17 décembre 2018 – spécial gilets jaunes

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Ce soir-là un air de révolution flottait à Commercy…   –   Le Chant des partisans version Gilets Jaunes   –  tract   –    Lettre jaune N°8 : Ne nous laissons pas culpabiliser   – Collectif de défense des jeunes du Mantois    —  Les mères avec les lycéens réprimés par la police : ne touchez pas à nos enfants !    –   Gilets jaunes et lycéens blessés au flashball et à la grenade explosive. Un conseil juridique.par  face aux armes de la police   – Violences policières : “Il y a derrière chaque blessure une industrie qui tire des profits”   –   3300 arrestations, 1052 blessés, un coma, un décès : l’engrenage d’une répression toujours plus brutale   – “Gilets jaunes” : une vingtaine de photoreporters et journalistes indépendants vont porter plainte pour des “violences” de la police   – Face au mépris des médias dominants, à leur traitement délétère des mouvements sociaux : mobilisons-nous !   –  Les « gilets jaunes » ou l’enjeu démocratique  par Michèle Riot-Sarcey  –   Avec les gilets jaunes: contre la représentation, pour la démocratie  par Pierre Dardot et Christian Laval –   –   Le fond de l’air est jaune par Cédric Durand   – Sophie Wahnich: «La structure des mobilisations actuelles correspond à celle des sans-culottes»   – Sur cette révolte en général et sur celle des Gilets jaunes en particulier   –   Lundi matin


https://manif-est.info/Ce-soir-la-un-air-de-revolution-flottait-a-Commercy-878.html

Ce soir-là un air de révolution flottait à Commercy…

Commercy | Publié le 15 décembre 2018 | |

Ce vendredi 7 décembre au soir, alors que toute la France se demandait ce que réserverait un acte IV de mobilisation des Gilets Jaunes, présenté comme un seuil critique de menace des institutions étatiques, à Commercy flottait un air de révolution. Venues de plusieurs points de mobilisation en Meuse et même de Meurthe-et-Moselle, près de 150 personnes ont répondu à l’invitation à une « Assemblée extraordinaire des Gilets Jaunes de Commercy ».

À l’origine la salle, réservée par l’association Là Qu’on Vive, pour présenter et débattre d’une initiative de municipalisme libertaire à Commercy, s’est finalement transformée, par la force des choses et la coïncidence heureuse des envies, en une assemblée extraordinaire des Gilets Jaunes.

Une occasion pour sortir de la temporalité au jour le jour du mouvement social, faire une rétrospective des actions locales et de l’évolution nationale de la mouvement au cours des trois semaines passées. Un moment surtout pour ouvrir la parole à tous et toutes sur la perception du mouvement et de ses enjeux et pour se projeter sur des lendemains, au-delà de ce qui pourrait se passer dans les jours et semaines à venir.

Le commun qui s’est créé autour des ronds-points, sur les barrages routiers, au gré des actions et assemblées, des discussions riches et nombreuses qui ont émaillé les dernières semaines, aspire ici et là, un peu partout en France, à s’ancrer dans la durée, s’agglomérer et s’organiser sans se structurer forcément, ouvrir dans tous les cas sur un nouvel avenir de société.

Si pour beaucoup la taxe sur les carburants a été l’étincelle, les causes de frustrations sont innombrables, surtout dans des villes et régions à forte population ouvrière, fort taux de chômage, de pauvreté et avec un important sentiment d’abandon et de mépris institutionnel.

« Pas de chefs, pas de partis, pas de syndicats, pas de récupération politique, le pouvoir par et pour le peuple ! » est un mot d’ordre qui par-delà toutes les différences entre les individus, a fait l’unanimité d’un mouvement de colère et de révolte parti d’une population défiante envers les beaux-parleurs et politiciens en tous genres.

« On est pas bêtes, on comprend qu’on nous enfume » est une phrase récurrente des assemblées qui réunissent chaque soir, qu’il vente, pleuve ou grêle, celles et ceux qui aspirent à réinventer une démocratie directe sans forcément en avoir formalisé les moyens et les outils. Juste une intuition profonde d’une confiscation du pouvoir de décision par la représentativité électorale, qui depuis longtemps à creusé le fossé entre une classe politique élitiste et méprisante des réalités sociales, et une population qui doute, qui vote de moins en moins et qui cherche sa vérité sur les réseaux sociaux, les vidéos de youtube et a appris à se défier des informations médiatiques et des discours politiques.

Une population aussi qui prend chaque jour davantage conscience que la consommation ne fait pas le bonheur, quand bien même le pouvoir d’achat augmenterait. Stress, précarité et détérioration des conditions de travail minent la vie familiale, appauvrissent et souvent réduisent à néant la vie sociale. Si les classes moyennes surnagent, le peuple qui se lève à 5h, qui trime à la chaîne ou dans les petits boulots à la semaine, qui partage sa vie entre la file du pôle emploi et celle de la CAF, entre le turbin et la galère d’assumer une vie de famille à côté, ce peuple-là est éreinté et aspire à du changement, aspire simplement au bien-être mais surtout à la possibilité du bonheur.

Ce vendredi soir à Commercy, ce sont ces voix-là, ces aspirations qui se sont exprimées jusqu’à tard dans la soirée. Entre passion, rires et espoir, les prises de paroles ont égrené les envies de récrire une constitution, ébaucher un référendum citoyen, poursuivre les blocages, mettre en place des cahiers de doléance, construire des assemblées décisionnelles aux ordres desquels seraient les élus.

Lorsqu’on entrait dans la salle avant l’assemblée, on y trouvait des hommes et femmes affublés de gilets, discutant dans une humeur joyeuse, jouant aux cartes, préparant un diaporama pour la rétrospective des actions récentes, servant café et gâteaux apportés par les unes ou les autres, ou encore d’autres installant des instruments pour finir la soirée en musique. Un joyeux brassage de personnes entre lesquelles le fil des semaines entre actions, permanences, assemblées et solidarité, a tissé des amitiés.

On s’engueule, on rigole, on a la larme à l’oeil, mais on s’écoute avec attention, et plus de 3 heures d’assemblée plus tard une centaine de personnes est toujours là, alerte, prête à débattre jusqu’au coeur de la nuit. Un espace de rencontre, de discussion, d’expression inédit qui jusqu’alors existait autour d’une cabane de palettes construite sur la place centrale et devenu le point de ralliement, le lieu des soupes solidaires du samedi et le point d’information qui fait la fierté des Gilets Jaunes de Commercy, un espace qui prend soudain une dimension plus large, celle de l’assemblée du peuple. Maladroite mais sincère, cette dernière a relevé le défi de la proposition faite à travers une vidéo très largement relayée et plébiscitée : construire un commun entre des personnes d’horizons très différents et perdurer en se donnant un nouveau rendez-vous, dans une quasi-unanimité, deux semaines plus tard au même endroit. Et d’ici là on continue à se mobiliser au quotidien à la cabane, sur les péages et partout où ce sera nécessaire pour faire plier le gouvernement et Macron à sa tête.

La soirée s’est finie avec un soutien aux lycéens interpellés, des dizaines de genoux à terre, mains derrière la tête puis le poing levé. Et une reprise en choeur d’un chant des partisans remanié, devenu une sorte d’hymne des Gilets Jaunes de Commercy. Un moment de solidarité beau et vibrant à tous égards.



https://www.facebook.com/notes/les-lettres-jaunes/lettre-8-ne-nous-laissons-pas-culpabiliser-/2159560984285208/

Lettre jaune N°8 : Ne nous laissons pas culpabiliser

Les Lettres Jaunes·Dimanche 9 décembre 2018

Dans les sphères d’en haut, on ne connaît que le dialogue ; chez ceux d’en haut, on évoque la paix, la réconciliation, le compromis. Chez ceux d’en haut, on parle avec calme et tempérance. Chez ceux d’en haut, on sait prendre de la hauteur ; on sait réfléchir ; on sait manier les mots et les arguments. Ceux d’en haut se prennent pour les faiseurs de Bien ! Ce sont les hommes de Raison ; ce sont les prêtres des temps modernes. Chez ceux d’en bas, il y a la violence, la menace, la vengeance. Dans le monde d’en bas, on parle avec ses tripes, avec son cœur, avec sa faim, avec ses manques. Chez ceux d’en bas, on sait parler concrètement ; on sait partir de la vie réelle ; on sait manier les professions ; on connaît les métiers ; on connaît la vie ordinaire. Mais tout cela, pour ceux d’en haut, tout cela incarne le Mal !

Dans toutes les sphères d’en haut, on aime à nous noircir, à nous présenter comme l’obscurité, et le chaos ! Nous ne sommes pas la vérité ! Nous sommes le mensonge ! Nous sommes le désordre ! Nous sommes une meute d’animaux assoiffés par des revendications intenables ! Infaisables ! Irréalistes ! Inimaginables ! Stupides ! Ces hommes d’en haut n’ont pas le sens des limites. Ils n’ont que l’illimité à la bouche : toujours plus ! Mais pour toujours moins de vie commune et sociale. Dans le monde d’en bas, on connaît les rapports de proximité ! On regarde l’autre comme un auxiliaire et non comme un ennemi. On regarde son voisin comme un compagnon, et non comme un intérêt. Dans le monde d’en bas, on endure le conflit ! On supporte les engueulades ! On soutient les colères ! Dans le monde d’en bas, on vit la vie la plus commune.

En réalité, ce sont ceux d’en haut qui manifestent la plus grande violence par rapport à l’autre ; par rapport à tout ce qui n’est pas eux. Ils sont tellement détachés de tout rapport vivant ! Et souffrent tellement en regardant un homme dans les yeux qu’ils veulent faire de leur vie misérable notre quotidien. Ce sont eux, chers amis, les vengeurs ! Ce sont eux les violents ! Ce sont eux qui jalousent notre gouaille, notre franc-parler, nos plaisirs simples. Ce sont eux les malheureux, et nous les bienheureux ! Qu’ont-ils eux à se raconter ? Qu’ont-ils eux à partager ? Qu’ont-ils eux dans le cœur ? Ils sont si mécaniques, si robotiques, qu’ils ne sont déjà plus humains.

Alors, mes chers amis d’en bas ! Oui, mes chers amis, nous les ramenons à la vie réelle ! A la vie terrestre ! Nous leur demandons de cesser leur violence et leur mépris envers les « ploucs », les « imbéciles », les « esprits courts », les « bornés ». Nous étions jusqu’alors gouvernés par la frayeur de ceux d’en haut. Une frayeur folle qui mobilise, à présent, des milliers de policiers pour briser notre élan de révolte ; qui mobilise tout l’arsenal médiatique pour que nous rendions les armes !

