Analyse de la légalité du mémorandum d’août 2015 et de l’accord de prêt en droit grec et international

5 octobre 2015
par Commission pour la vérité sur la dette grecque

Introduction

Dans son rapport préliminaire de juin 2015, la Commission pour la Vérité sur la dette grecque a démontré que la plus grande partie de la dette contractée après 2009 était en fait une dette privée convertie en dette souveraine |1|. Les mêmes pays et institutions qui ont converti la dette privée en dette publique ont mis sur pied à partir de 2010 une série d’accords de prêt et de Memoranda visant pour l’essentiel au remboursement de cette dette et des intérêts l’accompagnant tout en imposant en même temps au peuple grec des mesures d’austérité draconiennes. La Commission pour la Vérité sur la dette a mis en avant le caractère odieux, illégal et illégitime et totalement insoutenable de cette dette. Cette qualification correspond aux définitions pertinentes adoptées par des organes spécialisés des Nations-unies. De plus, la Commission pour la Vérité sur la dette a démontré conformément à d’autres organes de protection et promotion des droits humains que les mesures imposées à la Grèce ont violé non seulement la Constitution grecque mais également ses obligations par rapport aux Traités internationaux et en matière de droit coutumier.

En août 2015, le gouvernement Tsipras (Syriza/Anel) a accepté un nouveau Memorandum et un accord de prêt. Les termes de ce troisième Memorandum et accord de prêt soulève deux aspects particuliers de la doctrine de la dette odieuse à savoir :
a) la place de l’auto-détermination économique (exprimée par le vote populaire) dans la restructuration de dette
et b) la portée réelle de ces accords sur le peuple grec, les impositions budgétaires et financières sur l’État et le caractère soutenable en tant que tel de la dette.

La nature contraignante du référendum

Le référendum du 5 juillet a demandé au peuple grec si il acceptait ou non les deux propositions de la Commission européenne (CE), du Fonds monétaire international (FMI) et de la Banque centrale européenne (BCE). Les propositions étaient reprises dans deux documents différents. Le premier avait pour titre « Reforms for the Completion of the current program and beyond » (Réformes pour l’achèvement du programme en cours et au delà) tandis que le second était intitulé : « Preliminary Debt Sutainability Analisis » (Analyse préliminaire du caractère soutenable de la dette). L’objectif de ces deux documents était la fourniture de liquidités principalement pour rembourser la dette accompagnées de sévères conditionalités budgétaires et sociales. C’est pour demander aux Grecs de se prononcer sur ces conditionalités sévères, leur impact néfaste sur la société et l’indépendance budgétaire du pays que le premier ministre a appelé au référendum. Le résultat de ce référendum a été un NON cinglant (à 61,3%) au contenu de ces deux documents. Le premier ministre et le parti Syriza ont soutenu le NON, conformément aux manifestes pré-électoraux de Syriza. Cependant, après le référendum et en dépit de son résultat, le premier ministre a adopté le troisième Memorandum et l’accord de prêt en tous points comparables aux précédents.

La presse nationale et internationale n’a fait aucune tentative sérieuse pour questionner la légalité du rejet très clair du résultat du référendum. L’article 44(2) de la Constitution grecque prévoit les conditions de la tenue d’un référendum et en envisage deux types. Le premier concerne des questions nationales cruciales tandis que le second concerne les lois relatives à des questions sociales importantes en dehors de celles concernant des questions budgétaires.

En ce qui concerne le second type de referendum concernant des projets de loi portant sur des questions sociales importantes, ils sont présumés acceptés mais pas officiellement adoptés tant qu’ils n’ont pas été traduits en un décret présidentiel et publiés au Journal Officiel. Le référendum se situe en effet après l’adoption d’un projet de loi par le Parlement et avant sa traduction en un décret présidentiel. La Constitution dispose que si le référendum approuve le projet de loi, alors ce dernier entre en application à partir de la tenue du référendum et non à partir de la date de publication du décret présidentiel.

