Manifestations du 1er-Mai : « On peut dire que c’était une journée historique »

Avec plus de 2 millions de manifestants selon l’intersyndicale et 782 000 selon les autorités, la journée de manifestations du 1er mai 2023 restera dans les annales de celles qui ont le plus mobilisé. Les organisations vont-elles en sortir renforcées ? À quoi faut-il s’attendre pour la suite ? Entretien avec Stéphane Sirot, historien spécialiste des mouvements sociaux.

par Jennifer CHAINAY
May 1, 2023

« Historique. » C’est ainsi que l’intersyndicale a voulu qualifier la mobilisation du lundi 1er mai 2023 en France, contre la réforme des retraites. Les chiffres parlent pour eux : 2,3 millions de manifestants ont été recensés par les syndicats et 782 000 par le ministère de l’Intérieur en France, ce qui en fait l’une des journées fortes depuis le 19 janvier, date du début du mouvement. Comment interpréter cette forte mobilisation ? À quoi s’attendre pour la suite ? Stéphane Sirot, historien spécialiste des grèves et du syndicalisme, a répondu à nos questions.

L’intersyndicale annonçait un 1er-Mai « historique ». L’a-t-il été ?

Si on fait référence au nombre de manifestants, on peut dire que oui. Il faut remonter au 1er mai 2002 pour trouver, au XXIe siècle, des chiffres supérieurs de mobilisation. À l’époque, le contexte était très particulier. Nous étions à l’entre-deux-tours de l’élection présidentielle avec Marine Le Pen (RN) qualifiée pour le second tour. C’était un 1er mai très politique.

Le dernier 1er mai unitaire sur le plan syndical, en 2009, avait réuni presque moitié moins de manifestants, selon les chiffres officiels (400 000 contre 782 000 aujourd’hui)

Malgré tout, la mobilisation de lundi n’est pas la plus forte enregistrée depuis le début du mouvement.

Non, mais c’était attendu, notamment en raison de la durée du mouvement. Il y a des manifestations régulières depuis le 19 janvier, ce qui est assez exceptionnel. Cette journée du 1er-Mai est loin d’être un échec puisqu’elle a réuni quasiment le même nombre de manifestants que celle du 5 décembre 2019, la première et la plus forte organisée contre la précédente réforme des retraites d’Emmanuel Macron. Et puis, ce 1er-Mai a rassemblé plus de personnes dans la rue que la douzième journée de mobilisation, le 13 avril dernier.

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Pour autant, la stratégie de l’intersyndicale interroge car, malgré ces treize journées très suivies, le gouvernement n’a strictement rien concédé.

Ces journées de mobilisations servent-elles encore à quelque chose ?

Oui, bien sûr. Elles génèrent un climat de rapport de force favorable au monde du travail et aux syndicats. Maintenant, on peut s’interroger sur ce qu’est le succès d’un mouvement social. Est-ce que c’est d’avoir le soutien de l’opinion publique, la légitimité reconnue de ses revendications ? Ou c’est d’obtenir des succès sur ces revendications ? Depuis plusieurs années, on a l’un mais pas l’autre.

Cela interroge sur cette stratégie qui s’est imposée depuis le début du siècle, depuis 2003 en particulier, où au fond la manifestation s’est imposée comme curseur du rapport de force syndical sur la grève. Dans les grands mouvements sociaux du XXe siècle, par exemple Mai-68 ou le Front populaire en 36, c’était la grève d’abord et la manifestation ensuite. Maintenant, la grève ne fait que permettre d’aller manifester. Les syndicats doivent s’interroger sur cette stratégie car elle n’essuie que des échecs depuis le début du XXIe siècle.

Les cortèges ont été une nouvelle fois émaillés de violences dans plusieurs grandes villes de France. Cette violence est-elle plus prégnante qu’avant dans les mouvements sociaux ?

Plus qu’il y a trente ans, sans doute. Mais qu’il y a vingt ans, sans doute pas. En 2005 avec les émeutes en banlieue et en 2006 lors des manifestations contre le Contrat première embauche (CPE), il y a eu un regain évident de tensions. C’est aussi à ce moment-là que la France décide de disjoindre son modèle de maintien de l’ordre du reste de l’Europe. Chez nous, on a décidé de brutaliser le maintien de l’ordre alors qu’en Europe ils font le chemin inverse en le pacifiant.

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En ce qui concerne le mouvement actuel, au regard du nombre de manifestants et de sa durée, on peut considérer qu’à ce stade, il a été plutôt pacifique, à quelques exceptions près. L’intersyndicale a réussi à gérer ses cortèges de manière très efficace.

Élisabeth Borne doit convier l’intersyndicale à Matignon dans les prochains jours. La CFDT se dit prête à y aller, mais pas FO et la CGT. Faisons-nous face à un début de fissure de l’intersyndicale ?

Je pense que l’intersyndicale va perdurer dans le cadre de la question des retraites, tout en décidant d’adopter un autre point de vue s’agissant de la reprise ou non des discussions avec le gouvernement sur les autres sujets.

On voit que la CFDT a envie de passer à autre chose, c’est manifeste. Du côté de la CGT ça l’est beaucoup moins. On peut imaginer que, même si tout le monde ne va pas à ce rendez-vous, ils parviennent quand même à trouver des convergences sur certaines thématiques.

L’intersyndicale se réunit mardi matin. Quelles suites peut-on imaginer pour le mouvement contre la réforme des retraites ?

Jusqu’à l’été, on va voir se poursuivre des “casserolades” ou des opérations médiatiques ponctuelles, telles que des coupures de courant. Depuis le début du mouvement, l’intersyndicale colle au calendrier institutionnel, c’est sa stratégie. On peut donc s’attendre à une action autour du 8 juin, lorsque le groupe Liot présentera son projet de loi de retrait de la réforme à l’Assemblée.

Le scénario le plus favorable pour les syndicats eut été que le second Rip soit validé par le Conseil constitutionnel (qui doit rendre sa décision le 3 mai). Cela ouvrirait une fenêtre d’un an de débats politiques et sociaux centrés sur la question des retraites. Mais cette hypothèse n’est pas la plus probable. Et on voit qu’il est très compliqué, par le seul biais des manifestations, d’avoir un impact significatif sur les institutions

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