La grande marche des Gilets Jaunes vers une république démocratique et sociale

Par Danielle Riva
14 février 2019

Dans une brève esquisse d’organisation nationale que la Commune n’eut pas le temps de développer, il est dit expressément que la Commune devait être la forme politique même des plus petits hameaux de campagne et que dans les régions rurales l’armée permanente devait être remplacée par une milice populaire à temps de service extrêmement court. Les communes rurales de chaque département devaient administrer leurs affaires communes par une assemblée de délégués au chef-lieu du département, et ces assemblées de département devaient à leur tour envoyer des députés à la délégation nationale à Paris ; les délégués devaient être à tout moment révocables et liés par le mandat impératif de leurs électeurs.

… L’unité de la nation ne devait pas être brisée, mais au contraire organisée par la Constitution communale.

… Ainsi, dans cette nouvelle Commune, qui brise le pouvoir d’État moderne, on a voulu voir un rappel à la vie des communes médiévales, qui d’abord précédèrent ce pouvoir d’État, et ensuite en devinrent le fondement. – La Constitution communale a été prise à tort pour une tentative de rompre en une fédération de petits États, conforme au rêve de Montesquieu et des Girondins, cette unité des grandes nations, qui, bien qu’engendrée à l’origine par la violence, est maintenant devenue un puissant facteur de la production sociale.

… C’était essentiellement un gouvernement de la classe ouvrière, le résultat de la lutte de la classe des producteurs contre la classe des appropriateurs, la forme politique enfin trouvée qui permettait de réaliser l’émancipation économique du travail. »

Karl Marx (1871) La Guerre civile en France, 1871 (La Commune de Paris) :

Depuis le 17 novembre 2018, contre toute attente, une partie non négligeable de la France s’est « mise en mouvement », occupe l’espace des ronds-points, parcourt les rues des villes, demande la hausse du pouvoir d’achat, la démission de Macron, plus de justice fiscale, et le retour à une démocratie citoyenne et pluraliste. La crise politique était là depuis plusieurs années, depuis l’élection de Sarkozy, puis de Hollande qui avait juré que le premier acte de son quinquennat serait d’aller en Allemagne pour dire « Non ! à la contrainte budgétaire » et à l’austérité. On sait comment cela a fini, par une capitulation sans principes, et l’éclatement d’une social-démocratie devenue libérale.

La loi Macron-El Khomri, les attaques sur les retraites, la casse du droit du travail, l’extrême flexibilisation des emplois et les cadeaux offerts à un patronat de plus en plus exigeant et prêt à combattre toute tentative éventuelle de retour à une politique sociale, ont rencontré une grande résistance, des manifestations, des grèves, dans la santé, les maisons de retraites, la justice, l’enseignement, la fonction territoriale, les pompiers, bref surtout les corps de métiers qu’offrent la fonction publique ainsi que chez les retraités ponctionnés financièrement au nom de la « solidarité générationnelle ».

Rien ne semblait pouvoir stopper la voie aux « réformes » de Macron. Ce président ma élu et par défaut grâce au : « Tout sauf Le Pen », candidat du patronat (le Medef), soutenu par presque toute la presse et les autres médias (Au premier tour de la Présidentielle, Macron 24%, Le Pen 21%, Fillon, Les républicains, 20%, Mélenchon, France Insoumise 19,5%). Son élection « ni de droite ni de gauche » a fait imploser le duo « droite/gauche » qui était, il est vrai, en voie de décomposition pour avoir hésité entre politique sociale et politique d’austérité pour finir, droite et gauche, par choisir l’austérité et la sujétion à Bruxelles.

Une France divisée, une classe moyenne inquiète, un « peuple de gauche » qui enregistrait défaite sur défaite ; une grande partie des Français voyait leur horizon bloqué ainsi que celui de leurs enfants par les projets d’une élite technocrate qui se comportait comme la direction absolue de « l’ouverture au monde » et s’appuyait sur la finance et les multinationales. Il devenait de plus en plus évident que « la politique » était réservée à des « experts » de tous poils, aux politiciens pour une politique dans laquelle la masse des Français ne se reconnaissait plus. La contestation de la représentation républicaine devenait de plus en plus forte et suivait la courbe du taux d’abstention aux élections.