Cependant, même au delà de cette analyse juridique des procédures, la grande majorité des constitutionnalistes s’accorde sur le fait que les deux types de référendum sont contraignants. Les référendums relatifs à questions nationales cruciales affectent la possibilité de l’Exécutif d’engager une action contraire au contenu du référendum. De même, un référendum concernant des questions sociales importantes (par le biais d’un projet de loi) impose des limitations au Parlement pour légiférer sur la matière en question. Le Parlement et l’Exécutif peuvent néanmoins statuer sur des questions qui sont secondaires par rapport à la question clé du référendum. Ils peuvent également discuter de la question clé du référendum mais uniquement dans le cas où cela peut être justifié comme « étant dans l’intérêt de la population » (Article 1(3) de la Constitution) et tant que cela respecte la Constitution et le droit.

Il ne fait nul doute toutefois qu’en droit grec les résultats de référendums sont contraignants par rapport à leur objet. Dans le cas qui nous occupe, la question posée dans le référendum du 5 juillet concernait l’adoption d’accords internationaux portant sur la souveraineté budgétaire de l’État grec et par extension sur l’auto-détermination du peuple grec. Il s’agit de ce fait de matières nationales cruciales et le rejet massif des deux propositions interdit donc à tout gouvernement postérieur au référendum d’adopter des accords avec un contenu similaire.

Le référendum avait un objectif clair d’auto-détermination économique, tant au niveau national qu’international, ce qui constitue une règle de droit international coutumier et du droit international impératif (Jus Cogens). Avec une opposition massive exprimée par près de 62% du corps électoral grec au contenu des documents précédemment mentionnés et par extension à tout accord futur reprenant le même contenu, le contournement du résultat du referendum viole l’article 44 de la Constitution et la règle de droit. De ce fait, les décisions prises en violation de ce résultat ne sont pas contraignantes pour les gouvernements suivants en raison de leur nature illégale. A cela, il faut ajouter la violation du droit collectif à l’auto-détermination. Ce contournement constitue également une violation des Traités signés par la Grèce et de ses obligations découlant du droit coutumier international. Le principe Pacta sunt servanda qui consiste à respecter les Traités signés n’est pas d’application dans le cas qui nous occupe puisque la cause sous-jacente est illégale (violation constitutionnelle).

De plus, il faut aussi considérer la dimension morale d’un résultat électoral avec une majorité de près de 62%. Il est incroyable qu’un gouvernement puisse avec légèreté rejeter le résultat d’un tel vote populaire et que d’autres États et organisations intergouvernementales puissent s’engager dans des accords qui sont si anti-éthiques par rapport à un tel vote populaire. De tels accords sont sans nul doute illégitimes et n’ont aucune justification morale.

Le Memorandum post-referendum et l’accord de prêt

Le 19 août 2015, le gouvernement grec a signé le 3e Memorandum avec la Commission européenne et le Mécanisme de stabilité européen (MES) ainsi qu’un accord de prêt conditionné à l’application dudit memorandum. Est prévu le déboursement d’un prêt de 86 milliards d’euros à la Grèce, dont 25 milliards iront directement à la recapitalisation des banques privées grecques.

Sur papier, le Memorandum contient des dispositions qui prévoient des filets de sécurité sociale et d’autres en matière de justice, emploi, accès aux soins de santé, etc. Mais les actions concernant ces secteurs sont vagues ou inexistantes. Par contraste, les dispositions relatives aux impôts, aux privatisations et aux autres recettes publiques sont très détaillées. Sans une proposition concrète pour régler le problème de la soutenabilité de la dette et sans mesure de promotion de l’investissement grec et étranger (dans le but de créer des emplois), tous les filets de sécurité mentionnés ne sont que des promesses sans fondement. On voit de nouveaux coûts pour les utilisateurs pour la plupart des services sociaux (y compris la santé) ainsi que de nouveaux impôts qui vont entraver l’investissement et rendre les services plus coûteux. L’impact sera donc négatif pour la classe moyenne, les jeunes et les chômeurs. Vu que le Memorandum et l’accord de prêt visent le remboursement des dettes passées, l’effet négatif sur les droits humains va se poursuivre.

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Le Memorandum qui porte davantage sur les politiques que l’accord de prêt ne se préoccupe pas du respect des droits humains fondamentaux qui n’apparaissent que comme des vœux pieux. A titre d’exemple, le Memorandum prévoit une participation de 5 euros pour une admission dans un hôpital public. Même dans le cas où cette participation ne serait pas demandée aux plus pauvres, elle peut représenter une violation du droit aux soins de santé pour ceux qui n’ont qu’un maigre revenu, ce qui les oblige à renoncer à ces soins. Vu que ces personnes ne seront pas en mesure de payer la contribution hospitalière, leur droit à la santé sous Memorandum et autres accords qui en découlent se trouvera donc bafoué. Les droits dont le peuple grec pouvait se prévaloir en vertu de la Constitution et du droit international sont rendus inapplicables avec la mise en œuvre du Memorandum. Ce qui constitue une violation sans précédent des droits humains fondamentaux.

