L’après-impérialisme !

Par Bouthaïna Chaabane
jeudi 25 janvier 2018,

AVANT PROPOS

I. Extrait du discours de fin de mandat du président des États-Unis, Dwight David Eisenhower [17 janvier 1961] :
«  Mais désormais, nous ne pouvons plus risquer l’improvisation dans l’urgence en ce qui concerne notre défense nationale. Nous avons été obligés de créer une industrie d’armement permanente de grande échelle. De plus, trois millions et demi d’hommes et de femmes sont directement impliqués dans la défense en tant qu’institution. Nous dépensons chaque année, rien que pour la sécurité militaire, une somme supérieure au revenu net de la totalité des sociétés US.

Cette conjonction d’une immense institution militaire et d’une grande industrie de l’armement est nouvelle dans l’expérience américaine. Son influence totale, économique, politique, spirituelle même, est ressentie dans chaque ville, dans chaque Parlement d’Etat, dans chaque bureau du Gouvernement fédéral. Nous reconnaissons le besoin impératif de ce développement. Mais nous ne devons pas manquer de comprendre ses graves implications. Notre labeur, nos ressources, nos gagne-pain… tous sont impliqués ; ainsi en va-t-il de la structure même de notre société.

Dans les assemblées du gouvernement, nous devons donc nous garder de toute influence injustifiée, qu’elle ait ou non été sollicitée, exercée par le complexe militaro-industriel. Le risque potentiel d’une désastreuse ascension d’un pouvoir illégitime existe et persistera.

Nous ne devons jamais laisser le poids de cette combinaison mettre en danger nos libertés et nos processus démocratiques. Nous ne devrions jamais rien prendre pour argent comptant. Seule une communauté de citoyens prompts à la réaction et bien informés pourra imposer un véritable entrelacement de l’énorme machinerie industrielle et militaire de la défense avec nos méthodes et nos buts pacifiques, de telle sorte que sécurité et liberté puissent prospérer ensemble » [1].

II. Extrait d’un discours du président de l’Égypte, Gamal Abdel-Nasser, sur les Mémoires de Dwight Eisenhower [début des années 60 ?] :
«  En 1957, les États-Unis ont tenté d’utiliser l’Arabie saoudite contre le Forces syriennes… propos tenus par Eisenhower en personne. Les Américains nient certains faits mais, chez eux, dès qu’un président a terminé son mandat, il publie ses mémoires et reconnait des faits qu’ils ont niés.

Ainsi, en 1957, ils disaient qu’ils ne soutenaient aucunement une “alliance islamique”, une “opération islamique” ou une action contre les forces syriennes ; alors que, dans ses mémoires, Eisenhower écrit qu’en 1957 ils voulaient envahir la Syrie et, qu’après avoir discuté de cette invasion avec les Turcs, ils ont préféré la confier à l’Irak.

Nous nous souvenons tous de ce qui s’est passé en cette année 1957 lorsque nous avons dépêché les forces parachutistes égyptiennes en Syrie avant l’Union [avec la Syrie : République arabe unie de 1958 à 1961] et avons déclaré que l’armée égyptienne se tenait aux côtés de l’armée syrienne […].

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En vérité, en 1957, lorsque les renseignements m’ont informé qu’un plan américain d’invasion de la Syrie était en cours de préparation avec la Turquie et l’Irak, je n’y ai pas cru […]. Mais, dans ses mémoires, Eisenhower décrit tout le plan et dit avoir envoyé Loy Henderson en Turquie pour se mettre d’accord sur l’attaque contre la Syrie ; qu’ensuite ses envoyés sont allés en Irak et se sont entendus avec Nouri al-Saïd ; mais, qu’une fois l’accord conclu avec l’Irak, ils avaient reculé […] [2].

Vidéo rediffusée à l’occasion du 100ème anniversaire de la naissance du président Nasser qui montre que le plan de déstabilisation de la Syrie a été conçu, au moins, depuis 1957 ; un plan du MI6 et de la CIA, approuvé par le président Eisenhower et Harold Macmillan, lequel plan prévoyait déjà l’invasion de la Syrie par ses voisins pro-occidentaux ainsi que l’assassinat de dirigeants syriens, tel que décrit par un article du quotidien « The Guardian » de 2003 [3][4].

Aujourd’hui, ce n’est plus un secret que cette première coalition contre la Syrie s’est transformée en ladite « Coalition internationale », laquelle a atteint, en 2012, 114 États membres des Nations Unies, pour ensuite tomber assez bas, avant de remonter ce 23 janvier [5] à une trentaine d’États membres, visiblement tentés par le contournement des résolutions du Conseil de sécurité, grâce à la stratégie de communication diplomatique de Paris qui n’a plus rien à envier à celle de Washington…[NdT]

Que le ministre américain de la défense, James Mattis, déclare que la priorité de Washington en matière de sécurité nationale n’est plus la lutte contre le terrorisme, mais la compétition entre les grandes puissances, et que l’avantage compétitif de l’armée américaine diminue [6] est un aveu important, à un moment politique important, qui exige que nous nous arrêtions pour réfléchir sur ses raisons, ses causes et ses conséquences.

Et que le ministre russe des Affaires étrangères, Sergueï Lavrov, lui réponde que la « stabilité stratégique » ne peut être atteinte qu’en coopération avec la Russie et la Chine, c’est aussi une réponse très importante dont il nous faut analyser les conditions de réalisation dans un contexte de dispositions américaines absolument contraires aux aspirations des peuples à la paix, à la stabilité, à la sécurité et à la prospérité.

