Qui sont les vrais pilleurs de l’Afrique et du Congo ?

Par Tony Busselen
20 Jan 2018

« Les dirigeants africains sont les nouveaux pilleurs coloniaux d’aujourd’hui » titrait récemment un site néerlandais. Un ami belge, observateur du Congo, mettait l’article sur son mur Facebook en disant “très pertinent”. En effet, à en croire les médias occidentaux, le Sud serait un vivier de corruption, en contraste avec le monde occidental civilisé. Qu’en est-il du continent africain et plus spécifiquement de la République démocratique du Congo ?

Sur la carte du monde avec laquelle Transparency International (ONG internationale spécialisée dans l’étude de la corruption) rend visible son Indice de corruption, on voit que les nations les plus corrompues enduites d’un rouge foncé se trouvent dans les continents du Sud et en Asie. Tandis que les pays les moins corrompus sont les Etats-Unis, le Canada et les pays d’Europe. Dans son article intitulé “Renverser le mythe de la corruption”, Jason Hickel de la London School of Economics, bouleverse cette image. Sa conclusion est que “cette théorie n’est tout simplement pas vraie”.

La définition de la corruption selon Transparency International est : « l’abus de pouvoir à finalité d’enrichissement personnel ». Or, dit Hickel, si l’on applique cette définition à l’économie globale dans le monde, on doit reconnaître que la corruption à grande échelle se trouve justement surtout du côté des pays “développés” en Europe et en Amérique du Nord. Il est vrai que selon la Banque mondiale, la corruption locale coûte aux pays en développement (en Afrique, en Amérique Latine et en Asie) entre 20 et 40 milliards de dollars par an. C’est une grande somme. Mais, en comparaison avec les pertes causées par la corruption au Nord, c’est un chiffre assez bas. La fraude fiscale en Belgique, par exemple, est estimée à 36 milliards d’euros par an.

Et, depuis quelques années, le Parti du Travail de Belgique publie chaque année un top 50 des grandes multinationales qui ne paient pas d’impôts sur leurs bénéfices, en employant une série d’arrière-portes ouvertes dans la législation. Or cela n’est pas noté comme “corruption” puisque cette évasion d’impôts par ces grandes sociétés est légalisée par des gouvernements successifs sous prétexte que ces sociétés créeraient de l’emploi; ce qui n’est pas vrai. Par cette corruption légalisée, l’Etat belge perdait encore 9,1 milliards de dollars en plus en 2016. Et la Belgique n’est pas une exception dans le monde occidental, loin de là !

Le vol au Sud par les multinationales

Mais il y a pire : les entreprises multinationales du Nord volent plus de 1000 milliards de dollars par an à tous les pays en développement (en Afrique, Amérique Latine et Asie) grâce à des pratiques illicites. Le rapport de l’Africa Progress Panel de 2013, intitulé “Equité et Industries Extractives en Afrique” note que :

Les industries extractives opérant en Afrique peuvent réduire leurs versements d’impôts de plusieurs manières. Certaines sont légales, d’autres sont illégales, d’autres encore se situent entre les deux, mais toutes sont difficiles à détecter.

On estime que 60 % des échanges internationaux sont aujourd’hui réalisés entre des filiales d’une même entreprise, et plusieurs sociétés d’extraction actives dans les pays riches en ressources naturelles sont quasiment autonomes. Elles importent des biens et des services d’une filiale ou d’une entité affiliée, obtiennent des financements d’une autre, et vendent en amont à d’autres entreprises du groupe actives dans la transformation. Le rapport continu : Les autorités fiscales africaines font face à des difficultés dans tous ces domaines. Suivre la valeur ajoutée à travers un labyrinthe d’entreprises interconnectées, liées par des sociétés fictives, des holdings et d’autres intermédiaires enregistrés dans des centres allant des Îles Vierges britanniques à la Suisse en passant par Londres, est un défi de tous les jours, même pour les administrations fiscales les plus développées de l’OCDE : les gouvernements des pays de l’OCDE ont désigné les prix de transfert comme étant une menace pour leur base fiscale. Pour les autorités africaines, faire appliquer les codes des impôts est souvent mission impossible (page 65).