A des fins de communication, le Memorandum fait d’autres promesses. Il promet la création de 50.000 nouveaux emplois sans prévoir de mesures pour soutenir l’investissement productif et le commerce et sans nullement spécifier quoi que ce soit à propos de la création de ces emplois, ni comment la Grèce pourrait soutenir l’emploi. On ne retrouve aucune disposition pour soutenir l’économie grecque et créer des emplois. Il n’existe également aucune mesure destinée à la Recherche et au Développement ou au secteur touristique. Le Memorandum impose des mesures qui ne mènent pas à un investissement sérieux sur le long terme.

De plus, le troisième Memorandum est basé sur les mêmes hypothèses et postulats que les deux premiers. Il est donc destiné à échouer en maintenant une dette insoutenable.

Le Memorandum ne dit rien non plus du caractère odieux, illégal et illégitime de la dette grecque dans son ensemble (tout particulièrement de la conversion de dette privée en dette publique), des prêts destinés à la Grèce depuis 2010 qui ont servi dans leur presque totalité (à 92%) au remboursement du capital et des intérêts des créanciers (en grande partie des banques européennes, particulièrement françaises et allemandes). Comme le Memorandum et l’accord de prêt de 2015 sont une extension des précédents accords de prêts odieux, il n’est pas surprenant qu’il ne soit fait aucune référence à la nature de la dette grecque. Étant donné le caractère odieux, illégal ou illégitime de toute la dette contractée durant la période 2010-2014, tout accord visant à rembourser cette dette est tout aussi odieux, illégal et illégitime.

A propos de la contrainte, des mesures coercitives illégales et de l’ingérence des créanciers dans les affaires internes de la Grèce.

Dans son rapport préliminaire de juin 2015, la Commission pour la Vérité sur la dette a démontré que la majorité des dispositions relatives à l’endettement prises sur la période 2010-2014 ont été entachées d’un large degré de coercition. Quand un État est forcé de violer ses obligations inscrites dans sa Constitution, dans les Traités et le droit coutumier international, qu’il abandonne sa souveraineté socio-économique, il agit sous la contrainte. Il faut comprendre que le terme « coercition/contrainte » tel qu’il est entendu dans l’article 52 de la Convention de Vienne sur le droit des Traités inclut des formes de coercition économique et n’est pas nécessairement limité à la force armée. Le rapport préliminaire fournit de nombreux exemples où la pression économique exercée par les créanciers de la Grèce constitue une forme d’agression. Il a de plus montré que ce type de coercition économique est aussi une intervention illégale dans les affaires internes d’un État, ce qui offre un fondement pour dénoncer un Traité conformément à l’article 56 de la Convention de Vienne sur le droit des Traités.

Le principe 4 de la résolution du 10 septembre 2015 de l’Assemblée générale des Nations-unies qui met en avant plusieurs principes coutumiers de la restructuration de dette, principes qui sont discutés ci-dessous, requiert de tous les acteurs qu’ils s’abstiennent d’exercer une influence indue dans le processus. Il est clair que l’obligation d’agir de bonne foi n’a pas été respectée aux cours des négociations et qu’une influence indue a été exercée dès le départ à l’encontre du gouvernement et de l’économie grecs dans son ensemble, influence qui s’est également exercée contre le peuple grec avant même les élections de janvier 2015 et qui a duré jusqu’au référendum de juillet 2015 |2|.

