Saturday, 27 April , 2024

Wolfgang Schäuble : «Il n’y a pas de diktat allemand»

Par Jean Quatremer

Syriza, Tsípras, Grexit… Dans le cadre d’un documentaire, le ministre allemand des Finances a accepté de s’exprimer sur sa vision européenne par le prisme grec.

 

Comment avez-vous perçu la victoire de Syriza, en Grèce, lors des élections du 25 janvier ?

Cela ne m’a pas surpris, à la fois parce que les sondages avaient largement annoncé cette victoire et parce qu’Antónis Samarás [le chef de gouvernement sortant, ndlr] s’était montré très hésitant dans sa politique au cours des six mois précédents l’élection.

A l’époque, connaissiez-vous Aléxis Tsípras ?

Oui. Il est venu ici, à Berlin, et nous avons longuement discuté. C’est là qu’il m’a expliqué qu’il considérait notre politique comme une erreur, mais qu’il souhaitait bien sûr que la Grèce reste dans l’euro quoi qu’il arrive. Je lui ai alors répondu : «Si vous promettez à vos électeurs que vous resterez dans l’euro sans appliquer les conditions des programmes d’aide, alors vous allez faire une promesse que vous ne pourrez pas tenir.» Le soir du 25 janvier, la seule question que je me posais était de savoir comment il allait s’y prendre pour sortir de ce piège qu’il s’était tendu à lui-même durant la campagne.

Vous, le démocrate-chrétien, n’aviez pas de préventions idéologiques contre Syriza, un parti de gauche radicale qui incarne tout ce que vous combattez ?

Absolument pas. En Allemagne, je combats les sociaux-démocrates du SPD pendant les campagnes électorales, car je suis un chrétien-démocrate convaincu. Tout comme en France je soutiens mes amis Les Républicains. Mais, une fois que le peuple a décidé, c’est celui qu’il a élu qui représente son pays. C’est pour cela qu’il importe peu que le ministre français des Finances soit socialiste ou conservateur : en tant que Français, c’est mon partenaire le plus proche et le plus important, et, généralement aussi, mon ami.

Pendant la campagne, Syriza a joué sur la fibre nationaliste et vous a attaqué personnellement, faisant de vous le tortionnaire du peuple grec. Vous avez même été caricaturé en nazi. Est-ce que cela vous a blessé ?

Cela ne m’a pas atteint personnellement, mais cela m’a rendu très sceptique envers ces politiques qui essayaient de gagner des voix avec de tels discours. Aléxis Tsípras est allé jusqu’à affirmer, avant et après l’élection, que si l’Allemagne payait à la Grèce des réparations pour les crimes et les destructions commis par les nazis durant la Seconde Guerre mondiale, cela permettrait d’éponger l’ensemble de la dette publique. Quelqu’un qui raconte de telles inepties à son peuple ne remplit pas son devoir, qui est de dire la vérité. Ce nationalisme, ces discours irresponsables ne pouvaient que se retourner contre ceux qui les utilisaient. Car, si j’étais Grec, je me dirais : «Puisqu’il y a quelqu’un qui nous doit autant d’argent, alors pourquoi devrais-je faire des économies ?» Mais je ne suis pas l’arbitre de la politique de la Grèce.

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La question de savoir si la politique d’austérité est la cause des problèmes grecs est une question dont nous débattons régulièrement. Mais il ne faut pas oublier qu’en 2009, c’est-à-dire avant la crise de l’euro, le déficit public de la Grèce était de 15 % du PIB et celui de sa balance commerciale – l’excédent de ses importations par rapport à ses exportations – de 15 % également. Une économie qui affiche de tels chiffres vit de toute évidence au-dessus de ses moyens. Elle peut le faire pendant un certain temps, mais il arrive un moment où on ne trouve plus personne pour vous faire crédit. C’était cela, la situation de la Grèce. Lorsque les marchés ont cessé de lui prêter de l’argent, début 2010, nous lui avons dit : «La zone euro et le Fonds monétaire international vont vous aider à gagner du temps en assurant votre financement à des conditions très favorables, mais, bien sûr, à condition que vous utilisiez ce temps pour remettre en ordre votre économie afin qu’un jour vous puissiez assurer à nouveau vous-mêmes vos dépenses.» C’est ce qu’on appelle la compétitivité en économie.

Lorsque l’on a vécu au-dessus de ses moyens, de telles réformes vont toujours de pair avec des restrictions douloureuses. Et si on n’a pas la possibilité de dévaluer sa monnaie – ce qui permet de compenser des différences ou des déficits de productivité – et que, au contraire, on bénéficie de taux d’intérêt bas, comme c’est le cas dans la zone euro, les exigences en matière de réformes sont très élevées. C’est pour cela qu’elles ne sont pas populaires et c’est pour cela qu’il faut des dirigeants responsables qui expliquent aux citoyens que ces réformes sont nécessaires pour pouvoir vivre mieux. Enfin, il faut ajouter, dans le cas de la Grèce, une difficulté supplémentaire : son Etat est faible et dysfonctionnel, comme l’admettent les Grecs eux-mêmes. Cet ensemble de raisons explique pourquoi ce pays a plus de difficultés à s’adapter que les autres Etats qui ont bénéficié d’un programme. C’est aussi ce qui explique pourquoi les électeurs grecs se sont finalement lassés de soutenir politiquement cette voie, ce qui a permis à Aléxis Tsípras de remporter les élections en promettant de rompre avec l’austérité.

