Pourquoi Macron critique l’intervention occidentale en Libye

Le président français a reconnu la « responsabilité » de la France dans la situation aujourd’hui en Libye suite à l’intervention de l’OTAN.

Julie KEBBI
03/02/2018

Le dossier libyen a de nouveau été mis sur le tapis par Emmanuel Macron. En déplacement à Tunis pour deux jours, le président français a reconnu la responsabilité de la France dans la situation dans laquelle se trouve aujourd’hui la Libye. « La France, tout comme des États de l’Europe et les États-Unis, a une responsabilité dans ce qui se passe dans la région », a-t-il déclaré jeudi dans un discours prononcé face au président tunisien Béji Caïd Essebsi et à l’Assemblée des représentants du peuple. « Je n’oublie pas que plusieurs ont décidé qu’il fallait en finir avec le dirigeant libyen sans qu’il y ait pour autant de projet pour la suite », a-t-il enchaîné, faisant référence à l’intervention militaire de l’OTAN en 2011 encouragée par la France sous Nicolas Sarkozy.

Ce n’est pas la première fois que le chef de l’État français rompt ouvertement avec les politiques menées par ses prédécesseurs dans le monde arabe. L’exemple de la Syrie est le plus symbolique à cet égard. M. Macron a mis en avant son « aggiornamento » sur ce dossier, en précisant, en juin dernier, « ne pas avoir énoncé que la destitution de Bachar était un préalable à tout ». « Car personne ne m’a présenté son successeur légitime ! » a-t-il précisé dans un entretien accordé à différents médias européens.

Il faut dire que la realpolitik Macron est fortement imprégnée du souvenir de l’intervention américaine en Irak en 2003, influençant dès lors la définition de sa politique étrangère au Moyen-Orient et cherchant à éviter à tout prix la répétition d’un scénario similaire. Dans ce contexte, ses propos sur la responsabilité de la France en Libye sont une première, mais ils s’inscrivent bien dans la continuité de la ligne voulue par le dirigeant français qui s’emploie à redorer le blason diplomatique de la France dans la région tout en flattant les populations de la région, en désignant l’interventionnisme occidental comme un bouc émissaire. Pour le chef de l’État français, « quoi qu’on pense d’un dirigeant », cela a contribué à « imaginer qu’on pouvait se substituer à la souveraineté d’un peuple pour décider de son futur ». « Nous avons collectivement plongé la Libye depuis ces années dans l’anomie sans pouvoir régler la situation », a-t-il souligné.

Sur la question libyenne, les objectifs français sont multiples. « C’est une façon de montrer une continuité par rapport à Barack Obama qui était très critique de l’intervention, avec lequel M. Macron n’avait pas caché sa proximité, mais aussi de rassurer les dirigeants des pays du Sud quant à leur souveraineté », explique à L’Orient-Le Jour Bertrand Badie, spécialiste des relations internationales et professeur à Sciences Po Paris. Mais, de manière plus générale, « les arguments employés sont conséquentialistes puisqu’ils peuvent resservir dans d’autres situations et essentialistes car il ne s’agit plus d’intervenir pour transformer un État souverain » sans sa demande expresse, observe l’expert. Selon M. Badie, « il y a peut-être ici l’énonciation d’une doctrine pour une construction plus prudente et désengagée de la politique étrangère française ». S’il semble que la France souhaite revenir à une vision moins interventionniste militairement, elle n’en est pas moins engagée sur différents fronts comme au Sahel ou en Syrie et en Irak, rappelle le spécialiste. Le chef de l’État français semble chercher un juste milieu entre un interventionnisme tous azimuts et un réalisme impliquant une trop grande proximité avec les régimes dictatoriaux. Il n’a ainsi pas manqué de nuancer ses propos : « En Libye, la situation actuelle (était) d’abord due à des années de tyrannie », a-t-il affirmé avant de quitter la Tunisie. « L’idée qu’on règle la situation d’un pays de façon unilatérale et militaire est fausse », a-t-il néanmoins insisté.

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« Crime contre l’humanité » 

La Libye est plongée dans le chaos depuis la chute de Mouammar Kadhafi en 2011, renversé par des Libyens assoiffés de démocratie et surfant sur la vague du printemps arabe ayant débuté en Tunisie un peu plus tôt. Mais les rivalités entre factions, tribus et régions, alimentées par les parrains régionaux de certaines factions, ont empêché l’émergence d’un État unifié. Le Premier ministre libyen, Fayez el-Sarraj, désigné au poste en 2015 en vertu de l’accord de Shkirat (Maroc), a bien du mal à imposer son autorité sur son territoire, devant notamment faire face au « gouvernement de Tobrouk » sous l’influence du maréchal Khalifa Haftar qui contrôle l’est du pays.

Prenant note de la gravité de la situation depuis son arrivée à la présidence en mai dernier, M. Macron s’est montré particulièrement investi sur la question libyenne. Alors que les négociations de paix étaient au point mort ces dernières années, le président français, appuyé par l’ONU, a organisé une rencontre en juillet dernier à La Celle-Saint-Cloud entre MM. Sarraj et Haftar pour établir un plan de sortie de crise. Il en est ressorti un accord en dix points visant à lutter contre les trafics et le terrorisme, et permettre la tenue d’élections. M. Macron avait alors déclaré : « Si la Libye échoue, c’est toute la région qui échoue. » Si l’événement était historique, l’accord a donné bien peu de résultats sur le terrain.

L’action de la diplomatie française n’a cependant pas ralenti sur le dossier. En novembre dernier, le dirigeant français s’est également placé en tête du peloton pour diriger les négociations, plaidant pour une « initiative euro-africaine » lors de son premier « grand oral » africain à Ouagadougou. Cette annonce tendait à apporter une réponse politique à la diffusion d’images de ventes de migrants comme esclaves sur la chaîne américaine CNN. Qualifiant les actions des trafiquants de « crime contre l’humanité », Paris avait également convoqué une réunion extraordinaire avec l’ONU, le Niger, le Tchad, l’Union africaine et l’Union européenne pour lutter contre ce fléau.

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Le choix de Paris de se tourner plus sérieusement vers Tripoli n’est pas anodin, puisque l’intérêt français y relève également des volets migratoire et sécuritaire. Chaque jour, des centaines de migrants qui cherchent à fuir le continent africain s’entassent sur des embarcations payées à prix d’or à des passeurs bien peu scrupuleux, espérant atteindre les côtes italiennes depuis la Libye et leur permettant ainsi d’entrer dans l’Union européenne. Ramener le calme en Libye permettrait ainsi de régler, seulement en partie, le problème de l’afflux massif de migrants auquel l’UE n’arrive pas à trouver de solution durable. Mais cela serait également un enjeu de taille pour la lutte contre le terrorisme. Car le terrain libyen sert également de zone de repli pour les jihadistes de l’organisation État islamique, qui ont perdu la grande majorité de leurs territoires en Irak et en Syrie.

Face à ces éléments, la question la plus immédiate reste cependant de savoir si la France peut gérer ce dossier brûlant, mais surtout extrêmement complexe, en dehors des voies multilatérales, alors que les poids lourds de la communauté internationale ont pris leur distance sur la problématique libyenne.

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