Fernand Iveton, guillotiné pour l’exemple le 11 février 1957

25 Sep 2018

Le 11 février 1957, Fernand Yveton, ouvrier CGT, militant du Parti communiste algérien (PCA), “pied-noir” né en Algérie, militant indépendantiste, est condamné à mort par la justice coloniale française et guillotiné dans la cour de la prison de Barberousse, à Alger. Son recours en grâce avait été refusé par le président de la République, René Coty, avec l’accord du garde des Sceaux de l’époque, François Mitterrand, et du chef du gouvernement socialiste, Guy Mollet.

“Fernand Iveton, guillotiné pour l’exemple”

Ouvrier tourneur, Fernand Yveton devint ensuite militant de la CGT à l’usine de gaz d’Alger. À l’époque, le PCA, très lié au PCF, avait surtout une implantation dans les milieux ouvriers « européens », dits « pieds noirs », avant qu’ils ne basculent dans le camp des ultras de l’Algérie francaise. Extérieur au FLN, le PCA avait créé ses propres groupes armés, les combattants de la Libération, qui passèrent rapidement sous le contrôle de l’Armée de libération nationale.

Au début de l’insurrection armée, le PCF avait eu une attitude plus que timorée. En 1956, ses députés avaient voté les « pouvoirs spéciaux » au socialiste Guy Mollet – pour ne pas rompre l’unité de la gauche, déjà ! -, et lui permettre de faire la paix. En fait, Guy Mollet utilisa ces pleins pouvoirs pour envoyer le contingent se battre en Algérie et intensifier la répression. Mais il y eut quelques Européens communistes qui ne se résignèrent pas, comme Maurice Audin, « disparu », ou Henri Alleg, torturé par les paras du général Massu. Fernand Yveton fut de ceux-là : il avait 31 ans.

“Fernand Iveton, guillotiné pour l’exemple” s’ouvre sur des images d’Alger en noir et blanc et la voix de François Mitterrand, alors ministre de l’Intérieur, qui assène en 1954 son fameux “l’Algérie c’est la France et la France ne saurait reconnaître chez elle d’autre autorité que la sienne”. Daniel Edinger revient ensuite sur les derniers mois de Fernand Iveton, ouvrier communiste de parents d’origine polonaise, surpris le 14 novembre 1956 dans l’usine à gaz du Hamma où il travaillait, en train de régler la minuterie d’une charge explosive -“pour éviter des pertes humaines” soutiendra-t-il. Arrêté interrogé et torturé, il est condamné à mort dix jours plus tard.

Me Albert Smadja, alors jeune avocat commis d’office, se souvient du pourvoi en cassation, puis du recours en grâce auprès du président Coty qui sera refusé. Au matin du 11 février 1957, Fernand Iveton est exécuté en même temps que deux autres condamnés algériens : Mohamed Ouenouri et Ahmed Lakhnache. L’avocat ne peut contenir ses sanglots lorsqu’il se remémore ce matin, “il faut imaginer, dit-il, l’horreur de cette exécution…. Lorsqu’on lui demande quels furent les derniers mots d’Yveton, l’avocat répond : “Je vais mourir, mais l’Algérie sera indépendante”.

Le film se termine sur un poème d’Annie Steiner (Ce matin ils ont osé), une autre militante détenue dans le quartier des femmes. Le 13 février 1957, deux jours après l’exécution, ajoute Me Smadja, il est lui-même arrêté en même temps que 130 européens et 14 avocats, accusés de sympathie envers les insurgés algériens… Le défenseur de Fernand Yveton restera deux années en détention.

Un demi-siècle après l’indépendance du pays, seule une petite ruelle, dans le quartier d’El-Madania (ex-Clos Salembier) où il est né, porte son nom. Depuis plusieurs années, une cérémonie de recueillement à sa mémoire a lieu, tous les 11 février, au cimetière chrétien de Bologhine (ex-Saint-Eugène).

Source : Algériades

« Son exécution n’était pas un acte judiciaire, mais un acte politique »

Fernand Iveton ( à gauche sur la photo), ouvrier, communiste, guillotiné

Les séquelles du système colonial français sont toujours vives. Ses injustices font toujours mal aux Algériens. A chaque évocation de l’une de ces milliers de victimes, des larmes chaudes sont versées.

