Un mouvement de masse est né, laissons-le respirer et guérir

Marco Bersani – Attac Italia
Oct 10, 2025

Il y a des moments dans l’histoire de chaque pays où les pensées et les émotions traversent les gens de manière karstique, jusqu’à ce qu’un événement se produise qui les fait soudainement remonter à la surface, rendant l’indignation et la réflexion, la colère et l’espoir publics et politiques, et produisant une reconnaissance collective immédiate.

Cela se manifeste par des moments préparatoires, comme les manifestations nationales contre le Décret de sécurité qui ont duré l’hiver dernier et la grande manifestation nationale du 21 juin contre la guerre, le réarmement, le génocide et l’autoritarisme, qui a rassemblé plus de cent mille personnes dans les rues. Mais cela se matérialise par une fracture qui, en mettant en jeu le corps des individus, ouvre une faille dans le récit dominant et rend explicite la nécessité pour chacun d’agir, ensemble, pour changer l’histoire.

C’est là le mérite de la mission de la Flottille Globale Sumud , qui exprimait et mettait en pratique un concept très clair : si les gouvernements n’agissent pas, nous devons le faire nous-mêmes, car c’est la seule chance de rester humains et d’entrevoir un avenir différent.

Proposant un rebond immédiat parmi l’équipe au sol, qui a immédiatement déclaré une image miroir : si les grandes organisations politiques et sociales n’agissent pas, nous serons ceux qui bloqueront tout avec nos corps, où que nous soyons et par tous les moyens nécessaires.

Ainsi est né un mouvement de masse aux caractéristiques uniques par rapport aux autres mouvements de l’histoire, à commencer par son absence de références politiques et son faible ancrage syndical traditionnel. C’est un mouvement diversifié et populaire qui a permis une avancée considérable dans la prise de conscience individuelle et collective : s’il y a quelques mois encore, les gens marchaient en regardant leurs chaussures, conscients de l’insupportable monde actuel mais se sentant seuls et impuissants, aujourd’hui, ils marchent la tête haute, car ils peuvent enfin regarder vers l’horizon.

Et c’est un mouvement qui a amené une nouvelle génération de jeunes militants politiques sur le terrain, mettant enfin un terme à des années de plaintes préjudiciables de la part de militants plus matures, incapables d’imaginer les événements selon une norme différente de celle déjà connue.

Bien sûr, il a fallu un génocide, toujours dramatiquement en cours, pour provoquer cet extraordinaire réveil, et cela marque l’insuffisance que nous devons tous encore combler. Mais une chose est sûre : le récit dominant a été défait, tant sur le fond de la situation en Palestine (il s’agit d’un génocide, et seuls les derniers « soldats japonais » dans la jungle du gouvernement et des médias grand public persistent à ne pas le reconnaître), que sur le contenu des choix stratégiques de société (l’argent est là, à tel point qu’on a envie de tout investir dans l’armement au lieu de penser à l’école, à la santé, aux droits et à la conversion écologique).

D’ailleurs, si tel n’était pas le cas, comment expliquer l’attitude du gouvernement Meloni-Tajani-Salvini, qui, terrifié par l’idée de l’effondrement du château de cartes construit sur la triade croissance, réarmement et discipline sociale, a décidé d’affronter directement le mouvement de masse, le qualifiant d’oisif, d’irresponsable et de délinquant ?

Personne ne sait combien de temps ce mouvement durera et quelles voies il empruntera. La première étape pour sa survie est de le laisser respirer, au sein des communautés locales et de l’imaginaire collectif, en comprenant que toute tentative de l’interpréter à travers des canons conventionnels est vouée à l’échec, et que toute tentative de les imposer artificiellement, qu’elle soit mise en œuvre par des forces politiques, des syndicats ou même des mouvements, peut entraîner sa propre faillite.

La deuxième étape  consiste à la nourrir, à nous mettre à son service : cela peut se faire en contribuant à construire les liens et les pratiques qui lient les différentes thématiques et en créant des espaces où les multiples différences qui composent la variété des mobilisations sociales en cours peuvent communiquer entre elles, en imaginant chacune comme partie d’un kaléidoscope collectif et non comme un miroir autoréférentiel.

Plusieurs événements marqueront cet automne, certains déjà définis, d’autres déterminés par ce qui adviendra entre-temps. Que chacun de nous contribue à créer, à chaque instant, une convergence plus large que celle qui existait jusqu’à la veille, sachant que seule la demande nous permettra d’avancer. Et sachant qu’aucun destin de guerre, de dévastation environnementale ou d’inégalités sociales n’est prédéterminé. Nous pouvons le changer en choisissant la vie. Tous ensemble, choisissant la vie.

Article publié dans Il Manifesto le 9 octobre 2025

L’article original est accessible ici

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