Non, notre violence n’est pas mauvaise ! Non, notre violence n’est pas violente ! Non, notre violence est une délivrance ! Notre violence n’est pas sanguinaire, elle est salutaire ! A présent, soyons gouvernés par nous-mêmes, et faisons confiance à notre puissance créatrice !

À nous.


Collectif de défense des jeunes du Mantois

7 décembre

Ce jeudi 6 décembre, suite à la mobilisation des lycéens de Mantes-la-Jolie, une répression féroce s’est abattue dans nos quartiers. 151 de nos fils, filles, nièces, neveux, ou élèves ont été interpellés, humiliés, parqués comme des prisonniers de guerre. Les images que nous avons vues sont terribles : genoux au sol, mains sur la tête, face contre le mur, certains de ces jeunes avaient même les mains ligotés avec des rilsans. Ils ont ensuite été acheminés vers différents commissariats du département. Nous sommes restés plusieurs heures sans nouvelles. À ce jour, certains parents ne savent d’ailleurs toujours pas où leur enfant a été amené. Tous ces faits sont inacceptables.

Les autorités ont tenté de justifier ces interpellations par les dégradations matérielles auxquelles auraient participé quelques jeunes. Nous leur répondons que rien ne peut justifier une telle violence et une telle humiliation. À leur manière, nos enfants exprimaient une rage qui s’inscrit dans un contexte de mobilisations sociales, et en l’occurrence lycéennes, générales. Si la colère est nationale, les réponses apportées par les autorités varient en fonction des populations et des territoires. Sur les 700 interpellations recensées hier, 20 % se sont déroulées à Mantes-la-Jolie… et nulle part nous n’avons vu de telles images. C’est un traitement d’exception que l’on sait réservé aux habitants des quartiers populaires. C’est un traitement d’exception auquel nous sommes systématiquement confrontés.

Nous, parents d’élèves, habitants, professeurs avons donc décidé de nous constituer en Collectif de Défense des Jeunes du Mantois. Nous ne laisserons pas passer cette énième atteinte à leur dignité et à la nôtre. Nous avons décidé de nous constituer partie civile et de porter cette affaire devant les tribunaux. Nous organisons Mercredi 12 Décembre une rencontre publique contre la répression. Et nous exigeons :
– la libération immédiate de tous les lycéens encore en garde-à-vue
– l’abandon de toutes les charges qui pèsent contre eux

Nous appelons tous les parents d’élèves, l’ensemble du corps enseignant et les forces associatives, syndicales et politiques à nous rejoindre et nous soutenir dans ce combat pour la justice et la dignité de nos jeunes.

*  *  *

Les parents, les familles et les membres du Collectif de défense aux jeunes interpellés de Mantes-La-Jolie demandent aux organisations, associations…etc de prendre contact avec le collectif avant d’envisager une quelconque action à Mantes-La-Jolie nous concernant. Nous demandons à chacune et chacun de respecter cette volonté qui émane des premières et premiers touchés par la violence des interpellations subies par nos enfants ce Jeudi 7 Décembre


https://blogs.mediapart.fr/front-de-meres/blog/081218/les-meres-avec-les-lyceens-reprimes-par-la-police-ne-touchez-pas-nos-enfants

Les mères avec les lycéens réprimés par la police : ne touchez pas à nos enfants !

8 déc. 2018
Par Front de Mères
Blog : Le blog de Front de Mères

C’est en tant que mamans unies et déterminées que nous nous adressons à l’État : ça suffit, nous vous interdisons d’humilier, de mutiler et de détruire nos mômes ! Nous ne laisserons pas faire ! Nous protégerons nos enfants par tous les moyens nécessaires, parce que nous les aimons, que c’est notre avenir, et parce que c’est notre devoir de parents !

Depuis plusieurs jours, nos enfants lycéens et lycéennes subissent une infâme répression policière digne d’une dictature.

La guerre est déclarée à nos enfants à Ivry, Mantes-la-jolie, Garges, Paris, Orléans, Toulouse, Bordeaux, Grenoble, Marseille et partout en France.

Nos assistons à des scènes où nos enfants sont humiliés, placés dans des positions dégradantes, rappelant les pratiques coloniales.

Nous entendons la police les menacer avec des insultes racistes et homophobes. Nos enfants sont illégalement placés et maintenus en garde à vue. Nous voyons, horrifiées, la police les mutiler à coups de flashballs, plusieurs d’entre eux ont perdu une main, ont le visage cassé, la mâchoire détruite. Quelle hypocrisie de la part d’un gouvernement qui dans le même temps veut interdire aux parents la fessée !

Nous ne sommes pas dupes concernant les objectifs de cette répression féroce : nous savons qu’il s’agit de défigurer la jeunesse de ce pays et de la terroriser pour éviter qu’elle vienne donner de la force au mouvement massif de contestation sociale, notamment autour des gilets jaunes. Nous savons que la garde à vue est utilisée comme arme de dissuasion pour empêcher les jeunes d’utiliser leurs droits les plus fondamentaux de s’exprimer et de manifester.

Nous ne sommes pas dupes, nous savons que cette répression s’inscrit dans le prolongement de l’Etat Macron qui veut expérimenter la présence policière au sein des établissements, qui nomme des gendarmes comme proviseurs adjoints, qui forme les chefs d’établissement aux techniques militaires.

Nous ne sommes pas dupes également du fait que le système d’oppression raciste ne traite pas nos enfants de la même manière selon leur classe et leur couleur de peau. Si tous les lycéen.nes qui manifestent aujourd’hui sont ciblés, nous savons que le pouvoir traite différemment les jeunes noirs et arabes, et les jeunes blancs des classes moyennes. Aux jeunes noirs et arabes habitant les quartiers populaires, et depuis des décennies, on dénie jusqu’à leur humanité. Ils ne sont même pas considérés comme des enfants, mais comme des délinquants. Nous savons aussi que ce système cherche par là à nous diviser. Mais aujourd’hui, nous ne sommes pas divisées ! Aujourd’hui, nous sommes solidaires. Car liées par le même sentiment d’amour pour nos enfants, liées également par le même sentiment d’inquiétude et d’angoisse pour eux.

Et c’est en tant que mamans unies et déterminées que nous nous adressons à l’État : ça suffit, nous vous interdisons d’humilier, de mutiler et de détruire nos mômes ! Arrêtez de maltraiter et de sexualiser le corps de nos enfants !

Nous ne laisserons pas faire !

Nous protégerons nos enfants par tous les moyens nécessaires, parce que nous les aimons, que c’est notre avenir, et parce que c’est notre devoir de parents !

Nous sommes solidaires des revendications légitimes de nos enfants, qui refusent qu’on restreigne « réforme » après « réforme » leurs champs des possibles et leurs perspectives d’avenir. Nous sommes solidaires de leurs revendications contre Parcoursup, la « réforme » du bac, la suppression de 2600 postes depuis septembre, et les discriminations dans le système scolaire le plus inégalitaire d’Europe.

Quant à notre revendication principale, elle concerne la police, qui n’a rien à faire dans l’école. Ni autour ! Nous exigeons une distance de sécurité entre nos enfants et la police. Et que les chefs d’établissement ne soient pas des relais de la police au sein de l’école. Car l’institution scolaire est aujourd’hui complice de la répression à l’égard des lycéen.nes et de l’atteinte à leurs droits fondamentaux en excluant les lycéen.nes qui bloquent les établissements, en leur refusant des salles de réunions, et en collaborant étroitement avec les services de police contre leurs élèves. Nous exigeons de l’institution scolaire qu’elle défende avant tout l’intérêt des élèves !

Dans ce sens, nous exigeons que soit respecté le droit de nos enfants à manifester et à s’exprimer. Nous refusons la criminalisation de leur engagement, cette forme de punition collective parce qu’ils osent se lever. Car notre rôle éducatif de parents c’est d’apprendre à nos enfants à refuser l’injustice et la violence.

Notre démarche est de long terme, mais nous prévoyons plusieurs actions concrètes dès les prochains jours :

  • Nous sommes en train d’organiser une riposte juridique pour faire condamner l’État français. En ce sens, nous soutenons les plaintes déposées par les avocats de lycéen.nes victimes de violences policières Arié Alimi, Hosni Maati, Yassine Bouzrou, etc.
  • Nous allons organiser des cellules de soutien pour les lycéen.nes victimes et leurs familles
  • Nous sommes en train de rédiger une plaquette à destination de tous les lycéen.nes, avec leurs droits, les démarches à suivre, les contacts à appeler, etc
  • Mais surtout nous allons protéger nos mômes, nous allons être des mères boucliers !!

Nous nous rendrons dès ce lundi 10 décembre dans les lieux d’extrême répression, à Ivry, Mantes la Jolie, Garges, Villemonble, etc pour y faire bouclier face à la police et protéger nos enfants !

Car un pays où l’on détruit les enfants est un pays sans avenir,

Un pays où l’on terrorise les enfants se dirige vers la dictature et le fascisme.

Nos enfants, c’est notre vie, notre espoir ! Protégeons-les contre les violences d’État !

A toutes les mamans de France, rejoignez-nous !

Front de mères

Mères solidaires

Collectif des mères de Bergson

Collectif des mères d’Arago


Gilets jaunes et lycéens blessés au flashball et à la grenade explosive. Un conseil juridique.

Posté par faceauxarmes ⋅ 29 novembre 2018 ⋅

La répression qui s’est abattue sur les gilets jaunes et les lycéens est hallucinante même si elle s’inscrit dans des pratiques courantes . On ne compte plus les personnes blessées par les flashball (LBD-40) et les grenades (GLI-F4 ou explosives). Nous sommes ensemble dans la rue, mais nous pensons qu’il est capital de continuer à faire vivre une forme de solidarité auprès de ceux qui ont été touchés par les armes de la police. Merci de faire suivre ces conseils juridiques aux personnes blessées, ou de faire tourner sur vos réseaux.

Bonjour,

Recevez ce message comme une marque de soutien et sachez que nous partageons votre peine et votre colère. Touchés dans notre chair lors de la blessure d’un ami en 2009, nous avions monté ce collectif Face aux armes de la police. Nous suivons depuis toutes ces mutilations avec la même rage. Nous avons aussi rencontré de nombreuses autres personnes blessées qui se sont réunies dans une Assemblée des blessés qui se propose d’apporter soutien et conseils juridiques, mais aussi médicaux, aux personnes blessées par la police.

Notre expérience nous permet d’attirer votre attention sur le point suivant qui est d’une extrême importance :
Ne vous contentez surtout pas d’une plainte contre X pour violence volontaire. Et ne vous fiez surtout pas à ce que vous dira votre avocat sur la question.

Ces dernières années, de telles plaintes au pénal ont très très souvent donné lieu à des classements sans suite, à des relaxes ou beaucoup plus rarement (deux fois) à des condamnations symboliques. Le policier tireur obéit à un ordre et il est protégé par la chaine de commandement.