A partir de février 2015, après l’accession au pouvoir de Syriza, on a assisté à de nombreuses formes de coercition. Les menaces ne se sont pas limitées au gouvernement mais ont aussi visé tout le peuple grec. Nous nous limiterons ici à donner quelques exemples :

Le 27 juin, le Premier ministre, Alexis Tsipras, annonce un référendum relatif aux « insoutenables » exigences d’austérité des créanciers. Dans un discours devant la télévision nationale après une rencontre tardive de cabinet ministériel la veille, Alexis Tsipras annonce que le 5 juillet le peuple grec décidera s’il accepte ou non les conditions imposées aux pays par les principaux créanciers, l’Union européenne (UE), la Banque centrale européenne (BCE) et le Fonds monétaire international (FMI), connus sous le nom de « Troïka ». Le 29 juin, Benoît Coeuré, membre du directoire exécutif de la BCE, dans une interview au quotidien Les Echos déclare que « une sortie de la zone euro, jusqu’à présent tout à fait théorique, ne peut malheureusement plus être exclue », en ajoutant qu’il s’agit d’une conséquence de la décision d’Athènes de rompre les négociations. Il a ensuite dit que si les Grecs votaient ’OUI’ au référendum, il n’y aurait alors pas de doute que les autorités de la zone euro trouveraient une solution pour la Grèce. A l’inverse, si le NON l’emportait, « il serait très difficile de reprendre le dialogue |3| ». Pendant ce temps, la BCE privait les banques grecques de liquidités pendant une semaine entière.

Le 3 juillet, le vice-président de la BCE, Vitor Constancio a annoncé qu’il ne pouvait pas confirmer si la BCE verserait des liquidités d’urgence (Emergency liquidity assistence – ELA) aux banques grecques dans le cas où les Grecs votaient NON le dimanche suivant. “Il s’agira d’une décision du Conseil des gouverneurs de la BCE. Nous devrons attendre et voir comment celui-ci analyse la situation » a-t-il dit dans une conférence de presse après un discours lors d’une conférence destinée au secteur financier |4|.

Le 11 juillet, quelques jours après le NON massif, le document émanant du ministre allemand des Finances, en référence aux nouvelles propositions d’austérité présentées par le Premier ministre grec, stipulait que « ces propositions ne peuvent pas établir une base pour un nouveau programme de 3 ans, comme requis par la Grèce. » Il appelait dès lors à l’expulsion de la Grèce de la zone Euro pour un minimum de 5 ans et exigeait que le gouvernement grec transfère l’équivalent de 50 milliards d’euros d’actifs du pays dans une structure chargée de les privatiser |5|.

Les déclarations de la BCE et le chantage qu’elle exerce contre le gouvernement et le peuple grec ont représenté des menaces ouvertes extrêmement hostiles. Pendant ce temps, des représentants de l’UE et de gouvernements comme Wolfgang Schauble ont affirmé que si les électeurs votaient non cela mènerait à une crise humanitaire accompagnée d’une guerre civile, avec des chars dans les rues d’Athènes, bref que la Grèce serait réduite à néant |6|.
La décision de la BCE de limiter les liquidités fournies au système bancaire grec, conduisant à l’instauration d’un contrôle de capitaux, constitue une violation de son propre mandat. Étant donné que la BCE avait reconnu que les banques grecques étaient solvables lors des « stress tests » bancaires de 2014, elle était dans l’obligation de continuer à leur fournir des liquidités d’urgence pour soutenir le système bancaire tant que les banques grecques déposaient les collatéraux auprès de la BCE prévus par les réglementations. Au moment où la BCE a limité les liquidités d’urgence, il a été estimé que les banques grecques auraient pu avoir accès à 28 milliards supplémentaires de liquidités d’urgence |7|. La BCE a clairement enfreint ses obligations telles que prévues par les Traités européens. Premièrement, le blocage du système des paiements de la Grèce constitue une violation claire des dispositions prévues à l’article 127 du TFUE (Traité sur le Fonctionnement de l’UE). Deuxièmement, la BCE a pour mandat de soutenir les politiques économiques générales dans l’UE dans l’optique de contribuer aux objectifs de l’Union. L’une de ces politiques économiques consiste à briser le cercle vicieux entre les banques et les États souverains |8|. En obligeant à la fermeture des banques et en poussant le pays a une sortie de facto de la zone Euro (en violation des Traités européens), la BCE a créé une situation qui a augmenté l’interconnexion entre l’État et les banques grecques.

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Le 13 juillet, Alexis Tsipras a accepté l’accord d’austérité imposé par les créanciers et les termes d’un troisième Memorandum. Le 19 août, il a signé ce troisième Memorandum. Le 14 septembre, dans une interview donnée à l’agence de presse Reuters, Vitor Constancio a répondu à la question « quels ont été les doutes soulevés à propos de l’Euro ? » de la manière suivante : “Seuls les marchés ont eu des doutes quant à une éventuelle sortie de la Grèce de la zone Euro, ça n’en a jamais soulevé pour la majorité des États membres. Nous maintenons que l’Euro est irréversible. Aucun pays, ne peut légalement faire l’objet d’une expulsion. Cette perspective n’a donc jamais été une menace sérieuse » |9|.