Il y avait un vide politique. La politique a horreur du vide. Il y avait une place à prendre. Ce ne peut être le Pen. Jamais elle ne sera élue à la présidence de la République, avec son discours xénophobe et elle a fait les preuves de son incapacité à gérer le pays lors de son débat avec Macron. Ni un JL Mélenchon au message brouillé, partagé entre son ultra gauche, ses populistes et ses « souverainistes-nationalistes » dont il vient d’exclure quelques-uns qui étaient de ses plus proches compagnons…

On se disait « cela va éclater, un jour où l’autre, ce n’est pas possible ! ».

C’est arrivé avec les Gilets jaunes qui percutent la scène politique d’un un pays meurtri et désabusé, bouleversant tous les pronostics de reddition du peuple Français aux impératifs de Bruxelles. Macron avait crié devant les caméras lors du lancement de l’enquête sur la nébuleuse affaire Benalla « Qu’ils viennent me chercher, je réponds au peuple Français » (le 2 juillet 2018). Les Le 17 novembre 2018, les Gilets Jaunes par centaine de milliers ont dit : « Ok ! on arrive ».

« Fracture sociale »

L’élection de Macron a « révélé la fracture sociale, culturelle et territoriale » de la France (in C. Guilluy, « No society, la fin de la classe moyenne occidentale », Flammarion, Septembre 2018).

En fait, la « fracture sociale » mise en évidence en son temps par Chirac, s’est accélérée au cours de ces dernières décennies, mais rien n’a été réalisé pour la combler. 30 ans de politiques néfastes, de désindustrialisation, de délocalisation, de privatisation des entreprises sous contrôle de l’Etat, de réduction du nombre de fonctionnaires de l’Etat au service des Citoyens, de réduction des politiques sociales, d’un aménagement territorial qui organise le retrait des services de l’Etat : mairies, postes PTT, écoles, gares, hôpitaux, maternités, etc., car ils seraient « non rentables ». Quelle peut-être la « rentabilité » d’un hôpital ? D’une maison de retraite ?

La mise en place des « métropoles » (ces villes qui ont vocation à devenir « européennes » !), à la tête de 13 régions dessinées sur le coin d’une table par Hollande, a remodelé le paysage politico-social de la France et généré les « nouveaux déserts » urbains, péri-urbains et surtout ruraux. Diverses études ont constaté un écart grandissant entre ces « métropoles », leurs banlieues, le péri-urbain et la ruralité. La misère dans la ruralité est la même que dans les banlieues « à problèmes ». Mais on l’entend moins.

Le renoncement à une France industrielle de qualité, la préférence pour le secteur des services, a eu pour conséquence l’éclatement du collectif de travail dans l’entreprise et dans la société, une libéralisation du marché du travail, et de nouvelles formes du salariat : uberisation, mise en place du statut « entrepreneur individuel » travail sans protection sociale pour des « plates formes », multitude de contrats pour un temps défini, dits de mission, etc. : la précarité a provoqué des ravages brutaux et donné naissance à un nouveau salariat hyper individualisé et surexploité, surtout chez les jeunes arrivant sur le « marché » du travail. En 2016, par exemple, 44,1 % des salariés de 15 à 24 ans ont un contrat à durée déterminée contre 9 personnes sur 10 pour les 50-64 ans.

« La dissolution de l’hégémonie ouvrière sur les classes populaires, les formes dégradées du contrat de travail, l’éclatement de la condition salarié entre le salariat protégé/et une pérennité relative du travail, et un salariat oscillant entre les périodes relatives des variations conjoncturelles du marché de l’emploi » (Enquête des classes populaires, un essai politique, Sophie Baroud, Paul Bouffartigue, Hent Eckert, Denis Merken, Edition La dispute, septembre 2018).