C’était le cas lors d’une conférence-débat organisée hier à l’université des sciences humaines de Bouzaréah (Alger), en hommage à Fernand Yveton, le seul Algérien d’origine européenne guillotiné par l’armée française en février 1957, à la prison Serkadji. En effet, le parcours de ce héros engagé pour la libération de l’Algérie a été retracé avec beaucoup d’émotion. Animée par l’un de ses avocats à l’époque, Albert Smadja, François Marini, et Mohamed El Korso, cette conférence a été une nouvelle occasion pour rappeler la flagrante injustice dont a été victime Fernand Yveton. « La condamnation à mort puis l’exécution de Yveton était une tragédie judiciaire parce qu’il n’avait tué personne. Il a été condamné pour tentative de pose d’une bombe », affirme François Marini, qui prépare un livre sur Fernand Yveton.

Albert Smadja abonde dans le même sens. « Son exécution n’était pas un acte judiciaire, mais un acte politique », insiste-t-il. Et de préciser : « Le gouvernement français voulait faire croire à l’opinion internationale que les communistes, puisque Yveton en était un, étaient derrière la révolution algérienne. Ce qui n’était pas vrai, d’autant plus que le parti communiste algérien avait autorisé ses militants à adhérer directement au FLN et l’attentat auquel devait assister Fernand Yveton était préparé par des responsables de ce dernier. » Retraçant les conditions dans lesquelles s’est déroulé le procès de ce martyr, Albert Smadja souligne le caractère expéditif du jugement. Même si, précise-t-il, le procès « ressemblait dans la forme à un procès ordinaire ». « Yveton avait dit tout ce qu’il avait à dire et a été écouté. Mais quand la sentence a été prononcée, la salle avait applaudi », explique-t-il.

« Des zones d’ombre »

Prenant la parole au début de la conférence, l’historien et universitaire, Mohamed El Korso, note l’existence de « zones d’ombre » dans certains chapitres de l’histoire de la guerre de Libération nationale. « Certains sujets qui concernent la guerre de Libération nationale ou le mouvement national contiennent encore des zones d’ombre, notamment ceux en rapport avec la contribution des Européens à la lutte, aux côtés du peuple algérien, contre la colonisation française », lance-t-il, en appelant les historiens à ne pas avoir peur de l’histoire de leur pays. Pour l’historien, le rôle des Européens dans la Révolution algérienne n’est pas abordé suffisamment par les historiens en termes d’écriture. « Il s’agit là d’une autocensure, dont l’origine est principalement liée à un manque de clairvoyance et d’objectivité », dit-il. Les débats autour du sujet étaient riches. Des amis et des proches de Fernand Yveton ont tous donné leurs témoignages. La conférence a eu lieu en présence du frère du chahid, Louis Yveton et son épouse.

Par Madjid Makedhi

« Je vais mourir mais l’Algérie sera indépendante »

La prophétie faite par Fernand Yveton, quelques minutes avant qu’il ne soit guillotiné, a fini par se réaliser. Algérien d’origine européenne, fervent anti-colonialiste, Yveton a donné sa vie pour son pays. Une cérémonie de recueillement a été organisée jeudi dernier au cimetière de Bologhine. Comme chaque année, les « anciens » de la Zone autonome d’Alger ont rendu hommage à leur compagnon de combat. A l’image de son chef, Abdelkader Guerroudj, qui est revenu sur les conditions dans lesquelles Yveton a été interpellé.

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Mais il semble qu’aujourd’hui encore, les qualités de ce martyr ne sont pas officiellement reconnues. C’est en tout cas ce qu’a pu constater jeudi l’assistance lorsqu’un représentant de l’Organisation nationale des moudjahidine s’est cru obligé d’indiquer dans son allocution que Fernand Yveton « est mort pour sa seconde patrie ». Une déclaration jugée inopportune qui a fait réagir les présents. Un « lapsus » dénoncé par Mustapha Fetel, compagnon du martyr. « Fernand a été exécuté avec deux autres Algériens. Le jour de cette exécution, tous les prisonniers de la prison Barberousse ont crié leurs noms, ils n’ont fait aucune distinction. Pour eux, tous les trois sont morts pour l’Algérie. Il est regrettable que des années après, certains continuent de faire de tels lapsus. C’est grâce à des gens comme Fernand Yveton que l’on pense aujourd’hui à signer un traité d’amitié avec la France. Sans eux, quelle amitié pourrions-nous ressentir envers ce pays ? Ils sont l’espoir de la fraternité humaine », lancera Mustapha Fetel.

