Ziad Medoukh: «Pourquoi je ne quitte pas Gaza»

En direct de Gaza: Interview du poète et universitaire palestinien Ziad Medoukh à Dimitris Konstantakopoulos pour defenddemocracy.press et militaire.gr

21-5-2025

« Croyez-moi, ma détermination, mon courage, ma résistance, ma patience et mon optimisme ne peuvent surpasser mon angoisse absolue… J’ai du mal à croire que je suis encore en vie, car je vois la mort mille fois par jour et, bien que je ne craigne pas la mort, je m’inquiète pour notre avenir. Le seul aspect positif dans tout cela, qui me rend fier, est que je ne ressens aucune haine. Acceptez, je vous en prie, l’expression de l’amitié des Palestiniens de Gaza, qui n’est plus Gaza, et de Ziad, qui n’est plus Ziad. »

Ces mots, parmi d’autres, figuraient dans un message qu’avait adressé l’année dernière à ses amis européens depuis Gaza (lien : https://www.defenddemocracy.press/heartbreaking-testimony-from-ziad-medoukh/)  le Palestinien Ziad Medoukh, habitant de cette ville martyre, qui a heureusement survécu et reste déterminé à demeurer sur sa terre, vivant ou mort. Car, nous dit-il, si je partais, je participerais à une seconde Nakba (la « Catastrophe » des Palestiniens, leur expulsion initiale en 1948 lors de la création de l’État d’Israël, visant à établir une majorité juive – voir https://fr.wikipedia.org/wiki/Nakba.

Gloire aux peuples qui comptent des intellectuels et des guides spirituels tels que Ziad. L’avenir leur appartient, quoi qu’il advienne d’ici là.

Nous l’avons recherché à Gaza, là où le Christ est crucifié une fois de plus, pour donner directement, sans intermédiaire, à ce peuple la voix qu’il a gagnée au prix de son sang et de sa douleur indicible, pour qu’il nous dise comment il vit, ce qu’il ressent et ce qu’il pense. Quelle que soit l’opinion de chacun sur la question palestinienne – même si, à ce stade, seuls les aveugles, les sourds et les hommes sans dignité peuvent ne pas voir que la prétendue « opération antiterroriste » d’Israël s’est transformée en génocide –, il est essentiel d’écouter et de voir les vrais gens, ce que ne font pas les médias internationaux, qui ne nous informent pas mais nous désinforment.

Ziad est titulaire d’un doctorat de l’Université Paris VIII et dirige le Département d’études françaises de l’Université Al-Aqsa à Gaza, où il a fondé en 2004 le Centre pour la paix de Gaza, inspiré par les idées de Gandhi. Il est à l’origine de nombreuses initiatives sociales, comme l’aide aux agriculteurs locaux ou le soutien psychologique aux enfants grandissant sous les impitoyables bombardements. Il est l’auteur de plusieurs livres, dont le plus récent, publié cette année en français, s’intitule « Gaza, ma vie sous les bombes » (https://www.amazon.com/GAZA-MA-VIE-SOUS-BOMBES/dp/2931166235), ainsi que d’innombrables recueils poétiques et d’études sur l’évolution de la société palestinienne. Il a été honoré de trois prix internationaux pour son œuvre poétique.

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« Nous, Palestiniens, avons tout perdu », nous dit Ziad. « Notre terre, nos maisons, nos familles, nos proches, nos biens, nos oliviers. Il ne nous reste plus que l’espoir. C’est avec lui que nous vivons. » Il décrit comment les familles et la société palestiniennes sont devenues une force indestructible de solidarité pour résister à l’horreur quotidienne.

S’il exprime sa gratitude envers les manifestants du monde entier, il ne cache pas sa déception envers les gouvernements et les puissants de ce monde, qui pourraient arrêter le génocide mais ne le font pas, ignorant leurs obligations morales, politiques et juridiques qui découlent de la Convention de Genève sur les génocides. Tout comme il dénonce l’attitude des médias qui occultent l’ampleur des atrocités en Palestine.

L’interview a eu lieu le 21 mai. Dans les trois jours qui ont suivi, alors que les morts – surtout d’enfants et de personnes âgées – par famine se multipliaient, la Grande-Bretagne, la France et le Canada ont condamné le massacre, tandis que la grande presse occidentale a enfin, avec vingt mois de retard (!), commencé à appeler les choses par leur nom. Mais nous en restons aux mots, pas aux actes. Et l’on a l’impression que les dirigeants européens cherchent seulement à se décharger de leur responsabilité dans le plus grand crime contre l’humanité depuis les Nazis. Mais ils ont tardé. L’Histoire ne sera pas plus clémente envers eux qu’envers Ponce Pilate s’ils n’agissent pas de manière décisive, même maintenant.

Pour conclure cette brève introduction, permettez-nous d’observer que les événements de Gaza ont une importance non seulement locale ou régionale, mais encore mondiale. Dans un article éclairant, Thomas Fazi (https://www.defenddemocracy.press/gaza-the-us-and-china-the-future-of-war-and-the-end-of-civilisation/) explique pourquoi Gaza est un laboratoire pour réviser les règles morales qui régissent encore officiellement la politique militaire américaine, mais aussi pour tester l’usage de la violence massive contre les civils comme arme de guerre – une méthode qui pourrait demain être employée contre la Chine, tout en étudiant les limites des réactions de l’opinion publique occidentale.

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La question est cependant encore plus vaste. Comment la majorité des États peut-elle tolérer – certains en le soutenant même avec des livraisons d’armes – un tel génocide sous les yeux du monde entier ? Comment, quatre-vingts ans après la défaite du nazisme, peut-on voir ses idées et ses méthodes renaître en toute impunité ? Comment est-il possible que le peuple juif lui-même emprunte une voie que sa propre expérience aurait dû lui enseigner – comme toute l’histoire humaine – qu’elle mènera finalement à sa propre perte ?

Il ne s’agit plus ici des Palestiniens de Gaza ou de Cisjordanie. Il s’agit de l’avenir de notre civilisation, de l’avenir de l’humanité.

  D.K.