ACTE XII… la leçon du respect

Des milliers de ronds-points animés, des dizaines de barrages dressés, plusieurs milliers de kilomètres d’itinéraires poursuivis, plus d’un million de manifestants toutes générations confondues et beaucoup de femmes… douze semaines de mouvement sans fléchir malgré la répression

Comment porter une voix sans haine ni vengeance mais avec exactitude devant le dédain ? Comment porter la blessure autant physique qu’affective face à l’injustice et la brutalité d’un système de pensée économique et politique broyeur d’humanité ?

Dans quelle langue dire l’urgence de la reconnaissance de ses plaies à une autorité ayant perdu tout sens de la réalité qu’elle fait vivre à ses victimes ?

C’est ce que questionne depuis douze semaines à l’adresse du pouvoir, la multitude étoilée de gilets jaunes exigeant le respect de son identité.

  Respect de ses blessés.

Respect de son indépendance vis à vis des partis, syndicats,organisations diverses et variées.

Respect de sa parole directe hors tout représentant-leader-faussaire

Respect de son intégrité dans le choix de ses actes, de ses pensées, de ses propos.

Respect de sa fraternité exemplaire dans la différence.

Respect de son imagination créatrice d’un « NOUS » habitant du monde sur tous les horizons.

 Cette exigence de respect devrait être perçue par des autorités responsables comme un véritable enseignement que le peuple leur dispense avant qu’elles ne s’abîment dans le mythe autoritaire d’une légitimité sans épreuve. Une telle leçon donnée depuis trois mois par le mouvement  tient dans son insistance et sa détermination d’habiter la rue comme s’il s’agissait à travers elle, d’affirmer qu’on habite sur cette terre, ensemble pour un séjour commun dans l’esprit magnifique que révèle cette phrase étonnante écrite sur une pancarte de manifestant . « début de nous à la fin du moi »

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C’est un rapport tout autre au monde et à la communauté humaine qui s’exprime là, à travers

une amitié tissée jour après jour dans la rencontre  fraternelle avec l’autre au cœur du mouvement.

C’est cela qui permet aux femmes et hommes de durer dans la lutte et de se donner le droit de continuer à vivre malgré et au-delà de leur peine et des blessures qu’on leur inflige

 Chaque jour sur les ronds-points, dans les cabanes, au cours des assemblées populaires où on débat de ce qu’on va agir pour durer, mais aussi à l’occasion de chaque marche hebdomadaire et son bilan, il se forge certes une dynamique de coopération entre tous, et plus encore une puissante manière d’habiter ensemble sur terre aujourd’hui. En  cela se recrée la légitimité du  séjour humain sur cette terre ainsi que les moyens de la préserver en tout respect de la Nature.

A cet égard,  le mouvement des gilets jaunes est un mouvement authentiquement poétique non pas au sens, détourné et confus d’arracher quiconque à la réalité pour fuir dans un rêve sentimental. Bien au contraire, il est poétique car il est capable de mesurer pleinement au cœur du réel, toute l’étendue de la peine que tous vivaient jusqu’alors solitairement dans la division tandis que maintenant, heure après heure, grâce à  la lutte, tout  s’éclaire d’un ciel certain en chacune, chacun grâce au fruit d’une profonde fraternité construite, vécue. C’est cette fraternité à elle seule qui  fait s’aimer être Homme sur notre terre et permet de relever la tête par-de-là ses blessures.

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L’acte poétique  qui consiste à vivre dans cet esprit malgré la répression et le déni des possédants, n’est pas de toujours, ni définitivement acquis. Il  dure comme nous le rappelle le poète Hölderlin , aussi longtemps que « ce qui de pure amitié dure encore… »

 Dès lors qui s’étonnera que les semaines passent et que ceux qui s’impatientent d’ attendre la fin du mouvement, pâlissent de fureur autant que de peur devant autant d’endurance.

Le grand enseignement poétique et philosophique que les « gilets jaunes » donnent à l’époque et à nos politiques est le suivant : Loin des plans qu’un architecte bien intentionné dessinerait en vue de construire  l’ habitat pour  un mieux être, c’est le mieux être lui-même qui est l’unique habitat digne d’un séjour humain sur terre, entre les Hommes. Cet habitat est construit  par le vécu de tous depuis la maison ouverte à l’autre jusqu’à la rue du monde…

Il faut entendre  la dimension planétaire que peuvent prendre aujourd’hui les résonances de ce mouvement. Sa couleur, habitée du courage de celles et ceux qui durent, rend  étonnamment visible la beauté étrangère de cette lumière surgissant maintenant de l’apparence obscure   de la réalité soc

Philippe Tancelin
poète-philosophe