Né à Alger le 12 janvier 1926, Fernand Yveton, ouvrier tourneur, adhère à seize ans au Parti communiste algérien (PCA), puis devient militant de la Confédération générale du travail (CGT) à l’usine de gaz d’Alger. Membre du FLN au sein des réseaux de la Zone autonome d’Alger, il est chargé de faire exploser l’usine à gaz. Surpris le 14 novembre 1956 à régler la minuterie de l’engin explosif, dans le but qu’il ne fasse pas de victimes, Fernand Yveton sera arrêté et torturé par les parachutistes. Son recours en grâce a été refusé par le président René Coty, avec l’accord du ministre de la Justice de l’époque, François Mitterrand. Fernand Yveton mourra guillotiné à la prison de Serkadji le 11 février 1957.

Algérien et patriote avant tout

Il y a 52 ans, le 11 février 1957, était guillotiné à Serkadji le chahid Fernand Iveton.

Mercredi 11 Février 2009 — Le devoir de mémoire revêt une importance particulière pour l’écriture de l’histoire de la guerre de Libération nationale. Cependant, si celle-ci demeure toujours d’une actualité brûlante, elle procède malheureusement de moult surenchères politiciennes s’il en est, elle est souvent interpellée pour justifier et légitimer certaines étapes vécues présentement par le pays. Il est à craindre que la volonté proclamée d’écrire « une histoire officielle » de la guerre de libération, histoire déjà balisée et jalonnée, ne procède de cette vision manichéenne. Il est de notre devoir de rendre un vibrant hommage à certains héros « oubliés », parmi eux, le chahid Fernand Iveton, guillotiné le 11 février 1957 à la prison de Serkadji.

La période de 1954 à 1962 fut dure, terrible, atroce. Elle fut cruelle et douloureuse. Paradoxalement, elle fut militante et fraternelle. Tant d’êtres souffrirent, cependant, c’est dans ces moments que certains Algériens de souche et Algériens d’origine européenne apprirent à mieux se connaître, qui plus est, en ces jours de vérité nue. Quarante-six ans après la fin de la guerre d’Algérie, l’on hésite encore parfois sur le choix du vocabulaire afin de ne pas raviver des blessures non cicatrisées. Qui mieux que le sacrifice d’Iveton pourrait symboliser les passerelles empreintes d’humanisme et de justice, jetées entre les hommes de différents horizons sociaux, raciaux et religieux.

Qu’évoque ce nom pour les jeunes Algériens ? La réponse est douloureuse, et pour cause, l’histoire de ce militant algérien de la première heure est pratiquement méconnue des nouvelles générations de notre pays. La raison est à chercher du côté de la culture de l’oubli, cela en l’absence de toute référence au nom de Fernand Iveton sur les édifices publics. Après l’indépendance, le père de Fernand supplia en vain les autorités algériennes de donner à son fils ne serait-ce qu’un petit bout de rue. Désespéré d’avoir échoué, il appela Villa Fernand le pavillon qu’il possédait en France. Hélas, quelques années plus tard, on s’est rappelé à l’occasion du sacrifice de ce chahid, non pas pour lui rendre hommage et justice en même temps, mais pour redorer le blason des autorités de l’époque, mis à mal par un article de la presse française dans lequel il était question de l’ingratitude des autorités algériennes à l’égard des martyrs algériens d’origine européenne.

Ce faisant, il cite le cas de Fernand Iveton dont le nom n’est porté par aucune rue ni institution publique. Le soir même de la publication de cet article les mettant en cause, les autorités de l’époque, parti unique oblige, ont instruit la kasma FLN d’El Madania (ex-Clos Salembier), quartier natal de Fernand Iveton, de procéder à la baptisation expresse d’une petite ruelle de 30 mètres. Heureusement que cette mascarade post mortem à l’endroit de ce chahid, qu’on ne peut que qualifier d’ubuesque et tragique à la fois, n’altère en rien le parcours de cet authentique patriote qui a été synonyme de courage, de probité et de sacrifice et ce, jusqu’au pied de la guillotine où il a crié « Tahia El Djazaïr » en arabe, avant d’être exécuté. En compagnie de deux autres chahids auxquels nous rendons un vibrant hommage, il s’agit en l’occurrence de Mohamed Ounnouri et Ahmed Lakhnache. Avant son exécution, il a été d’abord conduit au greffe de la prison, là il a déclaré : « La vie d’un homme, la mienne, compte peu, ce qui compte, c’est l’Algérie, son avenir et l’Algérie sera libre demain. »