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La France, 5ème puissance économique du monde, compte plus ou moins 9 millions de pauvres. 8,8 millions ont un revenu de 1000 euros, soit inférieur à 60% du revenu mensuel médian estimé à 1650 euros). 2,2 millions de Français vivent avec un revenu égal à 40% de ce revenu médian, soit 660 euros. 4,150 millions perçoivent les minima sociaux, le RSA, pour un montant de 485 euros. 4,7 millions de personnes reçoivent une aide alimentaire. Le minimum vieillesse est à 835 euros. (Rapport de l’observatoire de la pauvreté, 1ère édition 2018). Près de 40000 personnes avec ou sans travail dorment dans les rues de la France.

Il n’y a rien d’autre à dire. C’est là le cœur de la révolte des Gilets Jaunes.

Les Gilets Jaunes, qui sont-elles – qui sont-ils ?

50 et 55% de la population : employés, ouvriers, artisans, petits commerçants, des métiers peu qualifiés ou non qualifiés dans lesquels les femmes sont majoritaires et qui n’ont pas de représentation syndicale ou politique. Voilà pourquoi il y a autant de femmes Gilets Jaunes qui animent les ronds-points, qui sont présentes dans les manifestations, et se retrouvent souvent à la tête des groupes Gilets Jaunes. Elles ont été les premières à réagir. Comme Priscilla Ludovsky, une jeune Martiniquaise de 33 ans, qui a lancé fin Mai 2018 une pétition contre l’augmentation de la taxe « carbone » (sur les carburants) sur les réseaux, qui a recueilli rapidement plus d’un million de signatures. C’est l’une des trois porte-paroles les plus connus des Gilets Jaunes. Une jeune femme, au statut « d’entrepreneur individuel » c’est-à-dire qu’elle s’est créé son propre emploi pour échapper au chômage et qui l’oblige à se déplacer en voiture. Cette augmentation de la taxe « carbone » pour financer la soi-disant « transition écologique » était en fait destinée simplement à alimenter les caisses de l’Etat, comme l’a plus ou moins reconnu Macron, lui-même. Elle venait lourdement grever le budget des salariés, des banlieues et des ruraux qui n’ont d’autres moyens pour se déplacer, que leur automobile.

Sociologie des Gilets Jaunes. Cette enquête de 2014 donne des chiffres qui offrent une image assez proche des gilets jaunes d’aujourd’hui.

Professions intermédiaires : 6632000 salariés, soit 23,2% du total, dont 50% de femmes

Employés : 8132000, soit 28,52% des salariés, 76% de femmes
Dont Employés non qualifiés : 59% dont 80% sont des femmes

Ouvriers : 6178000 soit 21,6% des salariés, 19% de femmes
Dont Ouvriers non qualifiés : 2035000 58% dont 38% de femmes

Travailleurs « isolés » (sans la possibilité d’aborder collectivement les questions d’organisation du travail ou de coopérer avec d’autres salariés) : Cadres, 9%, Prof intermédiaires, 25%, Employés qualifiés, 35%, Ouvriers qualifiés, 42%
Employés non qualifiés 59%, Ouvriers non qualifiés, 58%.

Les métiers du salariat « féminin » :

2750000 employés non qualifiés : 80% sont des femmes : Assistantes maternelles 99% de femmes, agents de la fonction publique 78% de femmes, caissiers et employés de libre-service et autres vendeurs non qualifiés : 80% de femmes, hôtellerie-serveurs-restauration 66% de femmes,
Ouvriers non qualifiés : 2035000, 38% de femmes.

Un Chômage important (au dernier trimestre 2018) :
3,676 millions de chômeurs sans aucune activité, près de 9 % de la population active. 5,916 millions de demandeurs d’emploi (avec ou sans activité) sont inscrits à Pôle Emploi.

