Signature de l’accord sur les minerais ukrainiens : la vassalisation de l’Ukraine en marche

Gregorio Oneto
May 7, 2025

Mercredi 30 avril, les représentants des gouvernements étasunien et ukrainien ont fini par signer l’accord sur les ressources naturelles ukrainiennes. Si la version finale de l’accord est fortement édulcorée, elle n’entérine pas moins la soumission de l’Ukraine aux intérêts de l’impérialisme américain.

Après de longues et tortueuses négociations, l’accord entre États-Unis et Ukraine sur l’exploitation des minerais ukrainiens a finalement vu le jour. Alors que la version proposée par Trump en février correspondait à une vassalisation totale de l’Ukraine, le texte signé il y a une semaine par Scott Bessent, le secrétaire au Trésor américain, et par Ioulia Svyrydenko, la ministre de l’Économie ukrainienne, se présente comme étant une spoliation de moindre ampleur. En réalité, même si les modalités précises de son application ainsi que sa portée effective sont encore floues, cet accord entérine de facto le principe de la soumission de l’Ukraine aux intérêts de l’impérialisme étasunien.

Une version finale de l’accord sur les minerais nettement édulcorée

L’idée d’un accord sur les minerais ukrainiens avait été mise sur la table dès octobre 2024 par Zelensky dans son « plan pour la victoire ». Avec l’investiture de Trump et la crainte ukrainienne de voir leur principal soutien militaire et financier se désister, les minerais ukrainiens sont apparus comme l’appât nécessaire pour maintenir l’engagement étasunien. Mais Zelensky a vite remarqué les dangers d’appâter le plus grand impérialisme de la planète : la première version de l’accord proposée par Trump impliquait l’accaparement pur et simple de l’ensemble des richesses minières ukrainiennes par les États-Unis, pour une valeur allant jusqu’à 500 milliards de dollars, cette appropriation étant conçue comme le remboursement par l’Ukraine de l’ensemble de l’aide américaine financière et militaire.

L’humiliation de Zelensky par Trump dans le bureau ovale avait pendant quelques semaines refroidi les relations entre les deux dirigeants, ralentissant fortement les négociations. Mais, après plusieurs semaines d’efforts diplomatiques, l’accord a finalement vu le jour. La version finale, que les deux parties ont revendiqué comme une victoire, a été expurgée de ses mesures les plus radicales. Il n’est plus fait mention d’une quelconque dette de l’Ukraine envers les États-Unis, les deux pays étant présentés comme des parties égales de cet accord. De plus, le texte garantit à l’Ukraine « la souveraineté sur les ressources naturelles présentes sur son territoire », et lui réserve donc « le droit de déterminer les zones de son territoire qui peuvent être mises à disposition pour l’exercice des activités de prospection, d’exploration et de production de ressources naturelles ».

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Quelles sont donc les mesures concrètes mises en place dans l’accord ? En continuité avec les précédentes versions, il décrète la création d’un « Fonds d’investissement pour la reconstruction de l’Ukraine », financé à parts égales par deux agences gouvernementales, l’une étasunienne, l’autre ukrainienne. Les détails de fonctionnement de ce fonds devront être déterminés ultérieurement, par la signature d’un « contrat de société en commandite » (Limited Partners Agreement), à savoir un contrat qui fournira l’ensemble du pouvoir décisionnel au fonds lui-même. L’enjeu résidera donc dans la composition de la gouvernance de ce futur fonds. Selon les précisions apportées par la ministre Svyrydenko, le fonds devrait être géré en parité par les États-Unis et l’Ukraine.

Cette nouvelle institution, qui se donne pour objectif « la reconstruction et la modernisation de long-terme de l’Ukraine », aura pour fonction d’investir dans l’exploitation des ressources naturelles du sol ukrainien, incluant les fameuses terres rares, mais aussi le gaz et le pétrole. Les revenus produits par ces investissements viendront ainsi renflouer le fonds, et devront pour la première décennie être réinvestis en Ukraine. De plus, en continuité avec les versions précédentes du texte, le fonds disposera d’un droit de préemption sur les nouvelles licences et concessions accordées pour l’exploitation de ressources naturelles. Une mesure clef, accordant au capital étasunien une priorité sur ce vaste terrain d’investissement que sont les réserves de minerais, de gaz et de pétrole d’Ukraine. Ce droit de préemption vaut également pour les achats de long-terme (Offtake Rights), ce qui permettra au fonds d’obtenir une priorité pour l’achat des terres rares, enjeu central dans la rivalité avec la Chine.

Une nouvelle étape de la vassalisation de l’Ukraine ?

