension de veuve de sa mère. Malgré son intelligence à l’école, il la quitte à 15 ans pour travailler en usine. À 19 ans, dans la dernière année de la seconde guerre mondiale, il rejoint l’armée de l’air. Dans la bibliothèque lors du transport des troupes à destination de Bornéo il a trouvé et lu le « Guide de la femme intelligente en présence du socialisme et du capitalisme » (1928, rév. en 1937) de George Bernard Shaw et c’est un converti au socialisme qui débarque.

De retour en Australie après la guerre, il adhère au parti communiste dont il a été un « bon camarade » jusqu’à ce que la répression soviétique du soulèvement hongrois fasse de lui un dissident. Le parti l’a expulsé en 1958, l’accusant d’être un « entriste trotskiste » (il a découvert plus tard que dans sa fraction de trois membres, l’un d’entre eux était un espion du politburo local).

Après la guerre il a profité de l’offre du gouvernement du Commonwealth aux soldats revenant de la guerre, pour suivre des études à l’université. Alan s’est toujours intéressé à la science, au début sous la forme de rédaction de brochures de science-fiction. Dans les années 1940, il a produit des dizaines de ces brochures qui ont été reprises dans les journaux et les Pulp’ magazines.

Il s’est épanoui à l’Université, et a obtenu une maîtrise de physique en 1955 à Sydney. Le flamboyant chef américain de la Faculté des sciences, professeur Harry Messel, lui a rapidement offert un emploi. Ce dernier était l’un des « cerveau » de la guerre froide. Messel a reçu assez rapidement la visite des services secrets qui lui ont conseillé d’annuler l’offre d’emploi, mais il a refusé.

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Alan, comme beaucoup de ses collègues scientifiques, est bientôt en campagne contre la bombe. Il fut l’un des fondateurs de la campagne pour le désarmement nucléaire en Australie et, un orateur éloquent et bien informé, qui a fréquemment dénoncé l’existence d’une plate-forme de lancement de missiles près de Sydney.

Dans les années 1950 et 60, la plupart de ses collègues manifestaient leur opposition aux armes nucléaires tout en soutenant l’énergie nucléaire, l’atome dit « Pacifique ». Pour Alan c’était soutenir l’utopie d’une technique qui pouvait aussi se transformer en instrument de guerre. Durant les 50 années suivantes, il a écrit des dizaines d’articles et fait des dizaines de conférences exposant les dangers de l’énergie nucléaire.

En 1966, il quitte l’Université de Sydney pour celle de Monash, où il a enseigné jusqu’à sa retraite en 1992. Monash dans les années 1960 a été un centre du maoïsme militant, mais Alan n’a eu aucun lien avec lui. Il s’était rendu à Pékin en 1966 dans la première année de la révolution culturelle et a rédigé un rapport qui dénonçait la violence de Mao et ses alliés.

Alan commençait à s’intéresser aux nouveaux auteurs des États-Unis sur l’environnement et l’écologie comme Murray Bookchin, Rachel Carson, Barry Commoner, Theodore Roszak et Paul Erhlich.

Sur environ une décennie qui couvre les années 1970, Alan a écrit une série d’articles développant une vision originale des sources de la crise écologique. Ces essais ont été réunis sous le titre : L’environnement autogéré, publié à Londres en 1979.

Son approche était essentiellement marxiste, mais en rien orthodoxe. Il cite Hegel et Marcuse aussi souvent que Marx. Ses essais réfutent l’idée que les solutions technologiques peuvent résoudre nos problèmes écologiques et discutent la nature anti écologique de la famille nucléaire. Ils comprenaient aussi une remarquable analyse de la signification de l’« interdiction verte » imposée par le légendaire « NSW Builders Labourers’ Federation », qui luttait contre les projets de développement qui ne respectaient pas les normes écologiques (y compris les droits des aborigènes d’Australie).

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Pour Alan, se concentrer sur la production, source de nos maux écologiques, comme le faisaient de nombreux marxistes, était trop unilatéral. Oui, la production capitaliste vise le profit quelque soient les coûts environnementaux, mais à l’autre extrémité de l’équation il y a le consumérisme. Or le système ne peut survivre que si les gens sont prêts à acheter toujours plus de choses, et il semble qu’ils le soient, même si cela signifie qu’ils doivent pour cela travailler durant de longues heures de travail.

Alan a analysé la dépendance à la consommation comme la cause de l’aliénation au travail et de l’impuissance de la population. Elle agit comme une compensation puissante. Le remède, disait-il, résidait dans une démocratie véritable, au travail comme dans toutes les activités sociales.

Et ce n’était pas seulement une posture. Lui-même était un anti consumériste total. Ses meubles de cuisine étaient des chaises de bureau sur roulettes récupérées tout comme sa table laminex très rétro. Sa garde-robe se composait de quelques vêtements éculés portés au moins depuis une dizaine d’années, dans les tons utilitaristes, marine et marron. Le style d’Alan était celui des années 1940, même si sa dernière voiture était une Corolla des années 1970. Une partie de son antimatérialisme venait de ce qu’il a été un enfant de la dépression, et l’autre celle d’un professeur distrait, avec des habitudes excentriques comme boire des pintes de crème allégée.

Alors qu’il était totalement cérébral, il n’était pas du tout ennuyeux. Loin s’en faut. Il était plein d’esprit et un bon imitateur. Il pourrait réciter, ligne par ligne, des scènes de classiques du cinéma des années 1930 et chanter toutes les meilleures chansons des opérettes de Gilbert et Sullivan. Il faisait des conférences et était immensément populaire auprès des étudiants.

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Il n’a jamais eu d’enfant, mais il prenait plaisir au cours de sa longue vie à la compagnie des femmes intelligentes et dans ses dernières années à la compagnie de ses divers chiens, dont il louait volontiers et sans fin le génie et la sagesse. Il fut aussi un joueur de tennis jusqu’au-delà de 80 ans.

La bonne humeur d’Alan a été quelque peu entamée dans la dernière année de sa vie par la perte de la vue et donc la capacité de lire, par l’augmentation de sa surdité et l’apparition d’une grave maladie pulmonaire. Il avait fumé depuis l’âge de 12 ans, jusqu’à l’âge de 85. Même si ses derniers jours ont été difficiles en raison de crises de toux sévères, il pouvait plaisanter sur sa relation à la cigarette. « Qui l’aurait cru ? » il demandait impassible. Il est mort le 12 décembre.

Alan laisse en deuil une nièce, Tina McKenna, sa compagne et meilleure amie depuis 50 ans, Sophie Bibrowska et – il insiste sur ce point – son chien Billy.

Australie, 6 janvier 2018