Ce qu’il faut faire c’est engager la responsabilité de l’Etat devant un tribunal administratif pour utilisation d’armes dangereuses. C’est l’Etat qui est responsable des armes dont se servent les policiers lors d’opération de maintien de l’ordre. Trois fois la responsabilité de l’Etat a été reconnue pour des mutilations au flashball et au LBD, trois fois il a été condamné à verser des indemnités.  Ici un article sur la dernière condamnation en date. De nombreuses affaires sont en cours.

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France: Thousands Protest Against Reforms as Macron Prepares to Mark First Year in Office

Il n’y aura jamais réparation, ni justice mais c’est ce qu’il faut essayer si on veut avoir une chance d’arracher quelque chose et de faire reconnaître la responsabilité de l’État. Rappelons que la France est le seul pays en Europe à utiliser des grenades explosives appelées GLI-F4 contre les manifestants.

Une telle procédure contre la grenade GLI-F4 a été lancé le 22 octobre dernier par des personnes mutilées le 11 avril 2018 lors de la dernière tentative d’expulsion de la ZAD de Notre-dame-des-Landes. Elle est en cours.

N’hésitez pas à nous contacter si voulez des informations. Nous pouvons aussi vous mettre en contact avec les avocats qui ont entamé cette dernière procédure. Ou avec l’assemblée des blessés.

Recevez notre soutien fraternel,
Le collectif face aux armes de la police

Plus d’infos sur notre site : https://faceauxarmesdelapolice.wordpress.com/

Contact de notre collectif Face aux armes de la police : faceauxarmes@free.fr
Portable : 07 68 84 84 92
https://www.facebook.com/pages/Face-aux-armes-de-la-police/260163667488222

Contact de l’assemblée des blessés qui regroupe des blessés, des familles et des collectifs : 06 56 82 00 01


https://www.lesinrocks.com/2018/12/12/actualite/violences-policieres-il-y-derriere-chaque-blessure-une-industrie-qui-tire-des-profits-111151464/

Violences policières : “Il y a derrière chaque blessure une industrie qui tire des profits”

Par Mathieu Dejean
12/12/18 17h27

Le chercheur et militant anti-sécuritaire Mathieu Rigouste, auteur de “La Domination policière” (éd. La Fabrique, 2012), analyse la répression sévère du mouvement des “gilets jaunes” et du mouvement lycéen ces dernières semaines, qui a fait des centaines de blessés et des dizaines de mutilés.

Le bilan du maintien de l’ordre est particulièrement sévère : des lycéens ont été grièvement blessés au visage par des tirs de flashballs, des “gilets jaunes” ont eu la main arrachée par des éclats de grenades assourdissantes GLI-F4, 162 personnes ont été prises en charge par l’AP-HP rien que le 1er décembre… Comment expliquez-vous cet usage abusif de la violence par les policiers ?

Mathieu Rigouste – La police moderne adapte sa force au statut de ses cibles, aux rapports de force et formes d’organisation qu’on lui oppose. Elle est ainsi structurée pour pouvoir monter en puissance face à des situations de “crise”. Ceci s’inscrit dans un processus socio-historique. La police française puise régulièrement dans les répertoires militaires et coloniaux des dispositifs qu’elles réagencent pour les appliquer à l’intérieur du territoire, en général contre les classes les plus opprimées. Elle expérimente ces schémas de violence en général et au quotidien contre les habitants des quartiers populaires. Il y a une circulation de savoirs et de formes de pouvoir entre les guerres néocoloniales, la ségrégation des quartiers populaires et la répression des manifestations indisciplinées.

Les lanceurs de balles de défense en sont un bon exemple : ils émergent dans le cadre de guerres coloniales en Irlande du Nord et en Palestine, ils se répandent dans les unités d’élite françaises comme des dispositifs anti-terroristes dans les années 1990, puis sont étendus aux unités “commando” de la police chargées des quartiers populaires (BAC) au début des années 2000. Ils reconditionnent enfin la répression des mouvements sociaux hors des quartiers populaires depuis les années 2010. Comme pour l’usage des grenades explosives, on assiste avec l’ère sécuritaire à un redéploiement général de la coercition et de la mutilation dans les arsenaux d’État.

Pourquoi ces arsenaux semblent-ils en perpétuel développement ? 

Ce phénomène est lié à une logique économique. Le capitalisme étend les formes de misère et approfondit continuellement les inégalités, il accompagne donc logiquement les États à investir massivement dans des moyens de contrôle des classes dominées. D’autre part, la restructuration néolibérale qui s’amorce au début des années 1970 s’opère en connexion avec la constitution des grands marchés de la guerre intérieure, c’est-à-dire d’un business de la sécurité. Les formes de violence d’État qui se mondialisent dans l’ère sécuritaire ont un lien avec l’expansion des marchés liés à la guerre “en milieu urbain” et “au milieu des populations”. Matériels et munitions, formations et maintien en condition, doctrines et savoir-faire constituent des marchés majeurs où chaque guerre, chaque occupation, chaque opération militaro-policière est un laboratoire pour expérimenter de nouvelles marchandises mais aussi une vitrine médiatique pour les exposer. Il y a derrière chaque blessure, une industrie qui tire des profits. Mais ces processus se développent autour d’une logique propre à la forme de l’État et qui consiste à augmenter le niveau de la répression lorsque les rapports de force menacent sa souveraineté. Tous les États menacés par leurs peuples choisissent tôt ou tard de leur mener des formes de guerre intérieure.

En quelques jours, des vidéos ont montré des CRS matraquer des manifestants au sol alors qu’ils s’étaient réfugiés dans un Burger King, ou procéder à l’interpellation des lycéens de Mantes-la-Jolie, à genoux et les mains sur la tête. Les policiers qui commettent ces actes reçoivent-ils des ordres, ou outrepassent-ils les règles de leur propre chef ?

Dans les polices des États-nations modernes, on remarque une dialectique entre des formes d’instrumentalisation du pouvoir policier et des formes d’insularité, d’autonomisation du champ policier. Il existe ainsi des circuits hiérarchiques qui vont du haut vers le bas, en traduisant la férocité des classes dominantes dans les pratiques des policiers jusque sur les corps. Mais en même temps, la police fonctionne selon des agendas et des répertoires de discours et de pratiques qui ne sont pas dictés de haut en bas, mais qui se constituent depuis “le terrain”, qui font partie d’un “savoir-faire” professionnel, qui sont mis en œuvre par les policiers eux-mêmes.

La hiérarchie contrôle ses pratiques a posteriori, elle les corrige lorsqu’elles la gêne, elle en tolère certaines parce que les policiers construisent aussi des rapports de force à l’intérieur de la police et avec les autres institutions. Tout un pan de la pratique policière contredit systématiquement les cadres de la loi, sans que cela soit combattu par l’institution elle-même. Finalement, on remarque que l’ère sécuritaire a tendance à amplifier une forme d’instrumentalisation de l’insularité policière. Les BAC, ces unités commando largement autonomisées sont exemplaires, mais c’est toute une partie de la police contemporaine qui détient un “chèque en gris” pour mettre en œuvre les objectifs politiques du bloc de pouvoir. De ce point de vue, ni les préfectures ni le ministères ne produisent généralement d’ordre écrit ou oralement explicites pour distribuer des formes de violence extrêmes, mais ils contrôlent pourtant tout le processus institutionnel qui mène du choix des unités à leur déploiement et à leurs usages de la force.

En va-t-il de même pour les policiers de la BAC vus en train de tirer au flashball très régulièrement à hauteur de tête, et s’en prendre indifféremment à des photographes ou journalistes clairement identifiables ?

Oui, c’est un bon exemple. Théoriquement ils n’ont pas le droit, mais ces pratiques sont instituées historiquement dans le mode d’intervention et la formation “par le terrain” des unités de BAC. Dans les quartiers populaires et en particulier contre les corps pauvres et non-blancs, les “baqueux” emploient le tir tendu et la visée niveau tête comme des dispositifs réguliers de leur panoplie. Lorsqu’on déploie toutes les unités BAC de Nuit de banlieue le 8 décembre 2018 en les dopant avec un discours martial faisant peser sur leurs agents la menace d’être tués, il n’y a pas besoin de leur donner de consignes pour blesser, on sait très bien à quel régime de violence on donne la possibilité d’exister. Le bloc de pouvoir cherche plutôt à ce que cette férocité produise le coût médiatico-politique le plus faible. Et comme sur tant de sujets, il se plante régulièrement.

Les caractéristiques du mouvement des “gilets jaunes”, qui n’a pas de porte-parole, pas de service d’ordre, qui fait converger les colères, qui est très mobile et s’en prend aux beaux quartiers, expliquent-elles la répression particulièrement violente dont il fait l’objet ?

Oui, sans doute, mais pas à elles seules. Ces formes difficiles à contrôler et à gouverner, cette imprévisibilité et ce rapport décomplexé et festif à la violence contre les symboles de l’État et du capitalisme, le font cibler comme un objet à soumettre, à domestiquer, mais pas encore forcément à abattre. La présence de strates supérieures des classes populaires, d’une petite bourgeoisie précarisée et notamment d’un grand nombre de personnes identifiées comme blanches a jusqu’ici contenu l’usage de la mise à mort policière.

Le coût politique de certaines mise à morts pousse les Etats à employer des dispositifs répressifs capables de contraindre sans tuer, ou tuant le moins possible. Les usages policiers de ses armements et techniques dépendent de la valeur accordée aux corps pris pour cibles. La mise à mort policière reste ainsi un instrument de gouvernement normal dans les territoires colonisés, dans les prisons, dans les quartiers populaires et aux frontières.
On voit avec la mise à genou des lycéens de Mantes-la-Jolie que l’intensité et les formes de la violence policière s’adaptent à la hiérarchisation raciste, classiste et patriarcale des corps dans la culture dominante.

Le processus qui consiste à propager la figure médiatique de “casseurs de banlieue” sert de ce point de vue aussi bien à délégitimer les usages populaires de formes d’autodéfense et de contre-attaques collectives qu’à préparer les esprits à l’emploi de dispositifs nécropolitiques, c’est-à-dire où la mise à mort est une condition de possibilité.

Que dire de l’appareil répressif “exceptionnel” mobilisé le 8 décembre à Paris ? On a vu notamment des blindés de la gendarmerie encadrer très tôt la manifestation, la police à cheval lancer des offensives contre les manifestants, un hélicoptère survoler la capitale… Quel est l’objectif ? Faire peur ? Restaurer l’autorité de l’État ?

