Attaques de Trump: les climatologues étasuniens ripostent

Par Vincent Lucchese
9 septembre 2025

Rapports accablants, site internet indépendant… Des climatologues des États-Unis ripostent au climatodénialisme de Trump. Une résistance encore difficile, tant le milieu reste « sous le choc » des attaques du président.

« Ils cachent la vérité. Nous ripostons. » Les mots claquent à la une du site Climate.us. Cette plateforme en cours de construction vise à remplacer le site Climate.gov. Un portail anglophone d’information et de vulgarisation sur le changement climatique qui était extrêmement réputé et fréquenté aux États-Unis, avant d’être fermé en juin par le gouvernement de Donald Trump.

Rebecca Lindsey, ancienne rédactrice en cheffe de climate.gov, avait été brutalement licenciée dès février, en même temps que près de 900 employés de l’Administration océanique et atmosphérique nationale étasunienne (Noaa), dont dépendait ce site. Une énième occurrence des attaques massives menées par Donald Trump contre les sciences du climat.

Censure, licenciements, menaces, coupes budgétaires : la violence de l’autoritarisme exercé depuis début 2025 par le gouvernement des États-Unis a assommé la communauté des climatologues.

La rentrée de septembre semble toutefois sonner le réveil, si ce n’est la révolte, des scientifiques. Le 4 septembre, Rebecca Lindsey et une partie de ses anciens collègues ont annoncé fièrement le lancement officiel de Climate.us. Beaucoup reste à faire pour que ce nouveau site « indépendant, à but non lucratif et immunisé contre la politique » restaure l’ensemble des données de l’ancien site fédéral, mais l’équipe de bénévoles disait avoir déjà récolté plus de 50 000 dollars (plus de 43 000 euros) de dons.

Deux jours plus tôt, le 2 septembre, les climatologues étasuniens relevaient déjà la tête en publiant un rapport de plus de 400 pages démontant point par point les mensonges climatosceptiques du gouvernement fédéral. Le document, qui a mobilisé 85 experts du climat, constituait une réponse à un rapport du département de l’énergie (DOE) du gouvernement étasunien publié début août et qui remettait en cause le consensus scientifique sur le changement climatique. Un rapport officiel qui pourrait n’être qu’un prélude à une dérégulation environnementale massive.

Riposter pour sauver la parole scientifique

« L’ampleur et la vitesse de la réponse des chercheurs, aux États-Unis et au-delà, étaient réconfortantes, dit à Reporterre Andrew Dessler, professeur en sciences atmosphériques à l’université A&M du Texas et initiateur de la contre-expertise des climatologues. Je crois que les scientifiques ont compris que la science elle-même était en danger, et qu’ils sont déterminés à repousser ces forces antiscience. »

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Rebecca Neumann, professeure à l’université de Washington et coautrice de ce rapport, confie elle aussi avoir « un fort désir de riposte ». « Il y a un élan croissant au sein de la communauté scientifique pour s’engager auprès des élus locaux et fédéraux, et écrire des éditoriaux pour défendre la science et son financement », témoigne-t-elle.

Cette contre-attaque des climatologues peut sembler symbolique, voire timide, face à la violence de la politique trumpiste. Mais elle a le mérite d’exister. « Il y a eu un certain silence au départ. Avec des exceptions importantes comme les marches Stand Up for Science [Debout pour la science], mais c’était un mouvement pour les sciences en général. Là, on voit une coordination se mettre en place sur le climat plus spécifiquement », note Michael Stambolis-Ruhstorfer, sociologue des sciences et maître de conférences à l’université Toulouse-Jean Jaurès.

« Dénoncer ces désinformations massives »

La prise de parole des climatologues est d’autant plus importante que se joue actuellement une lutte pour le contrôle du discours scientifique aux États-Unis. Le rapport officiel du DOE, même s’il bafoue les principes fondamentaux de la science et multiplie les contresens, comme le démontrent les 85 scientifiques, cherche à se donner l’apparat de la science.