Il est aussi révélateur qu’à la suite du référendum, lors du vote de la résolution de l’ONU portant sur les neuf principes à suivre en cas de restructuration des dettes souveraines, la Grèce se soit abstenue. Une telle position est inconcevable étant donné que le contenu de la résolution était de la plus haute importance pour un pays endetté comme la Grèce (et les termes de la résolution lui étaient plutôt favorables). En dépit de la position européenne commune |10| sur le sujet (qui appelle les États de l’UE à voter contre ou à s’abstenir), on peut relever un conflit d’intérêt très clair entre la Grèce et les autres États membres étant donné que la Grèce est débitrice et que les autres « partenaires » sont ses créanciers. La position de la Grèce lors du vote (abstention à l’instar la majorité des États de l’UE) ne peut qu’être le résultat de pressions de ses créanciers, étant donné que son abstention va clairement à l’encontre de ses intérêts.

Enfin pour illustrer la contrainte, on peut encore ajouter les propos du président du parlement européen, Martin Schultz |11|. Il ne fait nul doute que la coercition décrite dans cette section a bénéficié d’un large soutien de la presse grecque qui a été jusqu’à travestir les prédictions sur le résultat du référendum. Plusieurs sondages d’opinion avaient prévu la victoire du OUI alors que les données disponibles à ce moment là ne pouvaient conduire à ce résultat.

Toutes ces situations ont été conçues pour instiller la peur dans le but de modifier le vote des Grecs en faveur du OUI et ainsi forcer le gouvernement grec à accepter les conditions imposées par les créanciers.

Les premiers impacts de l’acceptation du troisième Memorandum

Le troisième Memorandum est dans la continuité des deux premiers. Il continue de violer les droits humains fondamentaux et a en même temps un impact désastreux sur l’économie grecque. Aucune mesure n’est destinée à soutenir la croissance, l’investissement ou à promouvoir le commerce. Son objectif est de récolter plus d’impôts et de recettes pour continuer de payer la dette sans aucune référence à une réduction de dette pour assurer son caractère soutenable. Le Memorandum prévoit davantage de privatisations, ce qui va à l’encontre de l’auto-détermination économique et aura pour conséquence la dilapidation des biens et services publics rentables ; ce qui augmentera encore le chômage.

La Grèce voit sa souveraineté piétinée de la même manière que lors des précédents accords. Tout projet de loi présenté au Parlement doit avoir l’accord des créanciers avant de pouvoir être adopté. Une telle restriction à la souveraineté du législateur témoigne parfaitement de l’absence de démocratie et d’une situation de soumission coloniale. Pour arriver à un accord avec les créanciers, le gouvernement Syriza a même dû adopter une série de lois que les créanciers exigeaient déjà sous les gouvernements précédents. L’exemple de l’adoption d’un nouveau Code de procédure civile l’illustre bien. La plupart des dispositions de ce nouveau Code avait fait l’objet d’un rejet massif par 93% de la profession (juges et avocats) et n’avait pas été adoptée par les précédents Parlements. Ce Code prévoit ainsi que dans le cas d’un problème de solvabilité, les banquiers privés auront toujours le statut de créanciers privilégiés avant l’Etat ! Il s’agit d’une mesure qui contrevient tant au droit constitutionnel de la Grèce qu’à son droit administratif et civil et il ne fait nul doute que cette mesure est le résultat de la pression des créanciers.

Les implications sociales du troisième Memorandum

- Le troisième Memorandum qui accompagne l’accord de prêt d’août 2015 transfère comme ceux de 2010 et 2012 le fardeau de l’ajustement structurel sur le peuple grec. Il en résultera une augmentation de la pauvreté et de l’exclusion sociale. Il est révélateur qu’alors que les exigences des créanciers prévoient l’élargissement de la base d’imposition, de s’attaquer à l’évasion fiscale, ils veulent en même temps supprimer une taxe de 26% sur les transactions transfrontalières.

Les termes économiques du troisième Memorandum et de l’accord de prêt d’août 2015 vont encore miner davantage la souveraineté de la Grèce.