Le rapport “Honestaccounts” de 2017 compare d’une façon détaillée les flux financiers entrant et sortant d’Afrique subsaharienne. Le calcul final démontre que l’Afrique n’est pas aidée par le monde développé, comme on le dit souvent. Non, au contraire, l’Afrique aide le reste du monde pour une somme de 40 milliards de dollars annuellement.

Cette illustration fait la synthèse de la comparaison détaillée de tous les flux d’argent qui entrent et qui quittent l’Afrique en 2016.

Le pillage du Congo: un cas extrême

Le Rapport de Suivi de la situation Économique et Financière de la RDC publié en septembre 2015 par la Banque mondiale (BM), contient un passage choquant. En effet aux pages 17 et 18, on tombe sur un passage titré : «Les comparaisons internationales montrent que la RDC est un cas atypique». La BM écrit : « La RDC est un cas à part par rapport au reste du monde en combinant l’un des plus hauts niveaux de rente par rapport au PIB du secteur des ressources naturelles et l’un des plus bas niveaux de recettes ». Avec «rente», on veut dire ce que les sociétés gagnent (chiffre d’affaires moins amortissement des investissements et coûts de production) dans les secteurs pétrolier, du gaz naturel, du charbon, des mines et du bois. Cette rente est de 36% du PIB en 2012 ou bien 9,88 milliards $. Or les autorités congolaises recouvraient en 2012 seulement 14,4% du PIB ou bien 3,95 milliards de $ de recettes dans ces 5 secteurs. En comparaison avec les pays qui ont la même rente en pourcentage du PIB, la RDC devrait avoir des recettes autour de 32,25% du PIB, ce qui est 8,88 milliards $. Donc l’Etat congolais rate autour de 5 milliards $ de recettes dans le secteur des ressources naturelles pour l’année 2012 seulement.

Une autre étude du FMI, publiée en octobre 2015 notait que le taux de redevance, disons le loyer que les sociétés doivent payer à l’Etat pour exploiter les concessions, sur le cuivre était de 2 % en RDC, contre 4 % en Indonésie, 6 % en Zambie et jusqu’à 14 % au Chili.

Albert Yuma, patron de la Gécamines, accusait les grandes sociétés minières comme suit : « Depuis la mise en place du code minier qui date de 2002, les différents partenaires de la Gécamines ont exporté pour plus de 48 milliards de dollars et l’Etat a reçu en net – soit le revenu moins les bonus fiscaux qu’il a donnés-moins de 3 milliards de dollars. … Depuis 15 ans, nos partenaires nous ont trompés et, disons-le, volés. Cela doit s’arrêter.» . Ces chiffres de Yuma n’ont été contredits par aucune instance.

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Or le code minier, écrit en 2002 par la Banque Mondiale et très en faveur des sociétés minières, prescrit «l’obligation de rapatrier 40% des recettes des exportations». Ce qui voudrait dire qu’au lieu des 3 milliards de dollars dont parle Albert Yuma, il devrait y avoir 19,2 milliards $ qui auraient dû rester en RDC, sous forme d’investissements ou d’acomptes dans des banques congolaises. Et puisque la production minière n’a commencé sérieusement qu’à partir de 2008, la grande majorité de ces 19 milliards $ aurait dû entrer en RDC ces 10 dernières années.

La faillite du FMI et son credo sur la “croissance inclusive”

Yuma conclut : « On nous a trompés en 2000 en disant que le Congo était incapable de développer seul des ressources minières et qu’il fallait des partenariats».  En effet, déjà en 2015, le professeur Stefaan Marysse avait averti que la théorie de la croissance inclusive prônée par le FMI comme résultat de sa recette ultralibérale était une contre-vérité (1).

Le FMI dit poursuivre “une croissance inclusive”, c’est-à-dire une croissance qui profite à la population, qui augmente son pouvoir d’achat. Comment ? En créant du travail et générant des salaires et donc un pouvoir d’achat. La politique libérale du FMI implique naturellement que pour obtenir une telle croissance, il faut tout faire pour attirer des investissements privés et ouvrir le marché pour les grandes multinationales minières.