Le chahid Didouche Mourad, qui était son voisin de quartier (La Redoute, Clos Salembier) disait de lui : « S’il y avait beaucoup de gens comme lui, cela aurait changé bien des choses. » Son avocat, Charles Lainné, a été frappé par l’attitude d’Iveton lors de son exécution, il disait : « Il avait l’attitude d’un homme droit en faisant preuve d’une constance et d’un courage admirable. » Il avait ressenti la condamnation à mort, l’exécution d’Iveton comme une grosse injustice et un déshonneur pour la France. Fernand Meissonnier, son bourreau, disait de lui : « Celui-là fut un condamné à mort modèle, droit, impeccable, courageux jusqu’au couperet. » L’enfant de Clos Salembier a été très sensible à la misère qui frappait la population musulmane de son quartier. Il a d’abord commencé à militer dans la cellule de la Jeunesse communiste de La Redoute-Salembier, en compagnie de ses voisins de quartier les plus connus, Henri Maillot, Myriam Ben (Marylise Benhaïm) et Ahmed Akkache qui seront plus tard des acteurs très actifs de la guerre de Libération nationale.

Ensuite, après le déclenchement de la Révolution, sa démarche était celle d’un homme qui n’était ni un idéologue ni un aventurier, pas de rupture dramatique avec le parti, mais un glissement progressif vers les combattants du FLN, réunions clandestines, asile offert à des militants recherchés, au fil des mois, une interrogation lancinante : « Que fait le parti ? » Iveton est de ceux qui souhaitent un total engagement. Il s’enrôle dans les Combattants de la libération (CDL), structure clandestine armée créée par le Parti communiste algérien en juin 1955. Mais son groupe ne lui propose que des actions dérisoires qu’il exécute avec son camarade de parti, Félix Colozi (cet homme qui a survécu aux geôles colonialistes n’a jamais quitté l’Algérie et il y vit toujours d’ailleurs). Tandis que son ami d’enfance et voisin, Henri Maillot, officier déserteur, tombe au combat, Iveton s’impatiente.

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L’absorption des CDL par le FLN va lui ouvrir les voies de l’action. Il accepte de poser à l’usine de gaz du Ruisseau où il travaille, une seule bombe au lieu des deux que lui ramène Jacqueline Guerroudj, et ce, faute de place dans son sac de travail. Iveton réprouve la violence aveugle. Sa bombe ne devra tuer personne, qui plus est, ses camarades de travail. Il s’entoure pour cela de toutes les précautions possibles. Pierre Vidal-Naquet a raison d’écrire « Iveton ne voulait pas d’une explosion meurtre. Il voulait une explosion témoignage ». Lors de son arrestation et en dépit des tortures atroces qu’il avait subies pour permettre à la deuxième bombe que transportait Jacqueline d’exploser et aussi permettre à ses camarades de s’échapper, il a pu orienter les enquêteurs sur une fausse piste, en parlant de la fameuse femme blonde, conduisant une 2 CV, alors que Jacqueline avait les cheveux noirs et était au volant d’une voiture Dyna (Panhard). Cette résistance a permis de retarder l’arrestation de Jacqueline et des autres.

À travers cette description, on a longtemps cru qu’il s’agissait de Raymonde Peschard, la fille de St-Eugène, morte au maquis quelques mois après dans la Wilaya III (une autre chahida à qui nous devrons rendre hommage). À ce chahid qui a su vivre et mourir pour son idéal avec tant de simplicité et de grandeur, nous devons bien un hommage à la hauteur de son sacrifice, qui le sortira de la nuit de l’oubli où il a été longtemps confiné par l’histoire officielle. Une initiative qu’il y a lieu de sacraliser et d’étendre à d’autres victimes de la culture de l’oubli, car ils ont tant souffert pour faire sortir le peuple algérien des ténèbres dans lesquelles il a été très longtemps confiné par le système colonial. En rendant hommage à ces héros, nous contribuons à renforcer davantage les valeurs de fraternité, d’humanisme, de tolérance et de liberté dans l’Algérie d’aujourd’hui dont on a grandement besoin pour se comprendre et se respecter.