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Source : Assessment of the Social Impact of the new Stability Support Programme for Greece, Commission Staff Working Document, Brussels 19.8.2015, SWD(2015) 162 final.

Les nouvelles mesures d’austérité présentent entre autres les conséquences suivantes :

- Une nouvelle réduction des pensions comme cela avait été le cas en 2010 et en 2012 pour un montant équivalent à 0,25% du PIB en 2015 et 1% en 2016. Le programme augmente les pénalités pour les personnes souhaitant partir à la retraite avant l’âge légal, augmente les contributions des cotisations de santé des retraités à 6%. Tous les fonds de pension supplémentaires seront donc désormais financés exclusivement par des contributions personnelles à compter du 1er janvier 2016. Par ailleurs les montants nominaux mensuels des pensions sont réduits jusqu’en 2021 et le programme établit un lien plus étroit entre les contributions faites et le montant à recevoir. La prime annuelle qui existait jusqu’alors (EKAS) sera supprimée pour tous les retraités à la fin décembre 2019, cette suppression commencera en mars 2016 avec les 20% des retraités percevant les retraites les plus élevées.

- L’augmentation de la taxation pour les agriculteurs. La pression sur leur revenu se fera de la manière suivante : l’abolition graduelle du remboursement des accises sur le diesel en deux diminutions semblables en octobre 2015 et octobre 2016. Par ailleurs, ils seront affectés par la hausse des impôts directs et celle de leurs contributions de sécurité sociale.

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- La suppression progressive des réductions de taux de TVA pour les commerces et entreprises des Îles de la mer Égée d’ici le 31 décembre 2016. La première vague de suppression sera annoncée par une décision ministérielle conjointe le 1er octobre 2015.

- La facilitation des procédures de saisie-arrêt en faveur des autorités en charge de la collecte des impôts et des banques. Cette mesure entrera en application par l’élimination du plafond de 25% sur les saisies sur salaires et retraites et l’abaissement de tous les seuils de 1500 euros. Elle déclenchera une nouvelle vague de saisies sur les salaires, les pensions et les dépôts.

- L’augmentation du paiement anticipé des impôts sur les sociétés non seulement pour les grandes entreprises mais également pour les indépendants jusqu’à 75% du montant de l’impôt pour les revenus de 2015 et 100% pour les revenus 2016, réduisant d’autant le revenu disponible.

- L’imposition d’une nouvelle vague de libéralisation selon les consignes du dénommé kit d’outils de l’OCDE. Les seuls bénéficiaires de la mise en concurrence (limitée pour l’instant) aux professions de notaire, d’actuaire et d’huissier seront les banques, les cabinets juridiques et les grandes entreprises. Cela aura un impact négatif sur les droits des travailleurs tout comme la révision du cadre de négociation collective et de fixation des salaires aura aussi un impact négatif sur les possibilités d’action syndicale et les licenciements collectifs. L’augmentation de la « flexibilisation » des relations de travail (comme l’expérience des années précédentes l’a montré) aura pour conséquence une nouvelle baisse des salaires et une augmentation du chômage, de la précarité, du travail au noir et des bénéfices non-imposables.

A cela, il faut ajouter les mécanismes de correction quasi-automatiques qui vont imposer de nouvelles coupes dans les dépenses, ce qui donnera sans aucun doute lieu à une nouvelle vague de mesures d’austérité. En dépit du fait que ces mesures ne sont pas encore connues, elles ont déjà reçu la pré-approbation du Parlement grec. Cette pré-approbation a vu le jour via une loi de plusieurs centaines de pages exigée par les créanciers de la Grèce. On peut aisément prédire que dans de telles conditions, les créanciers n’ont aucun souci à se faire à propos de l’échec de leurs objectifs budgétaires. Il est plus que probable qu’ils annonceront un nouveau train de coupes budgétaires au motif que celles-ci ont déjà été approuvées par le Parlement.

La période d’austérité draconienne débutée en 2010 et illustrée par les statistiques suivantes continue donc :

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Source : Assessment of the Social Impact of the new Stability Support Programme for Greece, Commission Staff Working Document, Brussels 19.8.2015, SWD(2015)

CONCLUSION :

L’adoption de la résolution sur les restructurations de dettes souveraines par Assemblée générale de l’ONU a donné lieu à la réaffirmation de certains principes |12|. Ils sont importants pour deux raisons. En dépit du fait que les résolutions de l’Assemblée générale ne sont pas en tant que telles contraignantes, elles traduisent, si elles reçoivent un soutien suffisant, la position officielle d’États sur une question particulière.