Or que constate le professeur Marysse? Il constate que le remède prescrit par le FMI a mené à une croissance cloisonnée au lieu d’une croissance inclusive. En effet, Il estime sur base de ses calculs la perte de capitaux par rapatriements de profits des grandes sociétés dans le secteur des mines entre 2013 et 2019 à 17,1 milliards $. Marysse met à titre de comparaison la perte que l’Etat a par ventes d’actifs miniers en dessous du prix du marché, qui s’élève selon un dossier publié en novembre 2011 par un parlementaire britannique Eric Joyce, à 5 milliards $ (2). Conclusion : « Si les Institutions Financières Internationales (FMI et Banque Mondiale, ndlr) sont sincères dans leur discours sur la croissance inclusive, elles doivent reconnaître que ce n’est pas seulement la fuite des capitaux imputables aux fraudes et prédations étatiques qui sont en cause, mais aussi l’hémorragie légale causée par la logique économique des multinationales. »

Pour ne laisser aucun doute, Marysse formulera lors de la présentation de son texte à la maison du Parlement belge, le 10 juin 2015, la question suivante : “Retour au modèle économique (néo)colonial d’extraversion ou… le prix de la globalisation dans un contexte d’Etat fragile ?

Et lui, le professeur Marysse, qui dans les années 2008-2010 était l’un des plus sévères critiques du fameux contrat chinois, dira 7 années plus tard : «après la publication des données sur les profits rapatriés – Sicomines (contrats chinois) paraissent une meilleure alternative et la stratégie FMI-BM moins crédible».

Des «rapports non équitables»

Marysse conclut : « Pour que le discours sur la croissance inclusive ne soit pas de l’idéologie (lisez ne soit pas des beaux mots, ndlr), les Institutions financières internationales devraient aider la RDC à renforcer les conditions pour que les rapports avec les entreprises étrangères soient moins inéquitables. Cela pourrait se faire, par exemple, en appuyant les efforts du pays pour une révision des clauses d’un certain nombre de contrats et donc aller au-delà de la révision en 2010 ».

On peut toujours rêver, car c’est bien de rêve qu’il s’agit ici. Car la position du FMI et de la Banque mondiale et toute la soi-disant communauté internationale (lisez les gouvernements occidentaux) en la matière est assez claire. Ils se trouvent du côté des grandes multinationales occidentales. Il suffit de lire la saga que Raf Custers raconte dans son livre Chasseurs de matières premières sur la guerre totale à laquelle le gouvernement congolais a été confronté lors de la révision des contrats en 2010, notamment sur le conflit avec la société First Quantum (FQ) (3). Raf Custers est chercheur chez GRESEA (Groupe de recherche pour une stratégie économique alternative). D’abord Custers explique comment le gouvernement congolais, après une année de tentatives de compromis, est arrivé, en août 2009, à annuler le contrat de Kingamyambo Musonoi Tailings (KMT) appartenant à FQ. Il cite 4 raisons évoquées par le gouvernement:

– la firme KMT n’a pas été fondée de façon correcte et devrait donc être dissoute et refondée
– KMT a payé 5 millions de $ pour une concession qui au départ était convenu pour 130 millions $ et qui contient des réserves de minerais qui valent 9 milliards $
– KMT n’a pas réalisé une étude de faisabilité
– Elle n’a débuté ses activités que dix ans après sa création (pages 144 – 147).

Ensuite Raf Custers raconte la guerre totale que First Quantum et ses alliés à la Banque mondiale, dans les gouvernements occidentaux et dans les grands médias financiers ont menée pour faire reculer le gouvernement. Cinq jours après la décision du gouvernement congolais d’annuler le contrat de First Quantum, le directeur de la Banque Mondiale, l’Américain Robert Zoellick, vient en personne à Kinshasa rendre visite au premier ministre congolais. Il exige que le gouvernement revienne sur sa décision. Ensuite, le gouvernement canadien va intervenir au club de Paris pour ralentir le processus d’annulation de la dette. Ce processus est déjà en retard, puisque prévu pour 2006. Mais les Canadiens réussissent, avec l’aide des gouvernements étasunien, belge et autres, à faire reporter cette décision encore pendant une année entière, jusqu’à fin novembre 2010. Arnaud Zacharie, responsable de l’ONG belge CNCD, commentera ce retard comme suit : « Que de temps perdu pour cette annulation prévue à l’origine pour 2006 ! Pendant ces 4 années, le maigre budget public congolais a dû supporter le service d’une dette illégitime et odieuse, contractée en son temps par le régime de Mobutu avec la complicité des chancelleries occidentales, qui n’a servi en rien au développement et au bien-être des Congolais. »