Fernand Iveton, par Mustapha Boutadjine

Ces commémorations sont organisées par l’Association Maillot-Iveton dont les membres fondateurs habitent le quartier de Madania (ex Clos Salembier) où résidaient les deux martyrs. Les membres fondateurs de cette association méritent nos encouragements à poursuivre leur action sachant qu’elle concourt au rassemblement de tous ceux qui demeurent de nos jours toujours fidèles aux idéaux des martyrs de la guerre de libération nationale, idéaux remis en cause depuis plus de 30 années par une politique au service d’intérêts étroits ayant favorisé l’enrichissement fabuleux et éhonté d’une minorité d’Algériens au détriment de l’immense majorité.

L’exemple que nous donne l’Association Maillot-Iveton du quartier d’Al Madania mérite d’être suivi dans tous les quartiers de nos villes et villages pour commémorer le sacrifice de tous les martyrs de la révolution afin de rappeler le parcours politique de chacun d’eux, sans jeter l’exclusive sur leur parti politique d’origine comme cela se produit encore très souvent de nos jours quand il s’agit du Parti communiste Algérien. Maillot, tout comme Iveton, Maurice Laban, Raymonde Peschard, Rebah Nourredine, Abdelkader Choukal, Maurice Audin, Mohamed Guerrouf et de nombreux camarades martyrs étaient membres du Parti communiste Algérien. Leur engagement dans la guerre de libération aux côtés des autres patriotes issus des anciens partis nationalistes qui ont rejoint l’ALN ou le FLN, n’est pas une décision individuelle.

Elle fait suite à une décision prise par le Parti communiste Algérien, à la suite des accords FLN-PCA d’intégrer les Combattants de la Libération Nationale (organisation armée du PCA) dans l’ALN et le FLN. Voilà la vérité historique qu’il ne faut jamais cacher au moins par respect aux martyrs que l’on doit honorer.

Dans son interview publiée le 31 Août 2001 par l’hebdomadaire français « Le Point », Abdelkader Guerroudj, chef des groupes des Combattants de la libération nationale, condamné à mort en même temps que sa compagne Jacqueline, déclare à ce propos ce qui suit : « J’ai été condamné pour atteinte à la sécurité de l’État et complicité d’assassinat en tant que chef des Combattants de la Libération, l’organisme armé créé par le Parti communiste Algérien et versé au FLN ». Toujours dans cette interview, Guerroudj souligne à propos de Fernand Iveton : « C’était un camarade, un militant communiste ».

Oui, Fernand était un ouvrier. Son père était également communiste. Dans les rangs de son Parti, il avait acquis une conscience de classe et avait fait sienne cette idée de Marx : « Qu’un peuple qui en opprime un autre ne saurait être libre ». C’est pourquoi il a combattu avec fermeté l’influence raciste de l’idéologie colonialiste qui avait pu s’emparer malheureusement d’une partie importante de la population européenne. C’est pourquoi avant de marcher courageusement au supplice, comme l’a reconnu son bourreau, Fernand Iveton avait fait cette dernière déclaration : « La vie d’un homme, la mienne, compte peu, ce qui compte c’est l’Algérie, son avenir et l’Algérie sera libre demain ». Fernand Iveton est mort pour que son pays, l’Algérie, soit indépendant.

Biographie de Fernand Iveton

Fernand Iveton est né à Alger le 12 juin 1926. Il a un peu plus de trente ans quand il est guillotiné le 11 février 1957 à la prison de Barberousse d’Alger.

Le père, Pascal, enfant recueilli par l’Assistance Publique avait reçu le nom patronymique d’Iveton. Pascal vécut dans un quartier populaire d’Alger, le Clos Salembier (aujourd’hui El Madania). Communiste et syndicaliste, Pascal Iveton fut révoqué sous le régime de Vichy de son emploi à Électricité et Gaz d’Algérie (EG.A.).