Les formes de pouvoir déployées en décembre 2018 s’inscrivent dans le processus de restructuration néolibérale. Elles s’intègrent normalement dans la grille de lecture contre-insurrectionnelle qui domine la gouvernementalité sécuritaire. Selon cette dernière, la “population” doit être le lieu et la cible d’une guerre contre toutes les subversions. Après une première phase d’accompagnement médiatique et politique censé le rendre inoffensif, certaines dimensions du mouvement des “gilets jaunes” se sont rendues incontrôlables. Le mouvement a dès lors été reconstruit médiatiquement et politiquement comme un milieu de prolifération de menaces qu’il faudrait purger. Après avoir distribué du sérum physiologique, la police l’aborde désormais comme une masse où il faut éviter de tuer mais dont on peut exceptionnellement neutraliser des éléments, que l’on peut mutiler régulièrement et qu’il faut frapper largement. L’État se restructure à travers les crises qu’engendre le système de production capitaliste. Dans l’ère sécuritaire, il se redéploie à travers l’expérience de la guerre policière.

De même, que penser de l’arrestation de Julien Coupat ? Se fonde-t-elle sur des éléments objectifs, ou sert-elle simplement de symbole, puisqu’il est connu pour être une figure de “l’ultragauche” ?

Son arrestation est un geste symbolique, il s’agit de montrer que le souverain peut se saisir de qui il veut, et quand il veut. Il s’agit aussi de manipuler la figure de l’ennemi intérieur “anarcho-autonome” pour justifier la militarisation relative de la répression. Cela intervient aussi dans un récit fictif où le souverain se saisit d’une figure du “chef ennemi”, qu’il a lui-même construite, au terme d’une joute virile qu’il a mise en scène et qui doit le rétablir dans son honneur. Il n’est pas impossible que certaines fractions du renseignement politique croient fermement que Julien Coupat dirigerait dans l’ombre des réseaux d’activistes qui se trouveraient ainsi dépeuplés parce qu’un seul être leur manque. De ce point de vue, il semble qu’ils ne comprennent absolument rien à la défiance généralisée contre la figure du chef qui traverse les combats contemporains pour l’émancipation.

On a vu apparaître ce 8 décembre la notion de “casseurs présumés” : des centaines de personnes ont été interpellées de manière préventive, avant même d’atteindre Paris, ou au petit matin (au total, 820 personnes majeures ont été placées en garde-à-vue, dont 80% sont sortis sans procédure judiciaire, ou avec un simple rappel à la loi). Comment interprétez-vous cela ? Est-ce un effet de l’instauration de l’état d’urgence au cours des dernières années ?

Ce n’est pas l’état d’urgence qui en est responsable mais c’est son instauration puis l’institution d’une partie de ses dispositifs dans la loi qui permettent le développement de ce type de pratiques. Tout comme l’arrestation de militants prétendument “connus des services”, cela participe au rodage d’une mécanique de pouvoir appelée à devenir de plus en plus déterminante dans l’ère sécuritaire. Celle-ci consiste à se saisir d’une “menace” avant qu’elle se produise. Les arrestations préventives, issues des technologies antiterroristes et qui étaient spécifiquement employées dans le cadre de la “lutte contre l’islamisme”, ont été élargies à la gestion des mouvements sociaux en dehors des quartiers populaires pendant la lutte contre la loi travail. Cela participe d’une sorte d’accélération d’un pouvoir répressif cherchant à pouvoir intervenir où il veut, et quand il veut.

Un collectif d’avocats a demandé par un courrier au ministre de l’intérieur de “renoncer à l’usage des grenades GLI-F4”. La France est par ailleurs le seul pays d’Europe à utiliser des munitions explosives lors d’opérations de maintien de l’ordre. Pourquoi cette exception ?

Chaque régime de pouvoir équilibre à sa manière des dispositifs de terrorisation et de séduction, de coercition et de mystification, de dissuasion ou de divertissement. Cela est lié à la place et au rôle des industries militaires et sécuritaires dans l’histoire d’un État, au statut de la violence dans la culture d’une société. En décembre 1960, des grenades explosives ont été utilisées massivement contre les manifestations et les révoltes des colonisés algériens. C’est sans doute même l’une des expérimentations fondatrices de soumission par la grenade explosive. On a relevé, déjà à l’époque, de nombreuses blessures et des mutilations identiques à celles d’aujourd’hui, sur le corps des Algériennes et des Algériens. Il faut croire que la mutilation et la destruction des corps dominés et rebelles occupe une place particulière dans la structuration historique de l’État français.

Après l’escalade de violence de ces derniers jours, à quoi peut-on s’attendre pour la suite ?

La recherche en sciences sociales n’a pas pour but de prédire quoi que ce soit. Tout ce qu’on peut affirmer c’est qu’un système qui élargit continuellement les formes de misères et les inégalités se confrontera toujours à des révoltes, et qu’il tentera de soumettre ces révoltes pour empêcher qu’elles prennent la forme d’un processus révolutionnaire. C’est parfois en s’investissant dans la répression féroce que l’Etat contraint des soulèvements populaires à devenir révolutionnaires. Le bloc de pouvoir cherchera sans doute à acheter et séduire ses opposants, à multiplier les dissociations et les divisions à l’intérieur du mouvement, il fabriquera sans doute des représentants, il accompagnera sûrement l’émergence de “partis politiques” ou d’interlocuteurs “pacifiques” avec lesquels négocier, il cherchera probablement à multiplier les dispositifs visant à faire sous-traiter la répression par des strates du mouvement et des classes populaires, à faire participer des “gilets jaunes modérés” ou des “citoyens vigilants” au rétablissement de l’ordre social.

Si ça ne suffit pas, ce sera sans doute accompagné d’une montée en puissance des moyens répressifs, sur un plan militarisé. Mais personne n’avait prévu ce mouvement, et c’est peut-être l’une des choses les plus importantes qu’il démontre. Dans l’ère sécuritaire, le champ de bataille socio-historique est complètement instable. Dans les interstices des dominations quotidiennes, des “monstres” surgissent en chantant. L’État et les classes dominantes peuvent faire le choix d’accompagner la mise en place d’un régime néofasciste pour les sauver, mais les forces de l’émancipation collective sont aussi capables de renverser tout l’ordre des choses. L’avenir dépendra notamment de notre capacité à nous organiser pour le créer nous-mêmes.

Propos recueillis par Mathieu Dejean


https://www.bastamag.net/gilets-jaunes-repression-arrestations-blesses-grenades-LBD-garde-a-vue

3300 arrestations, 1052 blessés, un coma, un décès : l’engrenage d’une répression toujours plus brutale

par Ivan du Roy, Ludo Simbille 10 décembre 2018

L’engrenage de répression et de violences ne semble plus vouloir s’arrêter depuis quatre semaines. Le mouvement des gilets jaunes bat ainsi tous les records en nombre de gardes à vue, de personnes déferrées en justice, de milliers de grenades et balles de défense tirées sur les manifestants et de personnes estropiées. Les inquiétants « records » répressifs contre la mobilisation sur la loi travail et lors de l’évacuation de la Zad de Notre-Dame-des-Landes sont désormais désuets. Jusqu’où le gouvernement ira-t-il ?

Au soir de la journée de mobilisation du 8 décembre, selon le ministre de l’Intérieur, 1723 personnes ont été interpellées dans toute la France – dont 1082 à Paris – et 1380 ont été placées en garde à vue. Depuis le début du mouvement des gilets jaunes, mi-novembre, cela porte le nombre de personnes arrêtées à plus de 3300 et à 2354 les manifestants placés en garde à vue. Plus de 1200 personnes auraient été déferrées devant la justice depuis le début du mouvement. Par comparaison, c’est désormais davantage que lors de la contestation contre la loi Travail, de mars à juin 2016 sous le mandat de François Hollande, mouvement au cours duquel 753 personnes avaient été poursuivies.

La ministre de la Justice Nicole Belloubet, en visite au tribunal de Paris au lendemain de la manifestation du 1er décembre, avait demandé aux magistrats une réponse pénale « tout à fait ferme » à l’encontre des prévenus. Le Syndicat des avocats de France a réagi, dénonçant « une atteinte au principe de l’indépendance constitutionnelle des parquets », et une « démarche hors du commun, qui constitue un dangereux précédent ». « Le parquet français ne saurait être sous la pression du ministre de la Justice », alertent les avocats.

Imprécisions, procès verbaux bâclés, délits mal caractérisés

Avant l’« Acte IV » des gilets jaunes du 8 décembre, une vingtaine de peines de prison ferme avaient déjà été prononcées sur la soixantaine de gardés-à-vue présentés. En Ardèche, deux manifestants ont écopé d’un an de prison ferme pour avoir jeté des pierres sur des pompiers et gendarmes. À Avignon, deux hommes, dont un de 60 ans, sont condamnés à de la prison avec sursis pour le même motif [1]. À Paris, 13 personnes ont également été mises en examen pour des dégradations de l’Arc de Triomphe, perpétrées le 1er décembre.

Plusieurs récits d’audience font état de procès verbaux bâclés, de délits mal caractérisés et d’imprécisions de la part des magistrats. Un des chefs d’inculpation récurrent est « la participation à un groupement en vue de la préparation de violences volontaires contre les personnes ou dégradations de biens ». Ce délit avait été créé par la « loi anti-bande » de mars 2010, pendant le mandat de Nicolas Sarkozy. Certains parlementaires socialistes l’avaient alors présentée comme une atteinte à la liberté de manifester. Quelques prévenus ont été appréhendés avant même d’accéder aux lieux de manifestation. Motif ? Ils possédaient des outils, des masques ou des lunettes de protection. Selon le code pénal, certains de ces objets peuvent être considérés comme une arme par destination, explique l’ex-commissaire Gérard Moréas.

1052 personnes blessées, dont plusieurs gravement

Deux militants écologistes ont par ailleurs été interpellés puis placés en garde à vue à l’issue de la marche pour le climat à Nancy, qui avait été interdite par la préfecture mais qui s’est déroulée quand même, pacifiquement. Julien Coupat, militant d’extrême-gauche qui avait été emprisonné puis définitivement relaxé après dix ans de procédure (le parquet avait renoncé à faire appel), en avril dernier dans l’affaire de Tarnac, a été arrêté préventivement dans la matinée du 8 décembre pour, de même, « participation à un groupement formé en vue de la commission de dégradation ou de violence ».

Côté blessés, le bilan provisoire s’élève à 1052 personnes, dont 187 du côté forces de l’ordre [2]. En comparaison, la mobilisation du printemps 2016 contre la loi travail avait causé plus de 800 blessés au bout de quatre mois de contestation, signale à Basta ! un membre de l’Assemblée des blessés, un collectif créé en 2014, après une rencontre de victimes et de familles de victimes de violences policières. « Le 1er décembre, un blessé était évacué toutes les quatre minutes », note Ian, un membre du collectif Désarmons-les, qui recense les violences policières et les dégâts causés par les armes dites non létales.

