“Les mots d’un boxeur gitan” : petite histoire du mépris de classe par la langue

Par Chloé Leprince
14/02/2019

Christophe Dettinger a été condamné ce 13 février à un an ferme, aménageable en semi-liberté, pour avoir frappé des CRS lors d’une mobilisation des “gilets jaunes”. Médiatisé comme “le boxeur gitan”, sa façon de parler avait été jugée suspecte… parce qu’elle tranchait avec pas mal de clichés.

“Le boxeur, la vidéo qu’il fait avant de se rendre… il a été briefé par un avocat d’extrême gauche. Ça se voit ! Le type, il n’a pas les mots d’un gitan. Il n’a pas les mots d’un boxeur gitan.” C’est Le Point qui rapportait le 1er février ces propos d’Emmanuel Macron évoquant Christophe Dettinger, le champion de France des lourds-légers en 2007-2008, condamné ce 13 février à un an ferme, aménageable en semi-liberté, pour avoir frappé des membres des forces de l’ordre le 5 janvier 2019 à l’occasion d’une journée de mobilisation des “gilets jaunes”.

“Boxeur gitan” dans la bouche d’un Président de la République comme d’autres sifflent “travail d’Arabe” ou “banquier juif” ? Christophe Dettinger, qui s’est présenté à la police 36 heures après les faits, n’était plus un homme d’1 mètre 91 rapidement reconnu sur les vidéos de “l’Acte 8” pour sa notoriété dans le monde de la boxe, père de famille au casier judiciaire vierge, résidant en Région parisienne. “Le Gitan de Massy” n’étant pas seulement son pseudo pour les rings, il devenait en quelques heures à peine “le boxeur gitan”. Et les médias de relayer rapidement le pédigrée d’un “enfant de l’Essonne” qui avait poussé dans un monde gitan amarré à trente kilomètres de Paris, auprès d’un père “chauffeur pour une société de traitement des déchets”, dans une maison où l’on se lavait “à la bassine” même si on avait quand même l’électricité. Ultime précision noctambule : le portrait-robot nous apprenait au passage qu’il y a vingt ans de ça, c’est “en boîte de nuit” qu’il avait rencontré sa femme, avec qui il aura trois enfants.

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Encore présumé innocent aux yeux du droit, Christophe Dettinger était ainsi déjà passablement ethnicisé au moment où il postait en ligne cette vidéo, juste avant de se rendre au commissariat :

Faisant le plein dans des milieux plus aisés que jamais depuis une quinzaine d’années, la boxe n’est plus le sport traditionnellement populaire qu’elle a toujours été. Et la boxe “gitane” ? En surlignant l’ascendance de Christophe Dettinger et ses origines sociales, les médias ont réactivé au pas de course l’imaginaire d’un monde populaire violent, éruptif… et, mine de rien, pas très Français.

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