Fernand, son fils, suivit son exemple en devenant employé de l’usine à gaz d’El-Hamma au Ruisseau. En 1943, il adhère à la section de la Redoute (un quartier proche du Clos Salembier) des jeunesses communistes. Il milite aux côtés d’Henri Maillot et Ahmed Akkache au sein de cette section.

Quand L’Union de la Jeunesse Communiste Algérienne est dissoute pour faire place à l’Union de la Jeunesse Démocratique Algérienne qui rassemblera dans ses rangs des jeunes communistes et nationalistes et d’autres patriotes, Fernand Iveton rejoindra le cercle de la redoute de l’UJDA. Il militera également au sein des syndicats d’Algérie affiliés à la CGT de France (Confédération Générale du Travail) puis à l’UGSA (Union Générale des Syndicats Algériens) organisation syndicale algérienne qui demeurera affiliée à la CGT. Il sera désigné par les travailleurs de l’usine à gaz du Hamma comme délégué syndical.

En 1953, il épouse Hélène Ksiazek, une Polonaise émigrée en France, qu’il connut lors de l’un de ses séjours en région Parisienne. Son épouse le rejoint et ils s’installeront au Clos Salembier.

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En juin 1955 il s’intègre dans les groupes armés des Combattants de la Libération au côté de Abdelkader Guerroudj, Félix Collosi, Mohamed Hachelaf, Yahia Briki, Georges Accampora et d’autres camarades communistes.

Après l’Accord FLN-PCA les Combattants de la Libération sont intégrés dans l’ALN-FLN, il fera partie du commando du Grand Alger. Après avoir participé à plusieurs actions (sabotages de wagons sur le port, incendie des Bouchonneries Internationales) il sera chargé de placer une bombe à l’usine à gaz du Hamma. Elle est déposée le 14 novembre 1956. Mais tout prouve qu’il a pris toutes ses précautions pour que la bombe ne cause que des dommages matériels. À ce propos Pierre Vidal-Naquet écrit dans sa préface à l’ouvrage de jean Luc-Einaudi « Pour l’exemple. L’affaire Fernand Iveton. Enquête » ce qui suit : « Iveton ne voulait pas d’une explosion-meurtre. Il voulait une explosion témoignage. »

Dans son ouvrage « Des douars et des Prisons » Jacqueline Guerroudj qui lui a apporté la bombe fabriquée par Abderahmane Taleb et Daniel Timsit raconte qu’elle était chargée de lui donner deux bombes. Le 25 novembre 1956, onze jours seulement après son arrestation il est passé devant le tribunal. « Dans une atmosphère de pogrom » est-il écrit dans « La guerre d’Algérie » tome 2, page 364 (ouvrage sous la direction d’Henri Alleg). Il est condamné à mort au cours d’une parodie de procès « dans un prétoire où montaient des cris de haine et de mort ».

Le ministre français de la Justice de l’époque, François Mitterrand, et le président de la République Française refuseront de le gracier après la demande introduite par ses avocats. Le 11 février 1957 au petit matin il sera guillotiné en même temps que deux autres patriotes algériens. « Fernand Iveton, Mohammed Ouennouri et Ahmed Lakhnèche marchent courageusement au supplice. Les 3 hommes s’embrassent et clament « Vive l’Algérie libre ! » au pied de la guillotine tandis que, de la prison tout entière, s’élève un grand cri de solidarité, de colère, d’espérance. Les détenus politiques pleurent, entonnent des chants patriotiques, ébranlent de leurs poings les portes des cellules. »

Dans sa dernière lettre à son avocat José Nordmann, Iveton déclare : « Pour moi, seuls la lutte de notre peuple et l’appui désintéressé du peuple Français sont les gages de notre libération. »

Source Alger-republicain

De nos frères blessés (roman) :
Les derniers jours d’un condamné mort pour ses idées

Prix Goncourt 2016 du premier roman, Joseph Andras retrace les derniers jours de Fernand Iveton,le seul Européen guillotiné pendant la guerre d’Algérie, qui fut militant communiste.