Tout aussi important est le fait que l’aveu américain émane du ministre de la Défense, si bien qu’il ne peut être attribué aux délires de Donald Trump et à ses folies coutumières, mais à un haut responsable trônant au sommet du « gouvernement profond » qui dirige effectivement les États-Unis et représente l’élite possédant plus de 85% de la richesse du pays.

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Une élite dont la priorité des priorités est de rester le pôle dominant économiquement, militairement et politiquement, en ne permettant à aucune force la constitution d’un autre pôle, afin de piller la richesse des peuples, comme l’ont précédemment fait les puissances coloniales ; une élite à l’origine de toutes les tentatives et de tous les plans des services secrets étatsuniens, et d’autres, durant des décennies, jusque la dislocation de l’Union soviétique ; une élite qui a fini par étendre l’hégémonie des États-Unis ces vingt dernières années sur le monde, sur ses richesses, ses institutions, son organisation onusienne ; une élite qui refuse toute autre réalité que la sienne.

Par conséquent, les guerres étatsuniennes contre l’Afghanistan, l’Irak, la Libye, la Syrie, et plus récemment contre le Yémen, n’étaient absolument pas destinées à combattre le terrorisme. Bien au contraire, les États-Unis ont inventé le terrorisme, ont créé ses diverses organisations, les ont entraînées, armées et financées grâce à leurs valets gouvernant la Saoudie et à des hommes d’affaires islamistes, dans le but de le répandre et de freiner les forces montantes de la Russie et de la Chine.

D’où la pertinence et la justesse des propos du président Vladimir Poutine lorsqu’il révèle le but ultime de la guerre des Américains contre les Arabes et leur allié, l’Iran, en déclarant que « combattre le terrorisme en Syrie c’est défendre Moscou ». De même pour l’Iran qui dit que « défendre la Syrie contre le terrorisme c’est défendre Téhéran », sans parler de l’amitié historique entre les deux États et les deux peuples.

Cependant, tous leurs efforts pour renverser l’État syrien, diviser l’Irak par la création d’une entité kurde au nord du pays, démanteler l’axe de la Résistance, ont échoué grâce aux sacrifices de l’Armée arabe syrienne, de ses forces supplétives et du soutien constant, politique et militaire, des forces alliées.

Ce qui a contraint le gouvernement profond aux États-Unis à chercher une alternative pouvant néanmoins assurer deux priorités : d’abord, continuer à freiner tout pôle montant par n’importe quel moyen, notamment par des opérations menées via les terroristes et les services secrets ; ensuite, stimuler la roue de l’économie américaine pour qu’elle reste la locomotive tirant l’économie mondiale et ainsi accumuler encore plus de richesse entre les mains de l’élite possédante.

Or, la furie manifeste du ministre américain de la Défense contre la Russie et la Chine traduit l’inquiétude de cette élite, et de son gouvernement profond, face au pôle sino-russe devenu réalité. Quant à sa déclaration concernant la diminution incessante de l’avantage militaire américain, elle suggère la crainte d’une crise économique grave du fait d’un nombre de guerres insuffisant au maintien du dynamisme des industries militaires, hautement lucratives et première locomotive de l’économie américaine.

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En effet, après la Seconde Guerre mondiale, les États-Unis ont principalement investi dans le développement des industries militaires, au détriment d’autres secteurs. Aujourd’hui, avec les médias et les institutions financières, elles sont devenues l’épine dorsale de l’économie américaine. Or ces industries ont désespérément besoin de guerres nouvelles et continuelles, pour que l’armée américaine, et les armées des États alliés, achètent leurs productions et fassent main basse sur de nouvelles ressources qui nourriront, en retour, les possesseurs de ces industries sanguinaires. Par conséquent, l’absence de guerres importantes et prolongées signifie, pour les États-Unis, non seulement l’érosion de leur suprématie militaire, mais aussi la récession de leur économie.

Certes, ils ont tenté de remédier à cette récession en volant des milliers de tonnes d’or à l’Irak et à la Libye, avec plus de 800 milliards de dollars évaporés quelque part pour l’Irak, et Trump a récemment extorqué plus de 500 milliards de dollars à l’Arabie saoudite contre le maintien des dirigeants saoudiens au pouvoir. Mais tout cela ne relancera pas l’industrie militaire américaine. C’est pourquoi la réponse de Lavrov à Mattis, qu’il a invité au dialogue et non à la confrontation, est celle de ceux qui croient en la complémentarité et en l’importance des relations entre États fondées sur la préservation de la paix et de la sécurité internationales. C’est une réponse légitime et humaine, sans rapport avec le problème structurel dont souffre déjà l’économie américaine de l’après-impérialisme ; lequel problème ne peut donc être résolu que par la fabrication constante de grandes guerres pour la prospérité des usines d’armes américaines.

Telle est la crise structurelle de l’économie américaine qui étend son ombre sur la plupart des économies du monde. Telle est aujourd’hui la calamité pour l’humanité : celle du pays le plus puissant du monde dont l’économie s’est construite sur une industrie sanguinaire et destructrice, et sur la création des guerres pour maintenir sa suprématie.

Dr. Bouthaïna Chaabane

Conseillère politique du Président syrien Bachar al-Assad
Traduction de l’arabe par Mouna Alno-Nakhal
Source : New orient News

http://www.neworientnews.com/index.php/2013-08-24-22-19-26/57059-2018-01-23-06-54-35

Notes :