Les milices d’extrême droite ukrainiennes défient le gouvernement jusqu’à la confrontation.

Par Joshua Cohen
25.avril.2019

Alors que la lutte de l’Ukraine contre les séparatistes soutenus par la Russie se poursuit, Kiev fait face à une autre menace pour sa souveraineté à long terme : les puissants groupes ultranationalistes de droite. Ces groupes n’hésitent pas à recourir à la violence pour atteindre leurs objectifs, ce qui va certainement à l’encontre de la démocratie occidentale tolérante que Kiev cherche ostensiblement à devenir.

Le récent coup de couteau brutal infligé à un militant gauchiste pacifiste nommé Stas Serhiyenko illustre la menace que représentent ces extrémistes. Serhiyenko et ses collègues militants pensent que les auteurs appartiennent au groupe néonazi C14 (dont le nom vient d’une phrase de 14 mots utilisée par les tenants de la suprématie blanche). L’attaque a eu lieu le jour anniversaire de l’anniversaire d’Hitler, et le chef du C14 a publié une déclaration célébrant le coup de couteau contre Serhiyenko immédiatement après.

L’attaque contre Serhiyenko n’est que la pointe de l’iceberg. Plus récemment, le C14 a battu un politicien socialiste tandis que d’autres voyous ultranationalistes ont pris d’assaut les conseils municipaux de Lviv et de Kiev. Des groupes d’extrême droite et néo-nazis ont également agressé ou perturbé des expositions d’art, des manifestations antifascistes, un événement « Les Ukrainiens choisissent la paix », des événements LGBT, un centre social, des médias, des procédures judiciaires et une marche pour le Jour de la victoire célébrant l’anniversaire de la fin de la Seconde Guerre mondiale.

Selon une étude de l’organisation militante Institute Respublica, le problème n’est pas seulement la fréquence des violences d’extrême droite, mais le fait que les auteurs de ces violences jouissent d’une impunité généralisée. Il n’est pas difficile de comprendre pourquoi Kiev semble réticent à affronter ces groupes violents. D’une part, les groupes paramilitaires d’extrême droite ont joué un rôle important au début de la guerre contre les séparatistes soutenus par la Russie. Kiev craint également que ces groupes violents ne se retournent contre le gouvernement lui-même, ce qu’ils ont déjà fait et continuent de menacer de faire.

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Pour être clair, la propagande russe selon laquelle l’Ukraine serait envahie par les nazis ou les fascistes est fausse. Les partis d’extrême droite tels que Svoboda ou le secteur droite reçoivent peu de soutien de la part des Ukrainiens.

Malgré cela, la menace ne peut être écartée d’emblée. Si les autorités ne mettent pas fin à l’impunité de l’extrême droite, cela risque de les enhardir davantage, affirme Krasimir Yankov, chercheur pour Amnesty International à Kiev. En effet, la volonté effrontée de Vita Zaverukha – une néonazie de renom libérée sous caution et assignée à résidence après avoir tué deux policiers – d’afficher des photos d’elle après avoir pris d’assaut un restaurant populaire de Kiev avec 50 autres nationalistes démontre la confiance de l’extrême droite dans son immunité contre des poursuites gouvernementales.

Il n’est pas trop tard pour que le gouvernement prenne des mesures pour reprendre le contrôle de la primauté du droit. Premièrement, les autorités devraient adopter une politique de « tolérance zéro » à l’égard de la violence d’extrême droite. Le président Petro Porochenko devrait ordonner aux principaux organismes chargés de l’application de la loi – le ministère de l’Intérieur, la Police nationale d’Ukraine, le Service de sécurité de l’Ukraine (SBU) et le Bureau du procureur général (PGO) – de faire de l’arrêt des activités d’extrême droite une priorité absolue.

La base juridique de la poursuite du « vigilantisme » extrémiste existe certainement. Le Code pénal ukrainien interdit expressément la violence contre les rassemblements pacifiques. La police doit commencer à appliquer cette loi.

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Plus important encore, le gouvernement doit aussi rompre tout lien entre les autorités de police et les organisations d’extrême droite. L’exemple le plus clair de ce problème réside dans le ministère de l’Intérieur, qui est dirigé par Arsen Avakov. Avakov entretient des relations de longue date avec le bataillon Azov, un groupe paramilitaire qui utilise le symbole SS comme insigne et qui, avec plusieurs autres, a été intégré à l’armée ou à la Garde nationale au début de la guerre dans l’Est. Les critiques ont accusé Avakov d’utiliser des membres du groupe pour menacer un média d’opposition. Comme l’a fait remarquer au moins un commentateur, l’utilisation de la Garde nationale pour combattre la violence ultranationaliste risque de s’avérer difficile si des groupes d’extrême droite sont devenus membres de la Garde elle-même.

Le vice-ministre d’Avakov, Vadym Troyan, était membre de l’organisation paramilitaire néonazie patriote d’Ukraine (PU), tandis que l’actuel fonctionnaire du ministère de l’Intérieur, Ilya Kiva – un ancien membre du parti d’extrême droite Right Sector et dont le compte Instagram nourrit sa popularité avec des images de l’ancien dirigeant fasciste italien Benito Mussolini – a réclamé « que des homosexuels soient tués ». Et Avakov lui-même s’est servi de la PU pour promouvoir ses intérêts commerciaux et politiques alors qu’il était gouverneur dans l’est de l’Ukraine et ministre de l’Intérieur pour former et armer le bataillon extrémiste Azov dirigé par Andriy Biletsky, un homme surnommé le « chef blanc » qui a appelé à une croisade contre « la sous-humanité dirigée par les Sémites ».

Ces fonctionnaires n’ont pas leur place dans un gouvernement fondé sur la primauté du droit ; ils devraient s’en aller. De façon plus générale, le gouvernement devrait également veiller à ce que chaque policier reçoive une formation sur les droits de la personne axée sur l’amélioration du maintien de l’ordre et des poursuites relatives aux crimes haineux. Ceux qui manifestent des signes de liens ou de sympathies extrémistes devraient être exclus.

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Dans un incident notoire, les médias ont saisi des images de voyous tatoués de swastikas – qui, selon la police, n’étaient que des demandeurs d’emploi voulant « s’amuser » – en train de faire le salut nazi dans un bâtiment de police à Kiev. Cela ne peut plus durer, et il est tout aussi important pour la démocratie ukrainienne de nettoyer les extrémistes des forces de l’ordre que de soustraire les fonctionnaires corrompus du régime de l’ancien président Viktor Ianoukovitch selon la politique de « lustration » [désigne l’exclusion de la fonction publique de fonctionnaires qui ont travaillé sous le président ukrainien Viktor Ianoukovitch pendant plus d’un an et qui n’ont pas démissionné de leur propre gré entre le 25 février 2010 et le 22 février 2014 et les fonctionnaires qui étaient actifs dans le Parti communiste de l’Union soviétique, NdT] de l’Ukraine.

Il n’est pas encore trop tard pour que Porochenko mette fin au sentiment croissant d’impunité de l’extrême droite. Mais il doit agir maintenant.

* Josh Cohen est un ancien agent de projet de l’Agence des États-Unis pour le développement international qui a participé à la gestion de projets de réforme économique dans l’ancienne Union soviétique.

Source : The Washingtom Post, Joshua Cohen, 15-06-2017