La Nouvelle Calédonie s’appellera-t-elle un jour la Kanaky ?

19 Novembre 2020

La Nouvelle Calédonie constitue une exception politique en Mélanésie, un ensemble d’îles situé dans l’océan Pacifique, proche de l’Australie et constitué de cinq entités indépendantes les unes des autres en raison de leur éloignement mais liées par une même identité culturelle, quatre d’entre elles étant autonomes.
Le 4 novembre 2018, 56,4% des électeurs de la Nouvelle-Calédonie avaient répondu  NON à la question : “Voulez-vous que la Nouvelle-Calédonie accède à la pleine souveraineté et devienne indépendante ?”.
Le 4 octobre 2020, le NON l’emporte à nouveau avec 53,26% des voix face au “oui” à  46,74%. Les votes indépendantistes qui sont surtout ceux des Kanaks (1),  progressent mais n’atteignent pas encore la majorité. Un troisième referendum pourrait être organisé en 2022 à la demande des autorités locales.

1-Un peu d’histoire

La France s’empare de l’archipel en 1853 et la colonisation  commence par la fondation d’un établissement militaire baptisé Nouméa. Les premiers colons expulsent les Kanaks dont ils s’approprient les terres et commencent à exploiter le nickel. Le 2 septembre 1863, Napoléon III signe le décret fondateur de la colonisation pénale. Le premier convoi de bagnards arrive l’année suivante, le dernier en 1897. L’ultime établissement pénitentiaire ferme en 1922. Les bagnards les plus célèbres sont les déportés de La Commune –  parmi lesquels  Louise Michel et Henri de Rochefort – qui débarquent le 4 mai 1873 à Nouméa avec 540 autres communards.
Les Canaques (ou Kanaks ) soumis à une administration étrangère autoritaire et raciste vont tout naturellement se révolter à plusieurs reprises. La première grande révolte de 1878 prend sa source dans le vol et la spoliation des terres des tribus par les colons.  Près de 3000 Kanaks se soulèvent mais l’insurrection est matée dans le sang au bout de quelques mois.
De nombreux  affrontements ont eu lieu de façon sporadique,  les plus meurtriers fin 1984, début 1985 et mai 1988 ( plus de 70 morts),  principalement pour des revendications foncières.

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2- « Les évènements » de 1988 et le retour à la paix

Le 22 avril 1988, sur l’île d’Ouvéa (Province des îles Loyauté (2)), une soixantaine d’indépendantistes et membres du FLNKS ( Front de Libération Nationale Kanak et Socialiste), attaquent la gendarmerie. Quatre gendarmes sont tués, l’un est blessé et trois indépendantistes sont blessés. Les vingt-six autres gendarmes sont pris en otages et séparés en deux groupes. Les 11 otages du premier groupe sont rapidement libérés sous la pression des chefs coutumiers,  les 15 autres sont emmenés dans une grotte au nord de l’île. Le 5 mai, 75 hommes menés par le GIGN (3) participent à l’assaut qui se solde par la mort de deux militaires et de dix-neuf indépendantistes.  Ces actes de guerre civile qu’on a pudiquement désignés sous le terme « évènements » ont causé un fort traumatisme dans toute la population et ont marqué un véritable tournant dans l’histoire  du pays. Deux jours après les « événements », François Mitterrand est réélu Président de la République. Il nomme Michel Rocard Premier ministre et celui-ci constitue une « mission de dialogue » chargée de renouer la discussion entre Caldoches (4) et indépendantistes. Ces pourparlers se soldent par la signature des accords de Matignon-Oudinot ( 26 juin et 20 août)  qui furent complétés 10 ans plus tard par l’accord de Nouméa ( 1998). La Nouvelle Calédonie entre alors dans un long processus de « décolonisation ».
Ces accords instituent un nouveau statut provisoire donnant une très large autonomie de gestion. Les diverses communautés sont invitées à surmonter leurs antagonismes hérités de la longue période coloniale pour se forger un destin commun. Le peuple devra décider par référendum, d’ici 2018, du type de souveraineté dont il souhaite se doter.

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3- Développement économique. Mesures de « rééquilibrage »

Dans les années 1970-1980, quelque cent trente ans après que la France eut fait main basse sur la Nouvelle-Calédonie, les Kanaks sortaient encore peu des réserves où ils avaient été cantonnés à la fin du XIXe siècle. La différence de développement entre le Nord (majorité kanake) et le Sud ( région de Nouméa ) est flagrante.
Après 1998, une politique dite de «  rééquilibrage » est entreprise pour mettre fin à cet apartheid inavoué : raccordements au réseau électrique, routes goudronnées, adductions d’eau, amélioration de l’habitat rural, construction d’hôpitaux, d’écoles, plans de formation, aménagement d’une marina, ouverture de bibliothèques, de complexes culturels et de supermarchés, nouveaux lotissements d’habitations, etc. En outre, la gestion rigoureuse du projet minier a abouti à l’ouverture de l’usine de traitement du nickel de Vavouto où les indépendantistes sont majoritaires (51 % des parts).

4- Une décolonisation réussie ?

Avec un taux de croissance compris depuis une vingtaine d’années entre 3 et 4 %, la Nouvelle-Calédonie se démarque d’une France métropolitaine toujours au bord de la récession. Plus qu’au tourisme (environ 4 % du PIB) ou à l’aquaculture, dont les résultats restent encore timides, ces bons chiffres sont dus à l’industrie du nickel (5). D’autres facteurs viennent en outre doper l’économie : loi sur la défiscalisation des investissements outre-mer, faiblesse de l’imposition sur le revenu. S’y ajoute la manne apportée par la France : subventions aux provinces, financement de sociétés d’économie mixte ou des institutions locales d’Etat, salaires des fonctionnaires venus de l’Hexagone indexés à 1,7…
Même si demeurent encore de nombreux problèmes à résoudre ( inégalités,  délinquance, pollutions, alcoolisme …) la décolonisation de la Nouvelle Calédonie se  déroule pacifiquement. On peut cependant regretter la lenteur du processus qui a été mis en route tardivement après bien des souffrances…

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Notes

(1) Kanak ou Canaques : population autochtone
(2) Iles Loyauté : c’est un archipel situé au nord-est de la Grande Terre constitué de  4 îles – Mare, Tiga, Lifou et Ouvéa – . Cet archipel forme l’une des 3 provinces de la Nouvelle Calédonie surnommée par les Caldoches le « Caillou ».
(3) GIGN : Groupement d’Intervention de la Gendarmerie Nationale
(4) Caldoches : nom ( quelque peu péjoratif) donné aux Européens installés de longue date sur le Caillou, essentiellement descendants de colons et de bagnards, généralement opposés à l’indépendance.
(5) Entre 20 et 30% des réserves mondiales de nickel se trouvent en Nouvelle Calédonie.

http://ms21.over-blog.com/2020/11/la-nouvelle-caledonie-s-appellera-t-elle-un-jour-la-kanaky.html