Apolitiques et anti-syndicats

Cette importante frange de la société, ces citoyens ne sont plus représentés à l’Assemblée Nationale, comme ils le furent un temps par les Radicaux centristes, le PCF ou le PS. Certains votent Le Pen par défi, d’autres pour la France Insoumise, mais pour l’essentiel, ils s’abstiennent. Ils se disent apolitiques, car la politique ne s’occupe pas d’eux. Mais en réalité leurs revendications sont devenues au fil des manifestations de plus en plus très politiques et s’adressent directement au chef de l’Etat.

C’est aussi une population étrangère aux syndicats. Les syndicats rencontrent de plus en plus de difficultés à organiser les salariés dans les entreprises, le patronat y veille, mais bien que le taux de syndicalisation soit peu élevé en France (8%) il est encore très en-deçà de leur réelle influence dans le monde du travail. Or une grande partie des Gilets Jaunes sont des salariés « indépendants » isolés, qui courent les contrats à durée déterminée, les petites “missions”, le mi-temps pour les femmes, etc., qui sont au chômage ou à la retraite, ainsi que des petits patrons et artisans. D’où l’absence de syndicalisation. Quant aux chômeurs, seuls une petite partie d’entre eux a créé des syndicats, surtout à la CGT. La difficulté est là. Comment les syndiquer, les défendre ? Les syndicats pourraient leur ouvrir les bourses du travail, les Unions locales qu’ils gèrent, les mettre à disposition de ces « exclus du syndicalisme » pour qu’ils puissent se réunir, refaire du lien social, s’organiser. Il y a eu au départ une méfiance des syndicats, CGT comprise, devant l’hétérogénéité du mouvement des Gilets Jaunes et vice versa des Gilets Jaunes envers les syndicats qu’ils voient comme des Institutions de l’Etat.

Mais s’ils manifestent essentiellement le soir, les Samedis ou les weekends, c’est donc qu’ils travaillent, ou « galèrent » dans la semaine pour leur survie. La CGT a fini par comprendre qu’elle avait là devant elle une fraction du salariat et qu’elle devait lui tendre la main. Quant à la CFDT elle les a catégorisés comme infréquentables et refuse de discuter avec eux.

Leurs revendications. (Cf. le document des 42 revendications des Gilets Jaunes)
Avant tout, le mouvement des Gilets Jaunes est un mouvement à un moment donné qui reflète le niveau moyen d’une population qui se sent délaissée par les « politiques ». Il est parti d’une grogne contre la hausse d’une taxe pour finir par réclamer la hausse du pouvoir d’achat, la justice fiscale, le retour de l’ISF (impôt sur la fortune), la fin du CICE : les 42 milliards pour le patronat lancés par Hollande et poursuivis par Macron. Ils se proposent de démocratiser la Vème république avec le Référendum d’Initiative Citoyen. Et malgré la violence de certaines des manifestations, les images de voitures brûlées et diffusées en boucle sur les écrans, les Français se reconnaissent en lui et le soutiennent. Encore près de 50 à 60% des Français, après 12 semaines de manifestations violentes.

Macron est largement haï par les Français pour sa morgue « jupitérienne » et ses petites phrases assassines qu’il leur adresse. Macron n’aime pas la France et les Français, ils n’étaient qu’un tremplin pour sa conquête du pouvoir et se pavaner comme le plus intelligent des européens.

