Peut-on faire confiance aux BRICS?

Par Aicha EL ALAOUI (*),
30 août 2023 

Le XVe sommet des BRICS, qui a lieu du 22 au 24 août 2023 à Johannesburg, a démontré qu’un nouvel ordre économique mondial pouvait émerger pour ouvrir un nouveau chapitre de l’histoire de l’humanité. La grande nouvelle de ce sommet est son élargissement, six importants pays ont été invités, pour compter 11 pays à partir de 1er janvier 2024. Le BRICS + sera une puissance économique et commerciale importante avec plus de 30% de PIB mondial (selon les données de FMI) et 46,5% de la population mondiale, représentant ainsi un important groupement après le groupe des vingt G20. De plus, le “new development bank BRICS” sera une alternative pour se libérer des directives de la Banque mondiale et des Fonds monétaire international. 

Le XVe sommet de BRICS est un grand événement pour le monde notamment le Sud. Pourquoi, il est si important. Tout simplement parce que la naissance et le renforcement des BRICS est une phase pour limiter la dominance des occidentaux qui est devenue de plus en plus violente et arrogante depuis la chute de mur de Berlin. Il s’agit donc d’un changement positif. Pourtant, les pays du sud sous-développés (spécialement la majorité des pays africains) doivent être bien éveillés parce que rien ne dit que les BRICS une fois « bien installés et organisés » ne développeraient pas une tendance économique impérialiste et un système politique autoritaire. Il ne faut pas oublier que les droits de l’homme et la démocratie sont des valeurs universelles. La justice est une revendication pour tous les citoyens du monde. Une nouvelle ère de liberté s’impose pour le Sud. 

Les populations dans les pays du sud ont toujours dans la douleur de la persistance du colonialisme à travers sa forme contemporaine qu’est le néocolonialisme dont les tenants sont les institutions de Bretton Woods et les partenaires dits du développement.  Le bloc des BRICS sera ainsi une occasion pour que les pays du Sud peuvent renforcer leurs souverainetés nationales et internationales. Autrement dit, il sera une occasion de se libérer de la domination et l’hégémonie de Nord. Les déclarations officielles lors du XVe sommet de BRICS n’ont cessé de souligner l’importance du groupement pour développement soutenable et équitable pour tout le monde notamment le Sud, dont il a longtemps souffert de la domination du Nord. Cependant, les cinq pays ont été très vigilantes dans le choix des pays invités au groupe.  

Les quatre pays fondateurs de BRICS savent que la création d’un monde multipolaire commence par la dédollarisation de la chaine de valeur mondiale. Les crises politiques (guerres, guérilla, terrorisme…) et les sanctions imposées sur certains pays (la Syrie, l’Iran, le Brésil, Venezuela, la Russie…) montrent que les pays émergents ne peuvent plus faire confiance au système mondial actuel surtout après la volonté d’élargissement d’OTAN, l’invasion de l’Irak, la situation d’impasse politique persistante et de forte incertitude économique en Liban et autres crises mondiales. Ces différentes crises permanentes et provocantes ont démontré que les pays du sud ne peuvent pas décider seuls de son développement économique et politique sans l’intervention “douce ou forte” des Etats-Unis et ses alliés. Pire, la crise actuelle de l’Union-Européenne démontre qu’aucun ne doit faire confiance aux Etats-Unis surtout que le système démocratique (et économique) de l’Europe est en crise. Le regroupement du Sud est une nécessité dans un monde en crises permanentes (crise politique, crise économique, crise financière, crise sanitaire, terrorisme…).

Face à ce système unipolaire unifié par son idéologie et son organisation formelle, il y a un bloc qui trace ses premiers pas vers la structuration formelle. Peut-t-il y arriver ? Economiquement, le BRICS + peut concurrencer le bloc du nord, mais politiquement il sera trop difficile puisque le BRICS+ englobe une forte hétérogénéité. Il englobe des pays ayant des conflits politiques, religieuses et culturelles très profondes. 

L’invitation de l’Arabie Saoudi, les Emirate Arabes Unis, l’Iran, L’Ethiopie, l’Argentine et l’Egypte est intelligent de la part de BRICS pour se libérer progressivement du dollar et créer des fissures dans les anciennes institutions comme l’OPEP, la banque mondiale et le FMI. Cependant, sera-t-il capable d’unifier les adhérents pour servir la démocratie et la justice sociale au sein de chaque pays du Sud ? la réponse est non puisque la plupart de ces pays de BRICS+ ont un système autoritaire. Pour cela, il faut collaborer avec certains pays du Nord qui peuvent servir la restructuration démocratique et sociale des sociétés du sud. La collaboration équitable et juste entre tous les pays est une nécessité pour un monde meilleur. C’est le temps de restructurer les institutions et les organisations mondiales en se basant sur le respect de la souveraineté de chaque pays. 

Certes, les autres pays vont intégrer le BRICS+, mais il ne faut pas qu’il soit seulement un groupement économique et monétaire dominé aussi par des pays leaders en technologies et industrie, en nucléaires et armement, ou en ressources naturelles. Il faut que les pays pauvres et sous-développés soient en mesure de trouver un espace de leurs propres développements, et non pas se transformés des nouveaux-esclaves de BRICS.  

Est-ce que le BRICS+ sera une occasion pour créer un système multipolaire équitable et juste ? A court terme, je ne pense pas, mais à long terme, c’est possible si les pays pauvres et sous-développés arrivent à trouver une bonne position de négociations. Pour cela, je pense que ces pays doivent bien négociés leurs positions avec le Nord sans faire une rupture totale avec eux pour pouvoir négociés leurs intérêts avec les leaders de BRICS+. Le prochain ordre mondial parle le même langage économique des Etats-Unis et ses alliés : gain et profit. Il ne faut pas croire que le 1er janvier 2024 est une date de liberté et décolonisation du Sud, mais c’est une date des nouvelles grandes puissances économiques mondiales qui veulent conquérir des nouveaux marchés en Afrique. Soyons donc vigilant, soit en Nord soit en Sud, la liberté est défendue par le peuple.

(*) économiste, Professeur d’université, Presidente, Dihiya Center for Human Rights, Democracy and Development, Rabat

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