Avant la journée du 8 décembre, 15 000 grenades explosives et lacrymogène avaient été tirées contre les gilets jaunes depuis le premier weekend de mobilisation. Rien que le 1er décembre à Paris, 7940 grenades lacrymogènes, 800 grenades « de désencerclement », 339 grenades assourdissantes GLI-F4 – les plus puissantes – et 776 cartouches de Lanceur de balle de défense (les ex-flashballs) de 40 mm (LBD 40) ont visé les manifestants, selon les autorités. Certaines sources avancent des chiffres encore supérieurs. Par comparaison, lors de l’évacuation de la Zad de Notre-Dames-des-Landes, en avril 2018, 11 000 grenades avaient été tirées en dix jours.

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« Sept tirs de grenades GLI F4 en une minute »

Ce 8 décembre, les forces de l’ordre ont encore fait un usage immodéré de grenades et de balles de défense. Maxime Reynié, photographe de l’agence Hans Lucas a comptabilisé dix tirs de LBD 40 en moins de deux minutes par un groupe de policiers sur les Champs-Élysées, avant d’être lui-même blessé à la jambe par une grenade [3]. De nombreux autres photographes ont été délibérément ciblés par des tirs de LBD 40. À Toulouse, Tien Tran, photographe collaborant épisodiquement à Basta ! a été blessé par une grenade [4].

« J’ai parfois compté sept tirs de grenades GLI F4 en une minute », illustre de son côté Ian, lors de la journée du 1er décembre. Utilisées nulle part ailleurs en Europe, ce type de grenades assourdissantes sont connues pour être à l’origine de graves blessures [5]. Les gilets jaunes en demandent à nouveau l’interdiction.

Si elles ne tuent que rarement, ces armes non létales peuvent marquer à vie. À Bordeaux, le 1er décembre, Guy Bernier s’apprête à quitter la place Pey-Berland quand il est touché en plein visage par une balle de LBD. « Il a eu la joue arrachée, on voyait ses dents », raconte un témoin de la scène. « Il est défiguré à vie ». Les photos visibles sur la page de la cagnotte créée en soutien à Guy sont sans équivoque (et peuvent choquer les plus sensibles). L’homme de 60 ans a pu être opéré à l’hôpital et se rétablit. « L’État nous a attaqué sans sommation alors qu’on manifestait pacifiquement dans une ambiance bon enfant », s’indigne un gilet jaune présent devant la mairie de Bordeaux. Un autre manifestant a eu l’imprudence de ramasser l’une des grenades qui pleuvent alors. Ses doigts sont arrachés. Le même scénario s’est répété une semaine plus tard, le 8 décembre, au même endroit : un homme a eu la main arrachée par une grenade dans les même conditions. Ayahn, un technicien de Sanofi, a lui aussi perdu sa main droite en ramassant une grenade, place Jean Jaurès, à Tours. Ses amis lui organisent une collecte de soutien. Son avocat envisage des suites judiciaires.

À Paris ou Dijon, les graves séquelles laissées par les « balles de défense »

Lors de la journée de l’Acte IV à Paris, c’est l’œil d’une jeune fille qui a été touché par une grenade. Un témoin de la scène, en contact avec la victime, a confirmé à l’Assemblée des blessés qu’elle en avait perdu l’usage. Déjà le 1er décembre sur les Champs-Élysées, Patrick et Jérôme O., avaient été éborgnés. En cause, cette fois : le lanceur de balle de défense. Jérôme envisage de porter plainte. Les tirs tendus de LBD (ex-flashball) se sont multipliés ces derniers jours tant contre les gilets jaunes que contre les lycéens, occasionnant de graves blessures et fractures. La photo impressionnante du visage difforme d’un adolescent dijonnais a beaucoup circulé. Touché le 8 décembre par une balle en caoutchouc à la joue, il a subi le lendemain une opération chirurgicale suite à des complications.

Le weekend du 1er et 2 décembre, l’Association des usagers et du personnel de la santé (AUP’S) a fait le tour des urgences. Le collectif recense 162 personnes prises en charge par les services hospitaliers publics le samedi soir. Les photos que l’association a publiées sur les réseaux sociaux, avec l’accord des concernés, montrent de nombreuses plaies ouvertes à la bouche, aux coudes, aux genoux ou aux pieds. Les chairs sont ensanglantées et incrustées de billes noires en caoutchouc contenues dans les engins de désencerclement type DMP (pour « dispositif manuel de protection »). Le gouvernement avait certainement anticipé le durcissement des contestations sociales. Quelques mois après son élection, le ministère de l’Intérieur avait commandé pour 22 millions d’euros de munitions.

« Si vous voulez rester en vie, vous rentrez chez vous »

Sur les réseaux sociaux, circulent également des témoignages qui font état d’arrestations musclées voire de tabassage en règle, comme dans ce restaurant Burger King parisien où des CRS matraquent des gilets jaunes qui s’y sont réfugiés. Mehdi est, lui, tabassé dans le 8ème arrondissement par plusieurs CRS après avoir jeté un projectile, selon Le Monde [6]. Dimanche dernier à Bessan (Hérault), des gendarmes mobiles bousculent un homme en fauteuil roulant accusé d’être « en possession d’une matraque », lors d’une altercation avec des gilets jaunes. Le 8 décembre, gare Saint-Lazare à Paris, on entend un CRS, visiblement excédé, dire à des manifestants : « Si vous voulez rester en vie, vous rentrez chez vous ». Le journaliste David Dufresne a décidé de recenser sur son compte twitter toutes les photos et vidéos de violences policières commises depuis une semaine, qu’elles soient perpétrées contre les gilets jaunes ou les lycéens.

Le plus lourd tribut a été payé par Zineb Redouane samedi 1er décembre, à Marseille. Au moment du passage de la manifestation, cette octogénaire referme les volets de son appartement lorsqu’une grenade lacrymogène lui éclate au visage. Hospitalisée, elle décède d’un « arrêt cardiaque sur la table d’opération », selon l’autopsie. Une voisine de la défunte avance que les policiers ont visé la fenêtre au quatrième étage avec leur lance-grenade. Une enquête de l’IGPN doit déterminer leur responsabilité. Ce même jour a peut-être été fatal à Benoît. Au yeux de sa mère le jeune homme de 28 ans « est comme mort ». Le toulousain est plongé dans un coma artificiel suite à un tir de LBD lors de heurts avec les CRS, devant la gare Matabiau.

Ludo Simbille et Ivan du Roy

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Décès au contact des forces de l’ordre : une nouvelle mise à jour de notre base de données

Si vous êtes témoin ou (proche de) victime de violences policières, vous pouvez contacter l’Assemblée des blessés. Elle tisse un lien entre les blessé-e-s et organise des soutien psychologique et juridique
tél. 07 58 67 02 60
courriel : desarmons-les@riseup.net

Notes

[1] Voir l’article de La Dépêche.

[2] 788 blessés, dont 148 policiers et gendarmes avant le 8 décembre, selon le bilan officiel auxquels s’ajoutent 264 blessés, dont 39 policiers et gendarmes, lors des manifestations du 8 décembre.

[3] Voir la vidéo

[4] Il a notamment illustré cet article.

[5] Ces grenades devraient être prochainement remplacées à terme par des grenades GM2L, plus bruyantes mais sans charge TNT. La commande des grenades GLI F4 n’a pas été renouvelée par l’État.

[6] D’après un article de Libération, l’homme tabassé sur la vidéo diffusée ne serait pas Mehdi K. Une autre personne aurait donc aussi été passée à tabac.


http://lenvolee.net/des-gilets-jaunes-face-a-la-justice/?fbclid=IwAR3O_-UDiiNeND9_pAJVn03flikn9ab8QwNsMAffB0QD2HNYBTpb6UHNOiw

DES GILETS JAUNES FACE A LA JUSTICE… de classe
15 décembre 2018 lenvolee

« Si vous le saviez, pourquoi vous y rendre ? » un procureur parmi d’autres.

Un gouvernement qui ne parvient pas à écraser un mouvement de  contestation dans l’œuf dispose de plusieurs outils pour le circonscrire et l’étouffer s’il menace de tenir, voire de s’étendre. Au bout de cette chaîne répressive, il y a les tribunaux. La ministre de la Justice Nicole Belloubet, en visite au tribunal de Paris au lendemain de la manifestation du 1er décembre, avait demandé aux magistrats une réponse pénale « tout à fait ferme » à l’encontre des prévenus. C’est pourquoi il est très important de soutenir les inculpés, notamment par la présence aux procès. C’est bien sûr une solidarité nécessaire, mais surtout, c’est un moment de la lutte à part entière ; et c’est particulièrement vrai dans le mouvement actuel.

En effet, une des particularités de ce mouvement, c’est qu’une grande partie des gens qui descendent dans la rue n’ont jamais eu affaire à la justice et ignorent bien souvent tout ou presque de son fonctionnement. Et comme ce ne sont pas des bourgeois, ils subissent de plein fouet la violence de classe qui s’exerce quotidiennement dans les tribunaux ; en particulier dans les comparutions immédiates qui pratiquent une justice d’abattage. Ils n’ont ni les connaissances juridiques et les stratégies qu’apprennent et échangent les « habitués » des tribunaux et des prisons… ni le langage et les attitudes légitimes – et l’aide d’un bon avocat payé en conséquence – qui tendent à adoucir la sentence pour les bourgeois. Chacun sent bien qu’il va sans doute falloir faire profil bas, s’excuser, regretter… mais ça ne suffit pas pour se défendre.

Nous publions ici quelques observations générales sur des audiences auxquelles nous avons assisté – comme toujours avec l’institution judiciaire qui s’ingénie à tout individualiser, il n’y a pas de vérité absolue, ce qui n’empêche pas de dégager certaines tendances – suivies de comptes rendus d’audiences d’ici et d’ailleurs.

En assistant aux procès, chacun et chacune peut tenter d’analyser et de publiciser les postures et les réflexes qu’adoptent les juges dans la période actuelle : les chefs d’inculpations choisis, le genre de défense à laquelle s’attendent les procs, le montant des réquisitions pour tel ou tel acte… ces éléments peuvent permettre de renforcer les stratégies de défense des prévenus, et donc le mouvement lui-même.

 Des GAV par milliers

Selon les chiffres officiels recoupés ici et là dans un article paru sur Bastamag.net le 10 décembre, il y avait déjà eu à cette date plus de 3300 arrestations dans le cadre de ce mouvement. Si toutes n’ont pas conduit à une garde à vue (GAV), ça a été le cas dans l’immense majorité. Plusieurs milliers de personnes ont fait l’expérience de la plus courte des peines de prison : vingt-quatre, quarante-huit heures ou plus (pour cause de micmacs sur les PV pour réguler les flux dans certains commissariats) entre les mains de la police.