Les dirigeants ukrainiens se sont félicités pour la signature de cet accord, invoquant une collaboration économique équitable entre les deux pays. Il est indéniable que les termes de la version finale sont plus acceptables pour les Ukrainiens que la version initiale. De plus, alors que Trump a pu avoir des mots plus conciliants pour Poutine que pour Zelensky, le texte final qualifie sans ambiguïtés la guerre d’« invasion à grande échelle de l’Ukraine par la Russie », attribuant ainsi l’entière responsabilité à la Russie. Alors que Trump s’irrite depuis quelques semaines du peu d’empressement de Poutine dans les négociations de paix, ce texte semble s’inscrire dans une dynamique de réaffirmation paradoxale de l’engagement étasunien en Ukraine. Dans la foulée de l’accord, le gouvernement US a en effet annoncé plusieurs autorisations de vente d’armes à l’Ukraine, les premières à être accordées depuis l’investiture de Trump.

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En favorisant ce réengagement étasunien, l’accord sur les minerais semble effectivement une victoire du point de vue ukrainien. Mais, en échange de privilèges économiques considérables, Zelensky n’a réussi à obtenir aucune garantie de sécurité concrète, ce qui était son objectif premier quand il avait promu l’idée d’un accord sur les minerais. Il espère désormais que la multiplication des intérêts du capital américain sur le sol ukrainien soit une sorte d’Ersatz de ces garanties non accordées, et que celle-ci pousse les États-Unis à maintenir un engagement sur le long-terme dans le pays. Ainsi, pour échapper à la domination de la puissance russe, le gouvernement ukrainien a choisi de s’intégrer le plus possible au bloc impérialiste occidental : or, pour un pays comme l’Ukraine appartenant à la périphérie du système capitaliste, une telle intégration signifie une soumission. La ministre Svyrydenko a beau présenter l’accord et le fonctionnement du futur fond comme une collaboration entre égaux, ce fonds, dont le fonctionnement doit encore être déterminé, sera de facto un agent de l’impérialisme étasunien, et il n’obéira qu’à lui-seul.

Un accord à la portée encore incertaine, qui entérine la logique de brigandage de l’impérialisme

Alors que Trump a été frustré dans sa prétention à résoudre en 24 heures la guerre en Ukraine, la signature de l’accord sur les ressources naturelles ukrainiennes lui permet de revendiquer un résultat positif de sa politique étrangère. Si l’accord n’est plus conçu comme le remboursement d’une dette de l’Ukraine envers les États-Unis, il est malgré tout compris comme une compensation économique à cette aide. En effet, toute future aide militaire accordée par le gouvernement étasunien sera comptabilisée dans la contribution de l’agence étasunienne au fonds d’investissement : ainsi, cette aide sera considérée comme un véritable investissement et sera en conséquence compensée par les revenus générés par le fonds. Trump peut donc revendiquer avoir obtenu un dédommagement indirect à l’ensemble de l’effort financier et militaire des États-Unis en Ukraine.

Il ne faudrait toutefois pas exagérer l’importance économique de cet accord pour l’impérialisme américain. À la différence de la version initiale, le texte final ne concerne que les nouvelles exploitations : l’ensemble des revenus actuellement générés par l’exploitation des ressources minières, gazières et pétrolières d’Ukraine ne sont donc pas concernés. Or, divers analystes ont remis en cause la richesse du territoire ukrainien : les dernières prospections datant de l’époque soviétique, les données actuelles sur les ressources naturelles de son sous-sol ne seraient pas fiables. Ainsi, de nouvelles études sont nécessaires pour évaluer la portée exacte de ces ressources, et pour savoir si elles constituent bien des réserves, à savoir si leur extraction est réalisable et rentable.

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L’indétermination des réserves effectives présentes sur le territoire ukrainien s’ajoute à l’indétermination des termes de l’accord qui établira effectivement le fonds d’investissement et son fonctionnement interne : cela rend difficile l’estimation de la portée concrète de l’accord signé il y a une semaine. Mais, par-delà cette incertitude, ce texte entérine de fait la logique rapace de l’impérialisme américain à l’égard de l’Ukraine. Une logique qui régit l’ensemble de la guerre réactionnaire qui a lieu sur son territoire.

L’accord démontre que le soutien américain à l’effort de guerre ukrainien n’était aucunement motivé par la volonté désintéressée de garantir l’auto-détermination du peuple ukrainien. Cette guerre n’est autre qu’une guerre de procuration de l’impérialisme occidental, étasunien comme européen, contre la puissance russe, dont l’un des enjeux est la concurrence des différents capitaux pour le contrôle de l’économie ukrainienne. Si cet accord sur les minerais intègre effectivement un peu plus l’Ukraine au bloc occidental, c’est en la soumettant sans merci aux exigences de valorisation du capital occidental. Une soumission dont les premières victimes seront les travailleurs et travailleuses ukrainiens, grands oubliés de l’ensemble de ces négociations.

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