Macron ne veut rien voir, ni entendre, il est en campagne

Les revendications sont politiques, elles s’adressent directement à Macron. Il a lâché quelques 10 milliards. Mais une partie de cette manne est le résultat de tours de passe-passe. Une prime d’activité comptabilisée pour 2022 a été avancée, la réduction de la CSG pour une petite partie des retraités, la hausse du taux horaire du smig, l’exonération des heures supplémentaires. Bref un ensemble de mesures de l’Etat qui ne touchent pas les entreprises et ne bouleversent pas le niveau de vie de ceux qui sont dans la rue…

Mais il semble surtout que Macron veuille laisser le mouvement pourrir et tout faire pour l’isoler. Et comme à son habitude, il le discrédite en les traitant de fascistes, racistes, d’ignorants, d’analphabètes, de terroristes, « d’irréductibles Gaulois » etc. Un « Bonaparte » de pacotille qui n’aime pas son peuple. Cela peut lui couter très cher, lui coûter son quinquennat. Certes, le mouvement n’est pas constitué que de gentils. Dans tout mouvement de cette ampleur il y a de la violence. L’histoire de France est faîte de Jacqueries et de Révolutions contre la misère et la violence de l’Etat. Il y a aussi des groupes de Black Block, d’extrême-droite, et d’extrême gauche qui paradent et se rejouent la guérilla urbaine, des actes et des slogans inacceptables et des Gilets Jaunes qui sont attirés par la violence car ils n’ont que la violence pour clamer leur condition d’exclus.

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Macron, a choisi de riposter par une violence rarement vue depuis les « émeutes » de 2005, et au-delà : plus de 8400 interpellations (selon Castaner, Ministre de l’intérieur), 1800 condamnations, plus de 2500 blessés, 188 blessures à la tête, 20 ont perdu un œil, 5 mains arrachées, bilan au 14 février 2019. Un bilan de guerre civile ! Un vrai scandale. Des avocats manifestent, revêtent un Gilet Jaune par-dessus leur robe et se proposent de les défendre. De fameux juristes crient à l’atteinte aux libertés fondamentales et un député de la République en Marche, seul bien sûr, a même eu le courage d’oser une comparaison avec la France de Vichy ! De nombreuses pétitions réclament la suppression des grenades d’encerclement ou des flashs ball à l’origine des blessures et une sanction pour ceux des forces de l’ordre qui ont tiré et pour ceux qui leur en ont donné l’ordre. Si Macron le pouvait, il enverrait tous les Gilets Jaunes au bagne à Cayenne !
L’Assemblée Nationale est aux ordres de Macron-Jupiter. Une assemblée avec 307 élus sur 577 élus, et 104 élus Les Républicains (qui votent trop souvent les lois Macron), le Mouvement démocrate 46, 29 centristes de l’UDI, 29 socialistes apparentés, 17 France Insoumise, Pcf et alliés 16. Elle vient de voter le 5 février 2019, par 387 voix contre 92, une loi liberticide, qui bafoue la liberté de manifester et pose un gros problème à la démocratie française. Il sera désormais loisible aux préfets (qui peuvent être nommés par l’Etat), et non plus aux juges comme précédemment (en principe plus indépendants), de rendre des interdictions administratives de manifester sur tout le territoire et pour une durée d’un mois contre des personnes qui n’auraient pas commis d’infraction, sauf à se rendre à une manifestation !
Au même moment, se déroulait la première journée de manifestation solidaire entre Gilets Jaunes et syndicats (CGT, FO, Sud).

Macron dit être à l’écoute des Français. Tout le monde s’attendait à ce qu’il fasse un signe en direction des Gilets Jaunes. Niet. Au contraire, il a assorti la répression d’un « grand débat » une pantomime d’une durée de 3 mois. Qui se trouve être au fil des jours, un monologue, une campagne vantant sa politique. Il a choisi les questions et donne les bonnes réponses à cocher sur le document diffusé sur internet. Il s’est décidé à sortir de l’Elysée pour « dialoguer » avec des Maires et des Français plutôt âgés et triés sur le volet. L’absence des jeunes est remarquable.

Par contre, plus de 5000 maires ont compris l’urgence d’un dialogue avec leurs citoyens et ont mis des « cahiers de doléance », une formule reprise à la Révolution française, à la disposition de tous les habitants de leur commune pour qu’ils s’y expriment ce qu’ils ont fait massivement.