Cette situation très désagréable – surtout la première fois – conduit beaucoup de personnes interpellées à parler, à répondre aux policiers… belle occasion de charger un dossier qui souvent ne contenait jusque-là qu’un procès-verbal d’interpellation. Ne pas répondre, ou nier les faits, est un droit que beaucoup ignorent. Il faut le faire savoir au maximum : contrairement à ce que disent invariablement les policiers, moins on parle, moins on s’expose – que l’on se pense innocent ou que l’on se sache coupable.

Une bonne partie des GJ gardés à vue est ressortie après un simple « rappel à la loi » parce que malgré tous leurs efforts, les OPJ n’avaient pas réussi à trouver de quoi constituer une infraction à poursuivre. Ça a été le cas de la plupart des gens qui ont été arrêté de manière préventive juste parce qu’ils étaient « équipés » (de masques, de cache-cols, de sérum physiologique), ou parce qu’ils sont arrivés en groupe à un endroit où les « forces de l’ordre » étaient particulièrement zélées ; le but de ces arrestations étant avant tout d’assécher les rassemblements du jour et de dissuader ceux et celles qui voudraient se rendre aux suivants.

Refuser la comparution immédiate

« Plus de 1200 personnes auraient été déferrées devant la justice depuis le début du mouvement. Par comparaison, c’est désormais davantage que lors de la contestation contre la loi Travail, de mars à juin 2016 sous le mandat de François Hollande, mouvement au cours duquel 753 personnes avaient été poursuivies » (source : bastamag.net).

Celles et ceux qui ne sortent pas avec un rappel à la loi sont donc « déféré.e.s », c’est-à-dire qu’ils et elles comparaissent devant un juge pour répondre des « éléments » qu’il y aurait dans le dossier. Ça peut être la déclaration d’un flic concernant l’interpellation, des images de vidéosurveillance « exploitables », un aveu du prévenu, un simple texto dans son portable, une vidéo dans le téléphone d’un autre manifestant arrêté, ou encore « une preuve matérielle » : un gant troué, une pierre dans la poche, etc. C’est à ce moment-là que le juge propose au prévenu, soit d’être jugé tout de suite en « comparution immédiate », soit de demander à être jugé plus tard pour préparer sa défense.

Que l’on s’estime innocent ou coupable, il vaut mieux refuser la comparution immédiate. Être jugé tout de suite, à chaud, c’est courir le risque de prendre une peine « pour l’exemple », et se priver de l’aide d’avocats capables de défendre correctement le dossier – ne serait-ce que parce qu’ils auraient eu le temps de le lire.

Lorsqu’on refuse la comparution immédiate, le juge est dans l’obligation de donner la date à laquelle on sera de nouveau convoqué. La question est de savoir si on attendra cette date en prison ou dehors. Pour en décider, le tribunal examine les « éléments de personnalité », c’est-à-dire des informations sur le travail, le revenu, le domicile… pour déterminer, d’une part, si l’institution judiciaire est assurée de retrouver le prévenu le jour de son procès et, d’autre part, dans la période actuelle, s’il risque de retourner en manif d’ici là.

Lorsque l’on voit un avocat en GAV, il faut donc lui demander de contacter quelqu’un qui pourra lui faire parvenir des « garanties de représentation » : fiche de paye, avis d’imposition, facture prouvant la domiciliation, déclaration d’une association, etc.

Comme beaucoup de prévenus arrêtés pendant ce mouvement travaillent ou suivent une scolarité et ont une famille ou une vie considérée comme suffisamment stable aux yeux des juges, ils ont été nombreux à être libérés dans l’attente de leur procès – mais toujours avec l’interdiction de manifester, et de se rendre à Paris pour les non-parisiens de banlieue et d’ailleurs, le tout assorti d’un contrôle judiciaire plus ou moins strict, c’est-à-dire une obligation de pointer au commissariat ou à la gendarmerie de sa commune entre une et trois fois par semaine.

 En comparution immédiate

 Malheureusement, très peu de gens refusent la comparution immédiate – tout le monde ne sait pas que les peines y sont souvent plus lourdes, et puis il y a toujours la pression des policiers qui font croire qu’en cas de refus on part forcément en détention préventive… mais surtout, l’envie d’en finir au plus vite, l’illusion qu’on en sera quitte avec une GAV et un rappel à la loi.

C’est faux, mais dans ce mouvement ça marche à fond, d’autant que les interpellés viennent très souvent de loin pour manifester à Paris et qu’ils ont envie de rentrer chez eux. Ils reculent devant la perspective d’avoir à revenir pour un procès dans plusieurs semaines, alors qu’ils n’auront sans doute ni le temps ni l’argent.

Tous les prévenus – à de très rares exceptions près – des comparutions auxquelles nous avons assisté étaient poursuivis pour le désormais fameux « groupement en vue de commettre des dégradations ou des violences ». C’est devenu une sorte de socle commun pour ce mouvement, et pour cause : c’est un chef d’inculpation très très très pratique, puisqu’il permet au juge, quand il fait mine de vouloir reconstituer les faits, ainsi qu’au procureur dans son réquisitoire contre l’accusé, de mettre l’accent, soit sur le caractère collectif (groupement), soit sur l’intention (en vue de), soit sur les lieux où la personne est arrêtée (un endroit où des dégradations ou des violences ont été commises). Ce cocktail permet à la cour de poser des questions de tous types et cette succession de questions parfois anodines donne souvent l’illusion qu’elle cherche simplement à « établir la vérité », à « bien comprendre ce qui s’est passé », « ce que faisait l’accusé » etc. En réalité, le juge est en train d’accumuler en direct les charges suffisantes pour justifier la sentence que le procureur va requérir… alors même que le dossier monté par la police en GAV est la plupart du temps vide.

« En vue de » : gare aux intentions

 Dans les procès auxquels nous avons assisté dans le néo-palais de justice de Paris, suite aux manifestations des 1er et 8 décembre, les magistrats ont invariablement commencé par demander pourquoi le prévenu était allé manifester et si c’était la première fois, pour vérifier si la personne était un « authentique Gilet jaune ». Ils se sont largement fondés pour cela sur sa profession et son salaire : pour les juges et les procureurs –pour certains avocats aussi d’ailleurs– le Gilet jaune travaille – mais il est précaire, artisan, ou exerce une profession indépendante. Il a des raisons de manifester… mais ce n’est pas un militant ; et puis, surtout, il n’a jamais été condamné auparavant – sauf, à la limite, pour un délit routier.

S’il a un casier judiciaire, il bascule immédiatement dans la catégorie haïe du « délinquant d’opportunité » : il s’est glissé dans la manifestation pour profiter du chaos, piller et attaquer la police, et ses gestes n’ont rien à voir avec la colère – éventuellement – légitime des « authentiques Gilets jaunes ». Juges et procureurs sont rassurés de retomber sur leur gibier quotidien, et ils n’en sont que plus féroces et se permettent même de tancer le désigné « casseur » au nom de la crédibilité du mouvement. En bons bourgeois qu’ils sont, ils savent que l’ordre social repose en partie sur leur travail, qui consiste essentiellement à distinguer les bons pauvres des mauvais. Plus tu as chuté dans l’échelle sociale, plus tu as fait de prison, plus tu es paumé, moins tu mérites ta place dans ce mouvement de contestation. Comme toujours, si tu as fait de la prison, tu retourneras en prison, quant bien même elle serait directement responsable de ta misère actuelle.

Passer l’examen d’« authentique Gilet jaune » avec succès ne suffit pas pour autant à laver le prévenu de toute « intention » malveillante. Elle peut s’être nichée dans un texto du genre : « Debout les amis, il est 5 heures, on monte à Paris, c’est la révolution. » Ou dans le matériel dont s’est équipée la personne : les protections témoignent de l’intention de se rendre dans un endroit où il y aura des gaz, « si vous le saviez, pourquoi vous y rendre ? » De même que ramasser une balle de flashball ou une grenade qu’on a reçue indique l’intention de la renvoyer sur les forces de l’ordre, etc.

 « Le groupement » : gare aux autres

 En gros, pour le proc, on n’est jamais « là par hasard » : si des gens cassent des vitrines ou jettent des cailloux sur les « forces de l’ordre » là où on est, c’est comme si on le faisait soi-même. En gros, notre présence, notre regard sur la scène (encore plus si nous la filmons) nous en rend complice.

Le « groupement » peut être constitué dès lors qu’une vidéo montre le prévenu à proximité d’un groupe en capuches – qu’ils soient en train de dégrader quelque chose ou pas à ce moment-là. Il peut même être constitué grâce à une vidéo saisie dans un téléphone pour peu qu’on s’y adresse à un autre manifestant. Dans le cas où aucune image exploitable n’est disponible, le juge demande d’une voix rassurante : « Je cherche à bien comprendre ce que vous avez fait, donc dites-moi : quand vous êtes arrivés, il y avait des gens qui cassaient ? » ; et le prévenu répond, pensant que sa sincérité le protègera : « Oh oui, c’était vraiment le bordel ! Il y en a qui cassaient, mais pas moi ! » Le juge a réussi son coup : la personne a reconnu qu’elle s’est trouvée en compagnie de « casseurs ». Et un groupement de plus !

Lorsqu’il n’y a vraiment rien dans le dossier, le juge peut s’appuyer sur un « PV d’ambiance » pour constituer le fameux délit de « groupement ». Ce drôle de truc, parfois aussi appelé « PV de renseignement », est un ramassis de considérations d’un agent X sur la situation dans un périmètre donné à un moment donné. Ce PV d’ambiance peut d’ailleurs remonter à deux ou trois heures avant l’arrestation.

Enfin, il peut y avoir groupement même si la personne a été interpellée alors qu’elle rejoignait sa voiture avec un groupe d’amis, par exemple. Le juge demande d’ailleurs souvent si la personne est venue seule à la manifestation ; et si elle était accompagnée au moment de son arrestation.

Bref, le « groupement « est LE chef d’inculpation fourre-tout qui permet l’arrestation et la condamnation de masse.

Néanmoins, les seules relaxés ont été ceux qui ne devaient répondre que de ce seul chef d’inculpation. Certains avocats et avocates ont d’ailleurs bien compris qu’il faut le démonter à toute force et mettre à jour qu’il n’est rien d’autre qu’une remise en cause radicale du droit de manifester.

Quant aux prévenus qui avaient en plus de ce chef d’inculpation des violences contre agent (avec ou sans dépôt de plainte de l’agent en question), des outrages, des vols ou du recel de marchandise volée, des dégradations de biens – sur la base de flagrants délits, d’aveux en GAV ou de vidéos (parfois filmées par eux-mêmes ou par leurs amis), ils ont tous été condamnés à des peines de prison. Assorties de sursis, ou même à du ferme, avec mandat de dépôt ou non, toujours selon les « personnalités ».