« L’administration Trump ne rejette pas ouvertement la science, elle cherche au contraire à en récupérer la légitimité, dit Michael Stambolis-Ruhstorfer. Leur stratégie consiste à aller chercher des scientifiques marginaux dans leur domaine, mais qui leur fournisse des arguments politiques. »

« On voit la même chose sur le climat que sur les vaccins et d’autres sciences : les agences fédérales sont invitées à se méfier des consensus scientifiques, à produire ce qu’ils appellent du “désaccord informé”. C’est-à-dire à mettre sur le même plan des connaissances scientifiques solides et des théories marginales. C’est important que la communauté scientifique s’exprime pour dénoncer ces désinformations massives », explique le sociologue Michel Dubois, directeur de recherche au CNRS.

La politique de la peur

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Le travail critique mené par les 85 climatologues devrait bientôt recevoir le renfort de l’Académie des sciences des États-Unis. Celle-ci a annoncé le 7 août qu’elle publierait en septembre une analyse rapide de l’état des connaissances sur les conséquences des gaz à effet de serre.

Une réponse directe au rapport fallacieux du DOE, qui doit lui-même servir de justification à l’Agence de protection de l’environnement étasunienne pour révoquer son « constat de mise en danger » (« endangerment finding »). Ce document crucial, publié en 2009, expose les dangers pour la santé humaine des gaz à effet de serre et sert de base à toute la législation climatique des États-Unis. Autrement dit : c’est l’effondrement de toute la politique climatique de la première puissance mondiale qui se joue dans la controverse actuelle.

Les dénonciations des climatologues, aussi outrées et rigoureuses sont-elles, n’auront toutefois pas le pouvoir d’empêcher l’administration Trump d’agir, au moins jusqu’aux élections de mi-mandat, fin 2026.

Quant à influencer l’opinion publique d’ici là, le défi reste énorme pour les scientifiques. Derrière ces récentes initiatives encourageantes, beaucoup d’entre eux restent paralysés par la peur et la sidération.

« La majorité des chercheuses et chercheurs des États-Unis avec qui je travaille sont dans une forme de résignation, témoigne Roland Séférian, climatologue au Centre national de recherches météorologiques, à Toulouse. Ceux qui sont à l’université sont relativement protégés de l’administration, ce n’est pas le cas de ceux en agence fédérale. Et même les universitaires sont sous perfusion d’argent public. »

« La communauté scientifique est encore sous le choc »

« Par rapport au premier mandat de Trump, les attaques sont beaucoup plus massives. Les coups de marteau tombent sur toutes les têtes, des postes et des projets sont supprimés du jour au lendemain, les libertés académiques sont attaquées. La communauté scientifique est atone, elle est encore sous le choc », décrit Michel Dubois.

Quelques victoires éparses émergent au compte-gouttes. Le 3 septembre, la justice a annulé le gel des subventions fédérales — quelque 2,6 milliards de dollars (2,2 milliards d’euros) — décidé par Donald Trump contre l’université Harvard, accusée de dérives « woke ».

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La résistance manque toutefois d’unité : chaque institution ou université tente de sauver les meubles sans trop se préoccuper de ses voisines. « Le tissu universitaire et scientifique des États-Unis est très structuré par la compétition. Entre universités et même au sein d’une institution. Lorsque l’université Columbia a été attaquée par Trump à cause de manifestations de soutien à Gaza, ce sont les sciences humaines et sociales qui ont été visées. De grands noms de scientifiques d’autres disciplines au sein même de Columbia n’ont rien dit, car leurs subventions n’étaient pas touchées. Il y a une forme de cynisme dans la situation », déplore Roland Séférian.

Le sociologue Michael Stambolis-Ruhstorfer note aussi une scission entre des universitaires qui voudraient s’engager et les administrateurs plus frileux de ces établissements : « Certains commencent à réfléchir à organiser la science autrement, à rejeter ce système dépendant de financements exorbitants, cette compétition à outrance et ce “modèle de l’excellence” qui met tout le monde en concurrence et se révèle assez fragile face à une menace autoritaire. »

Une prise de conscience qui entrouvre quelques pistes d’espoir, lointaines, pour réinventer la manière de produire de la science, au service du bien commun. À court terme toutefois, l’entreprise de destruction massive des sciences climatiques enclenchée par l’administration Trump est encore loin d’être entravée. Dans son sillage, se sont l’ensemble des politiques climatiques s’appuyant sur ces sciences qui menacent d’être balayées.

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