Mais les Gilets Jaunes « Ont encore moins besoin qu’on limite leurs choix à des questions secondaires ou, bien pis, que le locataire de l’Elysée en profite pour faire passer les réformes qui lui tiennent à cœur. » (André Bellon, Association pour une Constituante). Ils ont riposté. Dans une lettre ouverte au Président de la République du 23 janvier 2019, les Gilets Jaunes du groupe « référendum initiative citoyenne en action » ont décidé d’organiser le « vrai débat » :

« Pour appeler à participer et appuyer votre démarche, il manque en effet trois conditions essentielles. Afin de garantir aux Français son utilité, nous déploierons un dispositif à même de les satisfaire au mieux. En premier lieu, il nous semble indispensable que ce débat soit mené de manière indépendante et avec une transparence exemplaire. …, nous participerons dans les prochains jours à la mise en place d’un Observatoire qui étudiera les dispositifs et méthodes utilisés dans les débats, qu’ils soient organisés dans ou en dehors du cadre du Grand Débat. Ces éléments nous permettront de mettre en avant les réussites mais aussi d’alerter sur les dysfonctionnements … En deuxième lieu, il nous semble indispensable qu’un engagement politique clair et fort soit pris sur le débouché concret des propositions qui émergeront … Ainsi, pour garantir la crédibilité et l’intérêt de la démarche, nous recommandons la mise en place d’une Assemblée citoyenne tirée au sort, représentative de la société, chargée de faire des propositions donnant lieu à un référendum à choix multiples. Les débats de cette assemblée seraient filmés et retransmis en continu. »

Le Président et son gouvernement, ne savent que faire. Ils donnent l’impression de paniquer, ils se contredisent, ils ont peur. Ils ne savent comment mettre fin au mouvement, sauf à le traiter par mépris, le criminaliser, et tenter de séparer les « bons » des « mauvais » Français. Le reste n’est que spectacle médiatique, manipulation de l’opinion publique. Macron ne lâchera rien, et si par pur hasard il était tenté de le faire, il finirait par se ranger à l’avis de la commission européenne qui lui rappellerait ses engagements. Le mouvement des Gilets Jaunes s’est donc installé dans la durée.

Quel avenir pour le mouvement ?

Le mouvement des Gilets Jaunes est un mouvement hétérogène. Il est divers, pluraliste, regroupé et engagé dans une contestation fondamentale des politiques menées jusque-là ; pour le principe de l’égalité, de la justice sociale, et de l’élargissement démocratique. Pour recréer du lien social dans une République qui a oublié d’œuvrer pour l’intérêt général.

Il y a des centaines de groupes qui interviennent sur les réseaux sociaux. Chaque groupe, chaque porte parole a sa propre vision. C’est la première fois qu’ils se confrontent concrètement à la vie politique.

« La France en colère ». Site facebook créé par Priscillia Ludovsky et Eric Drouet. Ils ont organisé ensemble les premières manifestations. Aujourd’hui Ludovsky, refuse la violence de Drouet, et dit vouloir prendre son temps. Elle pencherait pour la création d’une association. Elle appelle à un grand rassemblement début Mars sur un weekend, et au-delà si nécessaire, « un acte décisif », par tous ceux : « qui veulent retrouver du pouvoir d’achat, de la justice fiscale, de la justice sociale, qui veulent une consommation saine et une vraie transition écologique, qui veulent un mode de représentativité différent, un système de démocratie participative »

« La France énervée » d’Éric Drouet, (chauffeur routier 33 ans) et 126 mille membres référenciés sur son site, veut continuer à occuper la rue pour faire aboutir les revendications, car c’est la rue qui a rendu visible les Gilets. La rue c’est leur force. Il vient d’être jugé pour des faits mineurs non avérés selon son avocat et les témoins de son arrestation, à 1 mois de prison avec sursis. Une vieille tactique du pouvoir : interpeller certains des « meneurs » les plus en vue et les condamner pour faire peur aux autres.