Nous attendons d’avoir des retours de la part de ceux qui ont été incarcérés pour développer la question de la prison suite à ce mouvement.

 Vous pouvez lire ci-dessous certains des comptes rendus des procès auxquels nous avons assisté et nous renvoyons à d’autres ici notamment à Toulouse.

Nous vous invitons à vous rendre dans les tribunaux, à prendre des notes et à échanger avec les autres personnes présentes dans la salle, notamment si les familles des accusés sont là.

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 Vous pouvez envoyer comptes rendus de procès, commentaires, questions, informations sur d’éventuels comités de soutien et contacts de prisonniers qui voudraient des coups de main à :

contact@lenvolee.net

Twitter : @anticarceral

 

Comptes-rendus d’audiences de comparutions immédiates consécutives à la manifestation des gilets jaunes du 1er décembre.

Lundi 3 décembre, salle 6.04, de 14 à 20 heures, par M.

Il y a pas mal de journalistes, comme on pouvait s’y attendre. La juge offre un beau numéro de condescendance de classe, enchaînant blagues et petites vannes aux prévenus qu’elle ne considère visiblement pas comme de mauvais bougres ; ça ne l’empêchera pas de les laminer au moment du verdict. Une heure après le début des audiences, la mairie de Paris fait parvenir à la cour une note dans laquelle elle dit qu’elle se constitue partie civile dans toutes les affaires ; demande finalement rejetée au motif que les parties civiles doivent se constituer nommément pour chaque affaire.

Presque aucun prévenu ne l’est pour des faits caractérisés. La plupart comparaissent pour « participation à un groupuscule en vue de commettre des violences contre des biens ou des personnes », ou parce que les flics ont trouvé sur eux du matériel de défense : des gants, un plastron de moto, des genouillères, du sérum phy, des masques à peinture Casto, des lunettes de piscine, etc. Plusieurs ont été arrêtés avant d’arriver sur les lieux ; leur « participation » devient donc une « intention de participer » -ce qui ne changera rien aux peines distribuées.

Parmi les inculpés de cette après-midi beaucoup ont déjà un casier judiciaire : conduite sans permis, accident de voiture, détention de shit. Tous les prévenus viennent de banlieue ou ailleurs en France mais aucun de Paris : Toulon, la Nièvre, l’Essonne, les Ardennes, St-Germain-en-Laye, le Blanc-Mesnil. Ils sont ouvriers ou artisans : deux maçons, deux tourneurs-fraiseurs, un soudeur, un inspecteur qualité, un cariste, un forgeron, un mécanicien, un technicien élec et un préparateur de commandes. L’un d’entre eux a fait la guerre du Kosovo, un autre est un ancien militaire condamné pour désertion. Il y a aussi un fils de flic. La plupart insistent sur le fait qu’ils n’ont rien contre la police, qu’ils ne sont ni d’extrême gauche, ni d’extrême droite, qu’ils n’avaient jamais fait de manif jusque-là, qu’ils condamnent les « casseurs ». Ils disent qu’ils ont bien retenu la leçon et n’iront plus jamais en manif.

R. est accusé d’avoir participé à un « groupement » alors qu’il a été arrêté à 10h50 -avant de rejoindre la manif-, ainsi que d’avoir apporté un plastron, des gants et un casque de moto. Déjà condamné pour violences et conduite sans permis, il prend quatre mois de sursis et une interdiction de séjour à Paris de huit mois.

S. : Les flics ont trouvé sur lui un casque de vélo qui viendrait du Décathlon pillé. Déjà condamné quand il était mineur pour incendie et vol de voiture, il prend trois mois avec sursis.

J., D., G., M. et F. sont eux aussi accusés d’avoir participé à un « groupement » -alors qu’ils ont été arrêtés à 10h30, en descendant de leur voiture-, d’avoir été équipés de sérum physiologique, de lunettes, de masques à peinture, de gants et de petits pétards tout à fait légaux. L’un d’eux, qui a déjà un casier (suite à un accident de voiture), n’est pas éligible au sursis. Il prend trois mois ferme sans mandat de dépôt. C’est la plus grosse condamnation de l’après-midi ; il va faire appel. Les deux qui avaient des pétards sur eux prennent huit mois avec sursis, les deux qui n’en avaient pas en prennent quatre. Tous sont interdits de séjour à Paris pour un an. 

J. est accusé d’avoir lancé un morceau de macadam sur les flics. Heureusement, lui n’accepte pas la comparution immédiate (c’est le seul). Il passera le 10 janvier à la 23e chambre correctionnelle, salle 3. D’ici là, il est placé sous contrôle judiciaire avec obligation de maintien à domicile (sauf pour se rendre au travail ou à un rendez-vous médical) ; interdit de séjour à Paris, il doit aller pointer toutes les deux semaines.

F. est accusé d’avoir  participé à un « groupement« , d’avoir un sweat à capuche et des gants. Il est relaxé.

A. a été arrêté à Bastille. Les flics l’ont fouillé alors qu’il descendait prendre le métro, et il avait un masque à gaz NRBC. Il est accusé de port d’arme de 1e catégorie, parce que c’est du matos militaire. Il est condamné à huit mois de sursis, avec interdiction de porter une arme -toutes catégories confondues- et de venir à Paris pendant un an.

F. est accusé d’avoir participé à un groupement, d’avoir déplacé une barrière mobile et fait des pochoirs sur les murs. Il s’est pris des coups de matraque : cinq jours d’ITT, il a le visage complètement contusionné. Dans le PV d’interpellation, le flic précise qu’il ne fait pas partie des individus qui s’en sont pris à eux. Il est condamné à six mois de sursis et 500 euros d’amende pour les pochoirs « Marche ou crève », et huit mois d’interdiction de Paris.

Mardi 4 décembre, salle 6.04, de 14 à 20 heures, par S.

Aucun des prévenus âgés de 22 à 40 ans ne viennent de Paris : Jura, Alsace ou grande banlieue (Seine-et-Marne). Tous intérimaires ou chômeurs alors qu’ils ont un bac pro ou technique, ou le niveau BTS. Des déclassés des classes moyennes tombés dans la galère alors qu’ils ont fait tout ce qu’il fallait pour trouver un taf. Aucun n’est poursuivi pour violences. Juste parce qu’ils étaient présents avec du matériel (principalement défensif : lunettes, sérum physiologique, masques, gants), ils sont accusés d’avoir « participé sciemment à un groupement formé même de façon temporaire en vue de commettre des dégradations » et tout le blabla… un fourre-tout sorti de la dernière loi sécuritaire. Plus besoin d’actes de dégradation ou autres pour poursuivre : on juge une intention comme aux beaux jours de la loi anticasseurs. Petite modernization toutefois : les portables ont été analysés, et les textos ont valeur de preuve -à charge !

Arrêté à 19h50 avec du matos défensif et une fronde, le premier prévenu ne connaît personne à Paris. Il a acheté un blouson 30 balles après l’attaque d’un magasin, alors on lui colle une poursuite pour recel. Relaxé pour le port d’arme, il prend douze mois dont six avec sursis sans mandat de dépôt et une interdiction de se rendre à Paris pendant un an.

Le deuxième a été arrêté près de la Concorde à 17h25 alors qu’il traversait la place en courant ; les flics l’ont bloqué, ont fouillé son sac et trouvé le matos classique. Dix mois dont six avec sursis sans mandat de dépôt. Même s’ils sont aménageables, c’est 4 mois ferme quand même !

Un troisième prévenu a été arrêté à 19 heures alors qu’il était arrivé sur Paris à 16 heures. Comme il ne connaissait personne, il a suivi un groupe et s’est retrouvé près du Palais des congrès –dont le directeur a porté plainte. Accusé d’avoir conduit un Fenwick, il est poursuivi pour le vol d’un engin de chantier avec lequel il aurait tenté de forcer les portes du bâtiment. Des vidéos le montrent bien à côté de l’engin, mais lui déclare qu’il a au contraire actionné le frein à main pour arrêter l’engin. Il avait 3 cailloux dans sa poche. Six mois avec sursis, et six mois d’interdiction de séjour à Paris.

C’est ensuite au tour d’un gars venu d’Alsace avec un pote pour “voir de ses yeux”. Impressionnés par le speed de ce qui se passe autour, ils sont entrés dans un rade pour suivre le reste à la télé et se sont un peu bourré la gueule… sorti du rade, le mec passe un coup de bigo à sa copine, adossé à une vitrine. Enervé, il fout un coup de semelle dans la vitrine qui était déjà fêlée. À l’intérieur, le gérant appelle les condés qui le suivent, lui et son pote ; ils sont arrêtés quand ils sont en train de chercher un hôtel. Le gérant n’est pas présent à l’audience et ne s’est pas porté partie civile. Soixante jours amendes à 5 euros.

Venu du Jura avec des potes, le cinquième à comparaître a dormi la veille chez sa mère avant de se retrouver à la manif. Il se mange une accusation de recel parce qu’on a trouvé sur lui des bouteilles d’alcool à son arrestation près d’un magasin Nicolas pillé. Sa GAV ne lui a été notifiée qu’à 23h25 alors qu’il a été arrêté à 20 heures. Le proc soutient qu’il a été arrêté à 23h25, parce qu’à cette heure-là, ça pétait dans le coin. Il prend trois mois avec sursis pour le recel des bouteilles. Il n’a pas participé à la manif mais exprime le désir de rencontrer les gens: il a acheté les bouteilles pour les partager, car “il aime les gens”. Visiblement ce n’est pas le cas du proc !

Dans l’ensemble, le proc a eu la main lourde: il a plusieurs fois demandé de la prison ferme avec mandat de dépôt.

Et si, la plupart du temps, il n’y a pas eu de mandat de dépôt et que ça semblait soulager les prévenus, il ne faut pas se faire d’illusion : c’est un peine ferme. D’une part ce n’est pas sure qu’elle soit aménagées et donc les accusés la feront peut être en prison ; et même si elle est aménagée, ils la feront, d’une autre manière mais ils la feront et cela pèsera dans leur vie.

D’autre part, à l’échelle collective le fait de multiplier le ferme sans mandat de dépôt, ajoute un barreau intermédiaire à l’échelle des peines entre le sursis et le ferme ; ce qui veut dire que souvent, là où un proc aurait requis du sursis, il requiert du ferme.

