Par Justin Carrette et Antoine Berlioz (photographies)
Jul 18, 2025
La vie sous canicule est infernale dans la prison de Toulouse-Seysses, surpeuplée à plus de 187 %. Deux associations viennent de saisir le juge pour mettre fin à des « conditions de détention inhumaines ».
Seysses (Haute-Garonne), reportage
Dans une chaleur étouffante, la pale rafistolée d’un ventilateur tourne en continu. De la moisissure envahit l’espace étriqué qui sert de douche et de toilettes à l’entrée. Le son d’un dessin animé, l’odeur de cigarette et une dizaine de cafards morts collés à un piège nous accueillent également dans cette toute petite pièce de 10 m2 où trois hommes cohabitent.
Faute de place, un matelas est posé au sol en plus du lit superposé. Les trois détenus disposent de moins de 2 m2 par personne, dans cette atmosphère caniculaire et humide. « C’est très dur quand il fait chaud, encore plus quand on est au troisième étage comme nous. On n’a aucun espace pour s’aérer, on vit les uns sur les autres », dit l’un d’eux au député insoumis de Haute-Garonne, Christophe Bex. Ce dernier a fait valoir son droit de visite parlementaire pour pénétrer dans la prison de Toulouse-Seysses.
Les toilettes et salle de bain dans les cellules sont insalubres, des cafards circulent dans les cellules. © Antoine Berlioz / Reporterre
« Moi, ça fait trois ans que je suis ici. J’attends mon transfert en centre de détention, mais rien ne se passe », souffle le détenu. Les maisons d’arrêt sont en effet prévues pour des personnes en attente de jugement ou pour des peines inférieures à deux ans. Faute de place en centre de détention, les détenus sont parfois bloqués pendant des années en maison d’arrêt, accentuant la surpopulation de ces établissements.
« On voit bien que ces établissements ne sont pas du tout adaptés aux fortes chaleurs et au réchauffement climatique, avec des cellules surpeuplées, une température infernale et des cours de promenade en béton et sans ombre », dit le député de Haute-Garonne.
Des « conditions de détention inhumaines »
Dans cette aile du quartier pour hommes de la maison d’arrêt de Toulouse-Seysses, la surpopulation carcérale atteint 271 %. « On a 542 détenus pour 200 places effectives », précise un surveillant. « Il y a 4 surveillants pour ces 542 détenus, ce n’est pas tenable », poursuit-il.
À l’échelle de la prison, la surpopulation est de 187 %, selon le dernier rapport du contrôleur général des lieux de privation de liberté, qui précise que 322 détenus sont contraints de dormir sur des matelas au sol.
Les détenues sont souvent obligées de dormir un matelas au sol, à trois dans une petite cellule prévue pour une personne. © Antoine Berlioz / Reporterre
En se basant sur ce rapport, et en l’absence de réaction du ministère de la Justice, la section française de l’Observatoire international des prisons (OIP–SF) et l’A3D, avec le soutien du Syndicat des avocats de France, ont saisi, le 16 juillet, le juge des référés du tribunal administratif de Toulouse pour mettre fin à des « conditions de détention inhumaines ».
L’OIP souligne également que l’établissement est « dans un état de délabrement avancé » avec des « des cafards et des rats omniprésents, des sanitaires cassés, remplacés parfois par des seaux ou dissimulés derrière des rideaux improvisés. Le mobilier est vétuste et insuffisant, forçant les personnes détenues à vivre, manger et dormir dans des conditions de promiscuité extrême ».
Un « plan canicule » inefficace
Dans ce contexte, le « plan canicule » annoncé fin juin par le ministre de la Justice, Gérald Darmanin, paraît largement inadapté à ces établissements surpeuplés. Le plan comprend plusieurs mesures, notamment l’aménagement des horaires de promenades, la distribution d’eau, l’autorisation plus régulière de sortir des cellules et l’accès facilité aux ventilateurs.
« On ne peut pas changer l’horaire des promenades pour faire sortir les détenus aux heures les moins chaudes de la journée, puisque tous les créneaux sont déjà occupés », glisse un surveillant. Ce constat est confirmé par la directrice adjointe de la prison, qui fera très peu de commentaires au cours de la visite, refusant de répondre aux questions des journalistes.
La surpopulation est de 270 % dans l’établissement pour hommes. L’insalubrité et les conditions de vie difficiles de détenus sont régulièrement pointées du doigt par les associations. © Antoine Berlioz / Reporterre
Si de l’eau est effectivement distribuée en cellule durant les épisodes caniculaires, « le reste du temps, on doit la cantiner [l’acheter] », selon une détenue, qui nous parle de sa cellule exiguë.
Même chose pour les ventilateurs, qui doivent être achetés et ne sont pas fournis systématiquement. La surpopulation touche également le quartier des femmes, puisqu’elles sont 83 à Toulouse-Seysses alors que l’établissement est censé en accueillir 40. Dans un courrier du 11 juin, le directeur interrégional des services pénitentiaires (Disp) de Toulouse dénonçait un système au bord de la rupture : « La Disp de Toulouse n’est plus en mesure d’écrouer la population pénale féminine, faute de place. Toutes les cellules sont triplées ; les quadrupler, au-delà de l’indignité, est matériellement impossible. »
« La canicule fait monter la nervosité »
Les vagues de chaleur se multiplient ces dernières semaines dans le sud-ouest, et font exploser la violence dans cet établissement selon le personnel pénitentier. « La canicule fait monter la tension et la nervosité chez les détenus. On le voit : il y a plus de violence, et c’est nous, surveillants, qui payons ce prix-là », déclare Frédéric Le Stanc, surveillant au sein de l’établissement et secrétaire adjoint du syndicat Ufap-Unsa Justice.
Revoir toute la politique carcérale française
« On sait très bien que les établissements fermés comme ici, où l’on enferme des gens dans des conditions inhumaines, sont des machines à récidive », poursuit le surveillant qui a accompagné la visite. Il réclame avec son syndicat plus de moyens et d’effectifs dans le secteur pénitentiaire.
Les services médico-psychologiques de l’établissement sont également débordés, et plusieurs détenus soulignent des temps d’attente extrêmement longs pour consulter. « Franchement, on n’a jamais vu ça. Ça va finir par péter », pressent Frédéric Le Stanc devant une cellule où vivent trois femmes.
Face aux vagues de chaleur en période caniculaire, les détenus n’ont que des ventilateurs. © Antoine Berlioz / Reporterre
Très impliqué sur ces questions, le député insoumis Christophe Bex en est à sa cinquième visite de l’établissement. « Il faut qu’on investisse dans des mesures alternatives à la prison pour les petits délits, et qu’on mette des moyens dans la santé, dans l’éducation. On doit traiter ces problèmes en amont. La réponse du gouvernement et de Darmanin, qui souhaite construire toujours plus de prisons, est une vision court-termiste et électoraliste pour 2027. Il faut revoir notre politique carcérale et pénale en profondeur », dit le député.
Le 24 juillet, le juge des référés du tribunal administratif de Toulouse se penchera sur la demande des associations et constatera, ou non, l’illégalité des conditions de détention à la prison de Toulouse-Seysses.
« On espère que le juge va considérer l’urgence d’agir et qu’il va enjoindre l’État et l’administration à prendre des mesures immédiates pour améliorer les conditions de détention », souligne Jean-Claude Mas, directeur de l’OIP à Reporterre.
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