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Aléxis Tsípras savait qu’il ne pourrait pas tenir sa promesse de rester dans l’euro sans accepter un programme. Il lui a donc fallu gagner du temps. Il pensait qu’il bénéficierait de nombreux soutiens dans et hors de l’Europe et que personne n’oserait aller jusqu’à une sortie de la Grèce de la zone euro. Il est donc allé jusqu’à la limite. Mais ce qui a probablement été le plus important a été qu’il a fallu un certain temps aux citoyens grecs pour qu’ils admettent que la promesse que leur avait faite Tsípras pour gagner les élections n’était pas tenable.

Lorsque Tsípras annonce qu’il convoque un référendum pour le 5 juillet, alors que la zone euro est proche de conclure un compromis sur le programme grec, quelle est votre réaction ?

Nous étions tous très désorientés. D’autant qu’Aléxis Tsípras l’a fait juste après un conseil européen des chefs d’Etat et de gouvernement et qu’il n’a pas prévenu ses collègues. C’est de retour chez eux qu’ils ont appris qu’Aléxis Tsípras allait faire le contraire de ce qu’il leur avait dit. Tout le monde a trouvé ça, disons, déroutant. Personne n’a compris quelle était sa stratégie ou même s’il avait vraiment planifié ce référendum. La suite n’a pas été plus claire : alors que le peuple grec a suivi sa consigne de vote en rejetant à 60 % le programme d’aide, il a décidé de l’appliquer quand même. Et les Grecs ont accepté ce revirement. Ça, moi, je ne le comprends pas, mais je ne suis pas Grec.

Lors de l’Eurogroupe (la réunion mensuelle des ministres des Finances de la zone euro) du 11 juillet, vous avez plaidé pour un «Grexit». Pourquoi ?

Je me suis toujours demandé, comme beaucoup d’économistes si pour la Grèce, avec sa situation économique et son administration – comme le dit Jean-Claude Juncker, les Grecs forment un grand peuple, mais la Grèce n’est pas un Etat -, ce ne serait pas préférable de procéder au rétablissement nécessaire de l’économie par le biais d’une dévaluation. Et c’est pourquoi j’ai expliqué qu’il serait peut-être dans l’intérêt de la Grèce elle-même qu’elle abandonne l’euro pendant un certain temps, pour se rétablir sur le plan économique et améliorer sa compétitivité, avant d’y revenir. Mais je n’ai jamais plaidé pour que nous éjections la Grèce. J’ai simplement dit que si la Grèce elle-même était d’avis que ce serait la meilleure solution pour elle – et ils étaient effectivement nombreux à le dire en Grèce – alors, nous devrions l’aider et la soutenir.

On a présenté le compromis du 13 juillet comme un «diktat» allemand ?

Il n’y a pas eu de diktat allemand. Les dix-huit ministres des Finances de la zone euro, si on ne compte pas le ministre grec, étaient tous d’accord pour exiger que la Grèce remplisse les conditions du programme d’aide. C’était indiscutable. Or, la Grèce ne voulait pas les remplir : elle l’a promis à certains moments, mais elle ne l’a pas fait. Et sur le point de savoir si, pour la Grèce, la meilleure solution ne serait pas de sortir de l’euro pour un certain temps – un timeout -, quinze ministres des Finances ont partagé cette opinion. Seuls les ministres français, italien et chypriote n’étaient pas sur cette ligne. On ne peut donc pas parler de diktat allemand. Et, ça, c’est la vérité. Tout le reste, c’est de la propagande, au pire, ou de l’incompréhension, au mieux.

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Etes-vous prêt à assumer le rôle du méchant qu’on vous fait jouer au sein de la zone euro ?

Je ne crois pas que l’on me considère comme le grand méchant partout en Europe. Beaucoup de monde, y compris en France, approuve ma démarche. Mais, même si c’était le cas, cela ne me toucherait pas, car je sais qui je suis : je suis un Européen passionné. Dans mon propre parti, on me soupçonnerait plutôt d’être trop Européen et de ne pas défendre suffisamment les intérêts allemands. Mon but est que l’Europe devienne un ensemble qui parvienne à résoudre les problèmes que ni la France, ni le Luxembourg, ni l’Allemagne ne peuvent résoudre seuls. Prenez par exemple la question des réfugiés, de la stabilisation du Moyen-Orient, du climat, de l’interpénétration mondiale des marchés financiers : isolés, nous ne pouvons rien, ensemble nous pouvons faire énormément. Mais, pour cela, il faut bien sûr que les citoyens aient confiance dans l’Europe et dans sa capacité à agir. C’est pourquoi il faut que nous ayons des institutions fortes, mais aussi que nous soyons capables de respecter un minimum les accords que nous trouvons. On n’est jamais obligé de le faire à 100 % – je ne suis pas partisan d’une application à 100 % des textes – mais, il faut qu’on arrête de conclure des compromis qu’on ignore dans la minute qui suit. Cette façon d’agir ne permet pas de créer de la confiance auprès des citoyens. Il faut enfin que l’Europe soit forte sur le plan économique : si nous acceptons que la Grèce devienne un modèle économique pour l’Union, alors elle ne sera pas pertinente et ne pourra alors pas assumer ses responsabilités.

(1) «Grèce, le jour d’après», documentaire de Pierre Bourgeois et Jean Quatremer, ce mardi soir à 22 h 50 sur Arte.