Les prévenus semblaient aussi accusés de soutenir le mouvement : plusieurs fois, un assesseur a demandé : « Et maintenant, quelle est votre position par rapport au mouvement ? ». Tous ont dit regretter, ne plus être solidaires, et qu’ils allaient suivre la suite à la télé. On peut constater que la zone « sécurisée » des Champs a eu une double fonction : contenir les manifestants tout en maintenant l’illusion du « droit fondamental de manifester », mais aussi servir d’indicateur de la volonté d’en découdre. Le proc a dit plusieurs fois: « Mais autour de vous, vous les voyiez, les violences… Vous auriez dû partir ! Si vous étiez un manifestant pacifique, vous auriez dû vous trouver dans la zone sécurisée. » Deux journalistes, dont une qui bosse à Radio France : « Non, mais c’est la récré : des frondes, des masques à gaz… -Le procureur à raison : c’est pas une manif, c’est l’émeute ! -La police a raison de mettre de l’ordre. »

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https://www.francetvinfo.fr/economie/transports/gilets-jaunes/info-franceinfo-gilets-jaunes-une-vingtaine-de-photoreporters-et-journalistes-independants-vont-porter-plainte-pour-des-violences-de-la-police_3100937.html

“Gilets jaunes” : une vingtaine de photoreporters et journalistes indépendants vont porter plainte pour des “violences” de la police

Plus d’une vingtaine de reporters photographes et journalistes indépendants, estimant avoir été pris pour cible par les forces de l’ordre lors de la manifestation des “gilets jaunes”, annoncent, dans une lettre de leur avocat transmise à franceinfo, leur intention de déposer une plainte avec constitution de partie civile.

Margaux DuguetFrance Télévisions

Mis à jour le 14/12/2018 | 20:58
publié le 14/12/2018 | 20:30

Un journaliste de l’agence A2PRL touché par un lanceur de balle de défense (LBD), des photoreporters de l’agence Hans Luca “pris pour cible par des forces de l’ordre” mais aussi des journalistes qui ont vu leur matériel de protection confisqué par les forces de l’ordre… Au lendemain de l’acte 4, samedi 8 décembre, de la mobilisation des “gilets jaunes”, Libération avait compilé les témoignages de plusieurs reporters “visés et blessés par la police” tandis que franceinfo avait témoigné des conditions très difficiles de travail des médias ce jour-là.

Une semaine après les faits, certains ont décidé de ne pas en rester là alors que l’acte 5 des “gilets jaunes” est attendu samedi. Dans une lettre obtenue par franceinfo et envoyée, vendredi 14 décembre, au procureur de la République, au préfet de police de Paris et au ministre de l’Intérieur, 24 photoreporters et journalistes indépendants, représentés par Jérémie Assous, également avocat de Julien Coupat, annoncent leur intention de déposer plainte avec constitution de partie civile pour confiscation de matériel professionnel et de protection ainsi que pour violences avec arme.

“Ils m’ont expliqué qu’ils n’en avaient rien à faire de ma carte de presse”

“Leur travail, qui participe des fondements de l’Etat de droit, a été gêné, empêché, entravé par ceux-là même qui ont pour seule mission le maintien de l’ordre public”, écrit maître Assous, dans cette lettre longue de cinq pages. “Les témoignages écrits et les vidéos édifiantes affluent, révèlent les comportements délicteux des fonctionnaires de police, qui se banalisent au fil des derniers événements”, poursuit-il.

A ces propos généraux, s’ajoute le détail des situations de chacun des journalistes. Véronique de Viguerie, photoreporter, était par exemple en mission le 8 décembre à Paris pour le Washington Post lorsque les policiers lui ont confisqué son matériel de protection. “J’ai pris une photo et tout de suite les policiers sont venus vers moi et m’ont demandé de fouiller mon sac”, raconte-t-elle à franceinfo. D’après son récit, les forces de l’ordre lui ont confisqué ses deux casques de protection estampillés “presse”, ses deux masques, mais également “des protections de peintre pour se protéger des gaz lacrymogènes”. Véronique de Viguerie dit leur avoir montré sa carte de presse, sans succès : “Ils m’ont expliqué qu’ils n’en avaient rien à faire.” 

Quand je leur ai demandé comment j’allais pouvoir récupérer mon matériel, ils ont rigolé et m’ont dit que ça allait être brûlé.Véronique de Viguerie, photoreporterà franceinfo

L’Intérieur réagit dans un communiqué

L’IGPN (l’Inspection générale de la police nationale) “est d’ores et déjà saisie d’un grand nombre de plaintes”, précise la lettre de Jérémie Assous. “A ces plaintes, s’ajouteront celles de ceux qui ont décidé de me confier la défense de leurs droits avec le soutien de l’UPP (Union des photographes professionnels), du SNJ (Syndicat national des journalistes), de RSF, de la CGT et de FO qui se constitueront parties civiles”. 

Interpellé justement par le SNJ sur le sujet, le ministère de l’Intérieur avait précisé le 11 décembre dans un communiqué qu’“aucune consigne n’a été adressée aux forces de l’ordre qui aurait eu pour effet de limiter l’exercice de la presse”. “Si des journalistes ont eu à souffrir de l’emploi de la force par des unités de police ou de gendarmerie, il invite ceux-ci à déposer plainte au plus vite ou à procéder à un signalement sur la plateforme internet de l’inspection générale de la police nationale prévue à cet effet”, rappelait le communiqué. C’est désormais chose faite.

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_https://www.acrimed.org/Face-au-mepris-des-medias-dominants-a-leur

Face au mépris des médias dominants, à leur traitement délétère des mouvements sociaux : mobilisons-nous !

par Acrimed, jeudi 13 décembre 2018

Nous lançons un appel à l’ensemble des forces politiques de la gauche de gauche, aux journalistes et à leurs syndicats, aux collectifs de journalistes précaires, aux médias alternatifs comme à l’ensemble des usagers des médias, pour contester les dérives médiatiques actuelles et penser urgemment la réappropriation démocratique des médias (des) dominants !

Le traitement médiatique des mouvements sociaux en cours, et en particulier celui des gilets jaunes, n’est hélas pas surprenant. Toutefois, la mobilisation des médias dominants en défense du pouvoir politique et des forces de répression a pris depuis quelques semaines des proportions inédites.

Plus que jamais, les médias dominants jouent le rôle de gardiens de l’ordre établi.


Face à un mouvement s’inscrivant dans la durée, à la diversité de ses revendications, à sa popularité, et à la situation de crise politique dans laquelle il est en train de plonger le gouvernement, les maîtres (grands ducs et petits marquis) de l’espace médiatique resserrent les rangs. Il s’agit coûte que coûte de trouver des solutions de « sortie de crise » pour préserver le gouvernement en place, afin qu’il « garde le cap » des « réformes » libérales, et surtout de défendre les institutions qui contribuent à légitimer son pouvoir comme celui des tenanciers des grands médias. Le tout dans une surenchère autoritaire qui appuie et avalise l’emploi de la force par l’État ou appelle à davantage de répression. Des objectifs parfaitement synthétisés par Bernard-Henri Lévy, éternel phare de la pensée médiatique, dans un appel résumant l’esprit qui règne parmi les chefferies éditoriales des « grandes » rédactions : « Que Macron parle ou pas, que l’on soit d’accord avec lui ou non, qu’on soit pour ses réformes ou contre, n’a, à cet instant, aucune importance. Face à la montée en puissance des fachos, des factieux et des ennemis de la République, une seule option digne : soutien au Président Macron. »

Contre les médias de démobilisation sociale…


Comme à l’occasion de chaque mouvement social, les chiens de garde se démultiplient et quadrillent la quasi-totalité de l’espace médiatique en décrétant ce que nous devons penser et ce dont il faut parler. Symptôme de la « grande peur » médiatique, tous les mécanismes d’ordinaire utilisés pour la préservation de l’ordre établi sont ici mobilisés à la puissance dix : suivisme vis-à-vis de la communication gouvernementale ; sommations incessantes à ne pas aller manifester ; surexposition des violences (des manifestants) ; injonctions unanimes et unilatérales à les condamner ; délégitimation des revendications sociales et de certains représentants des mobilisations, etc. Autant de rappels à l’ordre déversés de manière continue sur les chaînes d’information telles que BFM-TV, LCI ou CNews.

Si les médias dominants ne fabriquent pas l’opinion à proprement parler (la défiance qu’expriment nombre de manifestants à leur égard en étant une des preuves), ils contribuent, par tous ces mécanismes, à :

– construire une atmosphère anxiogène ;
– définir les revendications sociales et politiques « légitimes » et définir le cadre dans lequel ces revendications doivent s’exprimer ;
– sélectionner et promouvoir la visibilité publique de porte-parole légitimes et de ceux qui ont le droit de s’exprimer.

Dans un tel contexte, les chefferies éditoriales se mobilisent en première ligne : chefs des services politique/justice/police, rédacteurs en chef, éditorialistes et chroniqueurs idéologues sont, de manière encore plus flagrante que d’ordinaire, de véritables militants en service commandé pour la classe dominante et ses oligarques.

Contre ceux-là, notre appel s’adresse aussi à l’ensemble des journalistes, précaires, forçats de l’information dominés par ces hiérarchies étouffantes et dont le travail se trouve souvent mutilé, détourné et saboté selon le seul bon vouloir de leurs patrons et « responsables » : combien de temps encore les tenants du système médiatique pourront-ils exercer leur pouvoir sur le dos des journalistes et en leur nom ?

… mobilisons-nous !


Née dans la foulée du mouvement social de 1995, Acrimed est une association qui dénonce les dérives d’une information trop souvent partiale et biaisée, fabriquée par des fondés de pouvoir de la classe dominante, qui ne trouvent jamais rien à redire au monde tel qu’il va. Un des objectifs de cette lutte consiste dans une transformation radicale de l’espace médiatique, qui passe notamment par l’expulsion des forces de l’argent de cet espace et par l’instauration de conditions permettant une réelle appropriation démocratique de l’expression médiatique et une information libre, indépendante et pluraliste.

C’est pourquoi nous lançons aujourd’hui un appel déterminé, à l’ensemble des forces politiques de la gauche de gauche, à l’ensemble des journalistes, à leurs syndicats, aux collectifs de journalistes précaires, aux médias alternatifs comme à l’ensemble des usagers des médias à tous nous réunir urgemment. Comment ? Une grande réunion publique en janvier serait une première étape : pour mettre en commun les expériences et préoccupations des uns et des autres, et pour discuter ensemble des actions concrètes à mener afin d’exprimer et faire entendre notre refus des dérives actuelles des médias dominants.

L’espace public et médiatique appartient à tous et ne saurait en aucun cas rester la propriété de la classe dominante. Notre combat doit devenir celui de tout le monde et nous invitons les acteurs des mouvements sociaux à s’emparer de la cause de la libération des médias.

Si vous souhaitez connaitre les suites de cet appel ou vous impliquer dans de futures initiatives, vous pouvez envoyer un message à l’adresse acrimedinfo(à)gmail.com. N’hésitez pas à faire circuler et à relayer massivement cet appel !