De nos frères blessés, de Joseph Andras. Éditions Actes Sud, 144 pages, 17 euros. Fernand Iveton n’a tué personne. Il avait tout juste 30 ans lorsqu’il a été torturé et condamné à mort pour avoir posé une bombe dans son usine. Nous sommes à Alger, en 1956. La guerre sans nom a commencé deux ans plus tôt. Français d’Algérie anticolonialiste, délégué CGT, membre du Parti communiste algérien rallié au FLN, il veut alerter l’opinion sans intention de tuer. L’explosif est désamorcé, ne faisant ni dégât ni victime. Fernand Iveton est mort le matin du 11 février 1957, avec deux de ses camarades algériens, après une journée de procès sommaire et une demande de grâce rejetée par le président René Coty et François Mitterrand, alors garde des Sceaux. « Iveton demeure comme un nom maudit (…). On se demande comment Mitterrand pouvait assumer ça », écrivent l’historien Benjamin Stora et le journaliste François Malye dans François Mitterrand et la guerre d’Algérie, cité en exergue.

On ne sait presque rien de l’auteur, Joseph Andras, sinon qu’il a 32 ans et vit en Normandie. Premier roman dense au lyrisme tenu, De nos frères blessés est écrit d’un seul souffle, suivant pas à pas les derniers jours d’un condamné qui lit les Misérables dans sa cellule et refuse au pied de l’échafaud le secours de la religion. Libre-penseur jusqu’au bout.

Le rythme heurté, les phrases hachées épousent la rapidité de l’action, laissent deviner le cœur battant de Fernand attendant sous la pluie la Panhard bleue de Jacqueline Guerroudj, celle qui va lui remettre la bombe au tic-tac fiévreux. Les mots précis restituent jusqu’à l’odeur de la chair brûlée par les électrodes des tortionnaires.

En quelques scènes qui entrecoupent un récit nerveux, l’auteur retrace avec une profonde humanité l’itinéraire d’un homme mort pour ses idées  : la douce rencontre au bord de la Marne avec sa femme, Hélène, l’enfance en Algérie dans le quartier du Clos-Salembier, l’engagement à 20 ans, après avoir entendu le récit des violences perpétrées par les colons et les miliciens, « des histoires à ne plus dormir. Des gens brûlés vivants avec de l’essence, les récoltes saccagées, les corps balancés dans les puits ».

Fernand Iveton rêvait d’une Algérie qui « finisse, de gré ou de force, par reconnaître chacun de ses enfants, d’où qu’ils viennent, lui ou ses parents et grands-parents ». Pour dire le lien organique qui le liait à cette terre, Joseph Andras ponctue son texte de phrases calligraphiées en arabe, une langue qu’il tente d’apprendre avec ses amis algériens.

« Je ne suis pas musulman (…) mais je suis algérien d’origine européenne », écrit Fernand Iveton dans sa cellule, « ma place est aux côtés de ceux qui ont engagé le combat libérateur ». Une position intenable en temps de guerre. Alors que France-Soir le qualifie de « tueur » et Paris-Presse de « terroriste », seul l’Humanité exige sa libération. « Tu es français, tu as mis une bombe, pour eux c’est impardonnable », lui dit l’avocat Joë Nordmann, résistant, celui qui a remis à Aragon pendant l’Occupation des documents du Parti communiste.

« Marianne monnaie sa nuit aux trois couleurs », écrit Joseph Andras. Deux jours après la décapitation, Albert Smadja, l’un des deux avocats commis d’office, sera arrêté et transféré au camp de Lodi afin, comme le précise le livre de la journaliste Nathalie Funès, cité dans les notes finales, de « faire taire ceux qui peuvent dénoncer la répression, entrer en contact avec les militants arrêtés (…) se mettre en travers de l’accusation dans les procès ».

L’histoire de Fernand Iveton, mort la même année que Maurice Audin, se heurte à ce que l’historien Jean-Luc Einaudi a nommé « le silence de l’État ». Symbole de la mauvaise conscience des autorités françaises et d’une Justice indigne, elle est restée dans les mémoires grâce à un texte de Jean-Paul Sartre, publié en 1958 dans les Temps modernes et aux témoignages des survivants.

Ce roman puissant s’achève sur un bref poème qui dit, en quelques lignes, la douleur, la colère et l’espoir suscités par le récit d’une vie brève et fracassée. « En nos corps fortifiés / Que vive notre idéal / Et vos sangs entremêlés / Pour que demain, ils n’osent plus / Ils n’osent plus nous assassiner. »

Source : L’Humanité