« Fly Rider » : Maxime Nicolle, a écrit sur son site (près de 40000 membres) « On n’arrête pas de demander une grève générale. Mais pour cela, il faudrait que les syndicats s’en mêlent et on ne veut pas de syndicats puisqu’ils vont vouloir tirer leur épingle du jeu et prendre un billet au passage [sic]. Donc c’est un peu compliqué ». Il a aussi été faire un petit tour en Italie pour « une Europe des peuples » qui ne soit pas « celle de la finance ». Il a un défaut : de voir des complots un peu partout. C’est la troisième « tête » des Gilets Jaunes avec Priscillia Ludovsky, et Eric Drouet.

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« La France qui souffre » de Jacline Mouraud (« hypnothérapeute » en Bretagne, – sic) qui vient d’annoncer la création de son parti ‘les émergents”, « un parti du bon sens », « sans étiquette » avec « des idées nouvelles et constructives pour le pays, en harmonie avec les enjeux du changement climatique » et qui « arrête de nourrir le culte de la société de consommation » (le parisien, 7 janvier 2019)
« Citoyenne en Gilet Jaune » Ingrid levavasseur (31 ans, aide-soignante) s’était engagée à donner forme à une liste pour les européennes. Sa décision a fait l’objet d’intenses polémiques sur les réseaux, les Gilets Jaunes lui déniant le droit de les représenter. Elle vient d’annoncer qu’elle quittait la liste. Le mouvement des Gilets Jaunes a flairé une manœuvre du gouvernement. Quelques-uns de ses colistiers auraient eu des contacts ou s’étaient présentés sur la liste LRem aux législatives. Il est vrai que Benjamin Griveaux, porte-parole de Macron, avait tout de suite soutenu cette initiative, qui, si elle devenait réelle, pourrait prendre des voix à la FI et aux républicains et permettrait donc à la liste de Macron d’être en tête.

L’un de ses colistiers, C. Chalençon, du Vaucluse, plutôt sulfureux, est celui qui a organisé ce rendez-vous avec di Maio du M5S italien à l’origine de la brouille entre Français et Italiens et qui précédemment avait recherché le soutien de Bernard Tapie, ex-ministre, aux effluves d’escroquerie, de Mitterrand. Chalençon fait état d’une possible solution militaire, de l’existence de paramilitaires prêts à mettre un général à la tête du pays !

Le « Mouvement alternatif citoyen (MAC) », fondé par Hayk Shahinyan de la région lyonnaise, ce tout nouveau ancien directeur de campagne d’Ingrid Levavasseur veut continuer la campagne pour les européennes.
Des groupes pour « le Référendum d’Initiative Citoyenne ».
Des Groupes de femmes « Gilets jaunes » nombreuses à dénoncer l’inégalité, le sexisme, les violences contre les femmes, le viol.
Des groupes de quartiers, y compris à Paris…

Et enfin le groupe de « l’Assemblée de Commercy » qui milite pour une structuration horizontale et a lancé un appel à tous les autres groupes (cf. leurs 3 appels). Après le succès de leur « Assemblée des assemblées » de fin janvier qui a réuni plus de 150 groupes venus de toute la France, ils annoncent une nouvelle « Assemblée des assemblées » qui se tiendra à Saint Nazaire début Avril.

Voilà pour certains des plus médiatisés. La plus grande partie des groupes hésite encore à se structurer. Ce sont des Gilets « citoyens » qui refusent la « verticalité » de l’organisation et du pouvoir. Une infime partie dit vouloir participer au « grand débat » lancé par Macron.

Les Gilets Jaunes en mouvement, sont pluriels, irréductibles, se regroupent par affinités, mais personne ne peut prédire ce que qu’ils vont devenir. La solution politique est entre les mains de Macron qui ne pourra peut-être pas échapper à de nouvelles élections législatives s’il veut poursuivre son mandat de 5 ans.

