Le municipalisme est l’avenir des Gilets jaunes

Comment le mouvement des Gilets jaunes pourrait-il durer ? Le municipalisme libertaire serait une voie féconde, selon l’auteur de cette tribune, pour qui ce modèle de société démocratique et écologique est « une stratégie de lutte pensée pour l’atteindre ».

Par Killian Martin
27 avril 2019 

Après 23 semaines de lutte d’une intensité et d’une inventivité rares, le mouvement des Gilets jaunes est à la recherche de nouvelles options stratégiques qui lui permettraient de durer au-delà de ce long moment insurrectionnel. Les Assemblées des assemblées qui ont réuni les délégués de centaines d’assemblées locales à Commercy (Meuse) puis à Saint-Nazaire (Loire-Atlantique) sont emblématiques de cette recherche. Or, la forme prise par ces deux événements et le fond des débats qui s’y sont tenus les inscrivent dans la continuité de mouvements qui, de l’Espagne à la Syrie et du Moyen-Âge à nos jours, ont choisi une stratégie des plus fécondes : celle du municipalisme.

« Vive la démocratie directe, pas besoin de représentants régionaux. » C’est par ces mots que les Gilets jaunes de Commercy ont lancé en novembre dernier un appel à la constitution d’assemblées populaires partout en France et à la tenue d’une « Assemblée des assemblées ». Deux mois plus tard, leur appel avait été entendu et la petite ville de Lorraine se préparait à accueillir plusieurs centaines de délégués pour un week-end de rencontres et de débats. Dans un entretien donné quelques semaines plus tard au journal CQFD, ils s’expliquaient sur leurs motivations et se revendiquaient du « municipalisme libertaire ».

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Toutes les décisions politiques y sont prises par les citoyens réunis en assemblée 

Le municipalisme libertaire est un système politique reposant sur l’autogouvernement des communes par la démocratie directe. Toutes les décisions politiques y sont prises par les citoyens réunis en assemblée. Pour faire face aux questions dépassant l’échelon local, les communes se fédèrent et des délégués sont mandatés par les assemblées locales, leurs mandats sont impératifs et révocables. Les ressources naturelles et les moyens de production d’une commune sont gérés collectivement par ses habitants pour en prévenir tout usage excessif ou nuisible. On comprend qu’une telle perspective enthousiasme des Gilets jaunes mobilisés contre les dérives du système représentatif et l’extrême centralisation de la Ve République.

Mais le municipalisme n’est pas qu’un modèle de société démocratique et écologique, c’est aussi une stratégie de lutte pensée pour l’atteindre. Une stratégie qui consiste à s’organiser en assemblées locales en vue de contester à l’État central ses attributions et à se fédérer pour construire les solidarités qui permettront aux futures communes d’exister. C’est ce qu’ont commencé à faire les Gilets jaunes impliqués dans le processus de Commercy. Mais, en décentrant notre regard pour le tourner vers les luttes du monde entier, nous réalisons qu’ils ne sont pas seuls.

En Espagne, une partie des « indignés » qui ont occupé les places de nombreuses villes en 2011 s’est par la suite tournée vers la politique à l’échelle nationale et a formé Podemos. Mais une autre partie, moins médiatique mais tout aussi influente, a opté pour une transformation de la vie politique à l’échelle municipale. Dans toutes les grandes villes du pays, des assemblées de citoyens se sont formées et ont choisi de présenter des listes aux élections municipales de 2015. Une bataille victorieuse grâce à laquelle Madrid, Barcelone, Saragosse, Saint-Jacques-de-Compostelle et bien d’autres villes espagnoles sont aujourd’hui engagées dans des processus de démocratisation radicale et sont au cœur d’un mouvement municipaliste mondial. Un premier sommet municipaliste s’est ainsi tenu à Barcelone en 2017 sous le nom de Fearless Cities [les « villes sans crainte »] et a notamment abouti à la publication d’un guide pratique visant à donner toutes les clés aux militants du monde entier pour mettre leur conseil municipal au service du bien commun, contre l’État et contre les pouvoirs privés.

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L’exigence d’autonomie des groupes locaux 

Si un processus municipaliste est engagé en Espagne, mais aussi entre autres à Valparaiso, au Chili, et à Saillans, dans la Drôme, il n’est nulle part plus avancé qu’au Rojava. Cette région représentant le tiers nord de la Syrie et peuplé de deux millions de personnes d’origines ethniques diverses est organisée en une fédération de communes autonomes depuis 2013. Les militants communalistes du Rojava ont d’ailleurs été parmi les premiers à manifester leur soutien à l’initiative des Gilets jaunes de Commercy et ont reçu en retour une vidéo tournée à l’issue de la première Assemblée des assemblées.

Ce n’est pas un hasard si l’initiative municipaliste commencée à Commercy a remporté un tel succès chez les Gilets jaunes (300 délégations étaient présentes à Saint-Nazaire les 6 et 7 avril derniers pour la seconde Assemblée des assemblées). Depuis le Moyen-Âge, l’organisation en communes autonomes est le mode d’organisation privilégié des mouvements politiques qui cherchent à contourner le piège de la représentation et à préserver l’autonomie locale contre la capture du pouvoir par une minorité de technocrates. Les Gilets jaunes qui, chaque samedi, parsèment les murs de la capitale de tags faisant référence à la Commune de Paris (1871 Bis, la Commune refleurira, etc.) inscrivent donc ce mouvement dans sa filiation naturelle.

À Commercy comme à Saint-Nazaire, l’exigence d’autonomie des groupes locaux a été présentée par de nombreux délégués comme la condition primordiale de leur participation à l’Assemblée des assemblées. Mais comment préserver cette autonomie dans un contexte où l’émeute seule ne suffit plus, où il devient nécessaire de la compléter d’un processus parallèle de construction politique ? Comment se coordonner et initier une transformation politique de long terme sans tomber dans les pièges de la représentation ? La voie du municipalisme semble la seule à même de préserver ce fragile équilibre.

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* Killian Martin est étudiant à l’EHESS (l’École des hautes études en sciences sociales) et militant communaliste.

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