Raf Custers raconte aussi la campagne que First Quantum mène dans les médias pour accuser le gouvernement congolais de corruption. Enfin, en janvier 2012, First Quantum arrêtera sa guerre en échange de 1,25 milliards de $ que lui paiera, la société ENRC du Kazakhstan qui reprend les concessions de FQ.

Conclusion entre le gouvernement congolais et les sociétés qui ont souvent des dizaines de fois plus de moyens de faire pression et de faire publier des rapports, écrits par des bureaux d’étude et des juristes spécialisés dans la matière, les rapports de forces sont extrêmement inégaux.

La résistance des autorités congolaises : une procession d’Echternach

La banque Barclays, une des cinq plus grandes banques britanniques, spécialisée dans le secteur des mines mondial, témoignait de l’arrogance dictatoriale et de la mentalité coloniale du grand capital dans son bulletin d’octobre 2010. Le texte dénonce ce qu’ils appellent « le nationalisme des matières premières ». Certains pays veulent toujours gagner plus avec leurs richesses naturelles, grand scandale ! « Mais le plus grand risque pour le secteur des métaux et des mines vient de la part de la République Démocratique du Congo. » Et le plus grand facteur de risque est bien Kabila : “Le ministère des affaires étrangères des Etats-Unis considère le président Kabila comme on ne peut plus imprévisible, et cela ne promet rien de bon. » (4). L’expert étasunien, Jason Stearns, figure comme mégaphone et titre sur son site de façon triomphale « Un vote de non-confiance contre Kabila » (5). Stearns applaudit le fait que le grand capital punira certainement le méchant gouvernement congolais pour avoir oser penser à tirer profit des richesses congolaises pour le pays même.

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Changer les rapports de forces avec ce monde du grand capital international occidental, n’est donc pas une sinécure. Et il est clair, quoi qu’en pense ou rêve le professeur Marysse, que le gouvernement congolais ne pourra pas compter sur le FMI ou la Banque mondiale pour cela.

Le jugement du Financial Times en ce qui concerne le résultat de la relecture des contrats miniers en 2010 : pour limiter les dégâts entraînés par la bataille avec FQ, le gouvernement congolais capitule dans les négociations sur Tenke Fungurume. Kinshasa navigue donc entre concessions et résistance. Et cela ressemble à la procession d’Echternach où l’on avance trois pas pour reculer ensuite deux. Cela peut sembler trop prudent, mais vu la faiblesse objective de l’Etat congolais, c’est peut-être compréhensible. Ce qui importe, c’est que les concessions ne vont jamais à ce point loin que le Congo abandonne définitivement l’objectif d’avoir une part plus juste pour ses matières premières.

D’abord, la Banque Mondiale et l’EITI confirment qu’entre 2009 et 2014 l’Etat congolais a visiblement augmenté ses capacités de collecter des revenus, lesquels ont globalement plus que triplé. (Voir graphique 1) Et dans le secteur minier, où la production a augmenté d’une façon spectaculaire, ils sont multipliés par 16. (Voir graphique 2) Cela reste encore loin en dessous de ce qui serait possible, mais c’est un début.

Les revenus propres de l’Etat congolais ont triplé entre 2009 et 2014.

Les revenus dans le secteur minier ont augmenté de autour de 100.000 $ à 1,66 milliards $.

