par Massimiliano Ay, Secrétaire général du Parti Communiste (Suisse) et membre du Parlement du Canton du Tessin
May 25, 2025
Dernièrement, j’ai lu plusieurs articles dont les auteurs s’étonnent de ce que l’on appelle le “double-arrêt”, c’est-à-dire le pouvoir des États-Unis de bloquer un avion ou un système d’armes appartenant à des armées alliées, y compris celle de la Suisse. Je suis heureux qu’ils en parlent, mais il est dommage que, lorsque le Parti Communiste l’a anticipé il y a cinq ans, personne ne l’ait considéré comme un argument valable et que certains officiers (manifestement menteurs ou simplement incompétents) l’aient même qualifié de “conspiration”. Mais aujourd’hui, il faut aussi compter parmi les “conspirationnistes” le Financial Times et d’autres médias considérés comme faisant autorité.
Mais revenons à la Suisse : le 17 septembre 2020, j’ai écrit un article en italien intitulé “La géopolitique des avions de chasse”, publié sur divers portails en ligne, dans lequel je disais que ces avions “sont des ordinateurs, pas de la ferraille” ! Il y a cinq ans, le débat portait en effet sur l’achat du F-35 et le Parti Communiste était le seul à mettre sur la table un argument original pour s’y opposer, l’argument géopolitique ! Un argument rejeté par la droite parce qu’il était incompatible avec le récit “souverainiste”, et également exclu par la gauche, qui préférait les arguments pacifistes (banals et rabâchés). Seul le Parti Communiste avait mis, et dès le premier débat télévisé en juillet 2019, le mot clé de toute cette affaire, à savoir : “OTAN” !
Les avions, mais en général tous les systèmes d’armes minimalement complexes, ne sont en effet pas des amas de ferraille, comme certains le croient encore : ce sont avant tout des produits hautement informatisés avec des formes précises de contraintes technologiques qui répondent à des exigences géopolitiques. Vous souvenez-vous du Gripen, l’avion de combat suédois refusé par les Suisses ? Il a été acheté par le Brésil dont le gouvernement était entre les mains de la gauche patriotique (alliée à la Chine). Des composants cruciaux du moteur de l’avion des forces armées brésiliennes restaient la propriété des États-Unis et le gouvernement de Washington bloquait l’approvisionnement en pièces de rechange, ce qui pouvait pousser l’armée de l’air du pays latino-américain Cofondateur des BRICS à rester clouée au sol.
Des années plus tard, en 2020, le gouvernement suisse a soumis une question à son peuple, pratiquement un chèque en blanc. Il fallait voter sur le principe du renouvellement de la flotte de l’aviation militaire ; le choix des avions était toutefois laissé aux technocrates, qui choisissaient librement un modèle parmi quelques-uns sélectionnés. Mais ce que peu de gens ont remarqué, c’est que le message du Conseil fédéral précisait que tous les avions entrant en ligne de compte devaient être de production exclusive de l’OTAN, c’est-à-dire qu’il rejetait explicitement, les avions de fabrication russe ou chinoise par exemple, même s’ils coûtaient moins cher ou s’ils étaient plus adaptés à nos besoins nationaux.
Dans mon article d’il y a cinq ans, je me demandais : “Mais un petit pays neutre comme le nôtre ne devrait-il pas diversifier ses partenaires, non seulement sur le plan économique mais aussi sur le plan militaire, afin de ne pas dépendre d’une seule puissance étrangère et de garantir ainsi sa souveraineté ?” Et j’ajoutais : “En bref, ce sont les États-Unis qui déterminent si nos avions peuvent décoller ou tirer ! Tous ceux qui s’occupent de politique de sécurité le savent, mais peu de gens l’admettent, et même à la télévision, on évite de le mentionner”.
Pratiquement, la Suisse achète pour des milliards de francs d’armes pour sa défense nationale. Mais ces armes sont inopérantes s’il n’y a pas l’accord de l’OTAN ou du gouvernement des Etats-Unis qui en est finalement le propriétaire. Le même problème se pose pour la Grande-Bretagne, dont les missiles balistiques sont loués aux États-Unis. En pratique, comme notre pays est entouré par l’OTAN et ne dispose que de systèmes d’armes de l’OTAN, nous ne pouvons pas nous défendre, même si nous nous armons jusqu’aux dents. Telle est la contradiction que même l’UDC et les milieux militaristes ne veulent pas affronter.
En revanche, la Turquie se comporte différemment. Bien qu’elle soit la deuxième armée de l’OTAN, Ankara ne lui obéit pas et achète des systèmes balistiques tiers, produit son propre matériel de guerre, diversifie l’armement fourni à ses troupes avec du matériel non américain et dispose même d’une armée – celle basée à Izmir – qui ne répondrait pas à l’OTAN en cas de crise. Comment se fait-il qu’un membre de l’OTAN prenne cette liberté et qu’un pays neutre non-membre comme la Suisse ne puisse pas adopter une politique étrangère et militaire quelque peu autonome ?
Les USA vendent leurs armes à l’UE et à la Suisse, mais ils veulent aussi s’assurer qu’aucun acheteur ne puisse les utiliser contre leurs intérêts géostratégiques. Et il en sera de même maintenant avec Trump, qui sournoisement, en se retirant de la guerre en Ukraine, force l’UE à un réarmement effrené qui tourne à la folie : toutes les armes seront en effet… principalement américaines. Oubliez l’armée européenne ! Oubliez l’armée suisse !
Toutes ces informations étaient connues depuis des années : au moment de la votation suisse, pourtant, seul le Parti communiste l’avait dit (et répété sur ses chaînes), mais les médias ont refusé de le thématiser. C’est aussi de cette manière que l’on manipule les citoyens. C’est pourquoi il faut saboter la course aux armements, qui ne fera de nous qu’une cible plus facile pour la guerre : il faut au contraire défendre une neutralité intégrale pour notre pays, et les jeunes, au lieu d’être enrôlés aux ordres de l’OTAN, devraient faire leur service civil : bien plus utile à la communauté et au pays.
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