Conclusion provisoire

Toutes les forces politiques et ce qu’il en reste, collent au mouvement des Gilets Jaunes, à « gauche » : Pcf, ex socialistes, socialistes divers, Parti de gauche, Ensemble… Toutes, y compris « l’extrême gauche » et aussi « l’extrême droite ». Toutefois, il y a un mouvement qui est particulièrement dépité : c’est la France Insoumise. JL Mélenchon a beau dire : qu’il est « fasciné par Eric Drouet », que les Gilets Jaunes ont repris ses propositions pour une 6ème République, qu’il est l’inspirateur du Référendum révocatoire, de l’élection à la proportionnelle etc., – ce n’est pas faux, ces idées sont bien présentes dans la société française – mais il n’a pas réussi à briser la méfiance des Gilets Jaunes qui refusent toute OPA politique de gauche ou de droite.

Il en est de même pour Marine Le Pen qui avait soutenu le mouvement à son début. Elle a reculé ensuite devant « la violence » des affrontements entre forces de l’ordre et Gilets Jaunes. Elle s’affirme maintenant comme le parti de « l’ordre », surtout pour récupérer quelques personnalités de droite chez Les Républicains, toujours en pleine déconfiture. Elle en a gagné quelques-uns comme Thierry Mariani, ancien ministre de Sarkozy et ancien Gaulliste.

L’extrême droite pollue le mouvement avec ses appels séditieux et anti sémites, et affronte physiquement « l’extrême gauche » lors des manifestations. Le NPA en a fait la douloureuse expérience lors d’une manifestation.

Les militants syndicaux sont mieux acceptés, car ils vont le soir après le travail retrouver les Gilets Jaunes, en recherche de cette fraternité souvent absente ailleurs.

La très large majorité des Gilets Jaunes veut une République démocratique et sociale. Ils ne renonceront pas. Ils continuent d’élargir leur mouvement, ils bouillonnent d’idées, ils sont dans la durée jusqu’à la « victoire » sur Macron, son gouvernement, et indirectement sur la construction européenne actuelle et le capital libéral. Ce qu’ils veulent, tout simplement, c’est changer le système. En s’organisant pout rétablir le pouvoir de la volonté citoyenne, ils apportent une alternative démocratique. Un premier pas vers une recomposition politique et sociale, qui aura une suite dans les autres pays européens.

Or l’Allemagne est actuellement en difficulté, sa politique peut conduire à l’éclatement de l’UE telle qu’elle est aujourd’hui. Macron pourrait saisir cette opportunité pour créer un rapport de force et changer de ligne. Il ne le veut pas, il est le chantre du libéralisme. Or, le patronat soutient Macron tant qu’il est capable de mener « les réformes », mais, s’il n’est plus apte à maintenir « l’ordre » que se passera-t-il ?

Le processus en cours porte en lui un espoir auquel il ne faut pas renoncer. Le soutien des forces politiques de « gauche », ce qu’il en reste, est indispensable, elles doivent comprendre ce qui est réellement en marche et taire leurs divergences. Un dialogue, un soutien et non une tentative de récupération, jusqu’à arracher de nouvelles élections à la proportionnelle, à un Président jusque-là peu respectueux de la volonté du « peuple ». Oui c’est redevenu possible.

L’Assemblée de Commercy appelle à l’organisation horizontale. Et pourquoi ne pas refaire de la commune la base de la démocratie citoyenne ? Une Assemblée des assemblées au niveau départemental ou régional, une Assemblée des assemblées au niveau national ? Avec des représentants tirés au sort, révocables… Une réflexion proche de l’autogestion. Il faut laisser aux Gilets Jaunes le temps de murir leur projet. Ils ne veulent plus qu’on leur fasse la leçon, avec raison. Qu’est donc devenu le projet d’alternative ? Pourquoi la reconstruction d’une politique anticapitaliste et anti-impérialiste ne pourrait-elle pas passer par une lutte pour une République sociale et démocratique, sous le contrôle des citoyens agissants ?

 

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