Jean-Luc Mélanchon
Aug 14, 2025
La rencontre de Trump avec Poutine est évidemment un évènement. Les deux personnages cumulent assez de pouvoirs sur la planète pour que ce le soit. Surtout dans un moment de dislocation géopolitique comme celui-ci. C’est aussi une humiliation de plus pour les vassaux européens et les commensaux de l’OTAN qui tiendront la bougie chez eux pendant que les dominants se passent d’eux pour décider de l’avenir de leur continent. Le contre sens de la politique suivie par les européens à propos de la Russie depuis trente ans s’étale sous leurs yeux. Car la Russie est une composante de l’Europe. Davantage que la Turquie avec qui pourtant les négociations en vue de son adhésion à l’UE sont pourtant censées continuer. Les dirigeants de l’Union européenne ont accepté le scénario conclu en 2008 à Budapest en faveur de l’annexion par l’OTAN de l’Ukraine et de la Géorgie, véritable déclaration de guerre à la Russie. Sur ce blog même j’en avais fait l’analyse et l’alerte. Je n’ai pas été le seul. Il est donc impossible de dire que cela ne se savait pas. De leur côté, les USA ont joué une partie trop compliquée. La Chine ou la Russie, il leur fallait choisir quel était le véritable « adversaire systémique ». Les atermoiements, hésitations et les allers-retours ont embrouillé leur action. Trop tard maintenant. Poutine a gagné la guerre parce que l’Ukraine ne peut la gagner sans un engagement des USA d’une ampleur qui n’est plus à l’ordre du jour. Pour cause de Chine. Les USA ne peuvent donc pas se tirer d’affaires en vainqueurs. Ils devront accepter qu’une nouvelle carte de l’Europe soit dessinée. Pour finir, l’Europe politique y aura donc laissé sa peau. Elle a prouvé qu’elle n’existe pas et n’en a ni la volonté ni les moyens. Plus que jamais ce sera l’Europe allemande. C’est-à-dire le néant.
L’Ukraine pensait pouvoir compter sur les USA surtout et sur les européens aussi pour garantir son indépendance contre l’invasion dont elle fait l’objet. Elle sait à quoi s’en tenir. Elle ne peut plus gagner. Non seulement pour les raisons militaires évoquées. Mais surtout parce que son système politique tient à un fil. Tout concourt à l’effondrement : avoir interdit les syndicats et les partis d’opposition, avoir maintenu Zelenski en place alors que son mandat présidentiel est fini, avoir tenté de sauver les corrompus qui pillent l’effort de guerre, les désertions massives, tout cela a brisé le lien unissant le système Zelenski à son peuple en guerre. Les bonimenteurs sur l’alliance OTAN comme garantie de défense vont manger leur chapeau. La petite gôche atlantiste aussi. Au demeurant, compte tenu de la nature des liens qui unissent les USA et Netanyahu, il est peu probable que le divorce entre atlantistes ait lieu.
Pour nous plus que jamais, compter sur qui que ce soit d’autre que soi-même pour se défendre est une naïveté qui se paiera toujours très cher. USA, Russes, Allemands et d’autres vont tirer chacun leur jus de cette nouvelle distribution des cartes de la puissance. Sauf la France, faute de politique réaliste et faute d’ambitions, faute de compréhension du moment.
Les frontières de l’Ukraine seront donc discutées en dehors de la présence des Ukrainiens. Le départ de Zelenski est la condition de l’accord. Tout simplement parce que son mandat est fini et que je ne crois pas la Russie capable de signer quoique ce soit avec quelqu’un bientôt remplacé par un autre qui pourrait tout remettre en cause. Si Trump et Poutine s’entendent sur un dépeçage accepté jusqu’où cela ira-t-il ? Serons-nous contemporains d’un nouveau Yalta, cet accord de partage du monde entre les USA et l’URSS ? Peut-être d’aucuns le voudraient-ils. Mais en l’absence de la Chine aucun arrangement n’a de valeur stable. Et Poutine ne lâchera pas son alliance chinoise contre les promesses des paltoquets de la fin d’empire US et de leur ribambelle de marionnettes confuses en Europe. Il aura raison. Une telle étape porte en elle d’autres orages. Je note pour mémoire à cette occasion : sur cette base les appétits de bouts d’Ukraine en Pologne et en Hongrie seront rallumés. Dès lors, d’une façon ou d’une autre, la question des frontières va revenir plus forte que jamais. Nous avions proposé une conférence des frontières sous l’égide de l’OSCE en 2016. On me fit le procès stupide de m’accuser de vouloir les changer. J’argumentais qu’elles le feraient sans nous. Et que mieux valait prendre les devant en organisant la discussion que de subir les guerres que ce genre de situation déclenche. On a vu depuis comment l’Ecosse, la Catalogne, la Flandre aujourd’hui belge ont posé un problème. Encore ne fais-je ici que nommer ce que tout le monde sait puisque les intéressés se chargent de le faire savoir. Mais encore une fois, souvenons-nous que les frontières de l’ancien bloc soviétique n’ont jamais été stabilisées comme je l’ai rappelé à l’instant à propos de la Pologne et de la Hongrie. Bref, la rencontre de Trump avec Poutine sur le détroit de Behring peut être un énorme franchissement de seuil. Seul les USA assument un risque dans cette affaire. Celui de revenir sans aucune décision validée. Quant aux européens, ils n’ont aucun moyen de tirer si peu que ce soit quelque avantage que ce soit… Tel est le bilan réel de tous les bavards qui nous ont saoulé depuis 2005 avec leur coup de menton, leur insupportable arrogance atlantiste et leurs ritournelles à l’eau tiède sur l’avenir merveilleux de leurs plans. Leur temps est épuisé comme leur projet. Un gouvernement insoumis aura les mains libres pour engager tout autre chose, tout autrement pour que la France puisse déployer son offre de non-alignement altermondialiste. Une tout autre Europe peut être en vue.
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