La résolution a récolté 136 votes favorables contre seulement 6 votes contre et 41 abstentions. L’Assemblée a clairement souligné que les principes énoncés dans la résolution étaient guidés par le droit international coutumier et que quoi qu’il en soit, le soutien massif apporté par 136 États à ces principes démontrait un consensus coutumier très clair. Il faut souligner toutefois le caractère très modéré de ces principes. Ils mettent largement l’accent sur le paiement de la dette et le respect des accords de prêt. Néanmoins, le premier principe qui est clé dans cette discussion énonce que :

« Tout État a le droit, dans l’exercice de son pouvoir discrétionnaire, d’élaborer sa politique macroéconomique, et notamment de restructurer sa dette souveraine, droit dont nulle mesure abusive ne saurait empêcher ou gêner l’exercice ».

Cela est également conforme aux principes directeurs de l’ONU sur la dette externe et les droits humains adoptés par l’Expert indépendant sur la dette et les droits humains et reconnus par le Conseil des droits de l’homme |13|.

Le principe 2 requiert la bonne foi entre les parties dans l’objectif de rendre la dette soutenable |14|. Le caractère soutenable est défini comme suit dans le principe 8 :

« Le caractère soutenable implique que la restructuration de la dette souveraine ait lieu dans un laps de temps raisonnable et de manière efficace et conduise à une situation de dette stable dans l’État débiteur en préservant les droits du créancier tout en assurant la promotion d’une croissance économique soutenable et inclusive qui minimise les coûts économiques et sociaux, qui garantisse la stabilité du système financier international et qui respecte les droits humains |15| ».

En se basant sur la discussion précédemment mentionnée et les lois pertinentes applicables, les conclusions suivantes sont indéniablement évidentes :

- le troisième Memorandum et l’accord de prêt d’août 2015 sont illégaux, illégitimes et odieux parce qu’ils ne reconnaissent pas le caractère illégal, illégitime et odieux de la dette grecque, ni la nature odieuse, illégale et illégitime des accords précédents qui ont servi à financer la dette entre 2009 et le début 2015.

- le troisième Memorandum et l’accord de prêt d’août 2015 violent les droits fondamentaux – tant civils et politiques, qu’économiques et sociaux – du peuple grec tels qu’ils sont définis par la Constitution grecque et le droit international (basé sur le droit des Traités et le droit coutumier).

- Depuis l’accession au pouvoir du gouvernement et jusqu’à la signature de l’accord, il y a eu coercition et ingérence directe dans les affaires internes de la Grèce (y compris des menaces à l’encontre du peuple grec) pour effrayer le gouvernement et le peuple grecs afin de forcer l’Exécutif à accepter les termes des créanciers. Cela invalide tout accord : ce qui ouvre le droit souverain à le rejeter unilatéralement. De plus, de telles actions démontrent d’une part, le manque de sens moral et de solidarité de la part des dirigeants des institutions et États européens et d’autre part, que les profits du système bancaire européen sont la préoccupation principale de leurs politiques.

La Commission pour la vérité sur la dette grecque regrette fortement que le gouvernement d’Alexis Tsipras n’ait pas pris en considération, dans le cadre des négociations avec les créanciers, les conclusions de son rapport préliminaire remis en juin 2015. Bien que le premier ministre était pleinement informé du caractère illégal, illégitime, odieux et insoutenable de la dette grecque, il a accepté qu’aucune réduction de la dette grecque ait lieu |16|.

En version anglaise PDF avec deux annexes supplémentaires :
Introduction (p.5)
The Binding Nature of the Referendum (p.6)
The Post-Referendum MoU and Loan Agreement (p.8)
Coercion, Unlawful Coercive Measures and Direct Interference in the Domestic Affairs of Greece (p.10)
Indicative Outcomes deriving from the Acceptance of the Third MoU (p.12)
Social Implications of the Third Memorandum (p.13)
Conclusion (p.15)
Annex 1 : Impact on Labour Relations (p.16)
Annex 2 : The third memorandum is unsustainable just like the previous two (p.17)

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