Le 5 juillet 2017, le gouverneur de la Banque centrale du Congo (BCC), Deogratias Mutombo, annonce une série de mesures visant les groupes miniers qui refusent de respecter le code minier, lequel est en plus déjà très libéral et avantageux pour les sociétés privées. Il y a notamment le rapatriement de 40% de l’exportation, obligatoire qui est systématiquement évité. Cela implique un manque de dollars dans l’économie congolaise. Toute chose qui encourage l’inflation. Pour M. Mutombo, « Il y a une mauvaise foi de la part de certains miniers. La fraude et l’opacité continuent dans le secteur. C’est pourquoi nous avons décidé, dans les deux semaines à venir, de publier une circulaire qui va durcir le régime des sanctions pour non-respect de la réglementation en matière de rapatriement des recettes d’exportation par les entreprises titulaires de droit minier. Concrètement, nous allons renforcer le contrôle sur les comptes principaux à l’étranger des entreprises minières, de manière à nous rassurer du rapatriement effectif des 40% et de l’utilisation des 60% qui restent à l’étranger ».

Le gouverneur de la BCC annonce des sanctions non seulement pour le non- respect du rapatriement, mais aussi pour le non-respect de la transmission de la situation et des mouvements de comptes principaux à l’étranger à la BCC. La Banque centrale congolaise va aussi déployer des missions de contrôle sur le terrain. Son gouverneur dit aussi que le contrôle devra aller jusqu’en amont, au niveau de la production. Car, pense-t-il, on a l’impression qu’il n’y a pas de transparence et de bonne foi dans la présentation de chiffres de production et d’exportation. Le 16 juillet dernier, une réunion dirigée par président Kabila a élaboré les sanctions précises. Ce qui a suscité une grande colère chez les miniers et dans le monde de la finance.

Troisièmement, il y a la réforme du code minier. Un processus qui traîne déjà depuis des années mais qui est actuellement en train d’aboutir. L’actuel code minier date de 2002 et a été élaboré par la Banque Mondiale. Ce code est jugé trop libéral et trop avantageux pour le secteur minier par tous les spécialistes, sauf ceux des sociétés minières elles-mêmes. Par exemple, le code minier actuel laisse trop de liberté aux grandes sociétés pour déclarer des pertes pour une filiale congolaise tout en renvoyant les profits à d’autres filiales qui se trouvent dans des paradis fiscaux.

Le code actuel permet aussi aux sociétés de minimiser leurs profits en amortissant 60% de leur investissement dès la première année. Il existe aussi la possibilité d’enchevêtrer plusieurs projets miniers distincts, ce qui rend plus facile la fraude. L’intention de changer le code minier date déjà de 2009, quand le Sénat avait évalué ce code d’une façon négative. Or cela tombe sur une résistance farouche de la part des sociétés minières qui crient « au voleur ! ». En mars 2013, un projet de réforme du code minier a été retiré et la réforme postposée. Au cours de cette année 2018, le nouveau code passera sur demande explicite du président Kabila devant le parlement lors d’une session extraordinaire en janvier.

Le gouvernement congolais serait-il prêt à affronter les grandes sociétés minières ? Yuma avertissait déjà fin novembre que la Gécamines va « revoir – j’ai dit revoir, pas renégocier, c’est nous qui allons désormais fixer les termes » – les « conditions des partenariats qui lient l’entreprise congolaise à des sociétés minières privées. »

La lutte contre la corruption et le danger du populisme

L’année 2017 a été marquée par une avalanche de rapports dénonçant la corruption des dirigeants congolais. Une série interminable d’instituts, tous situés en Occident, publient rapport après rapport. Bloomberg, Reuters, Congoresearchgroup, Human Rights Watch, Carter Center etc… Tous dénoncent une corruption qui serait à la base de la pauvreté du Congo. Il y a certainement beaucoup de problèmes en ce qui concerne la corruption au Congo. Mais je vois deux problèmes avec ces rapports et la façon dont ils sont rendus dans les médias.

Primo : Les grandes multinationales, celles qui sont les principaux responsables de la situation catastrophique du Congo (sur le plan historique et à cause de leur rôle dans l’économie mondiale d’aujourd’hui) sont laissées hors du champ. La cible principale, ce sont les dirigeants congolais et l’Etat congolais. Quand on parle de Glencore, par exemple, c’est surtout pour dénoncer le comportement de Dan Gertler “qui est un ami à Kabila”. Or Glencore est un colosse qui a la corruption et le pillage dans son ADN, avec un chiffre d’affaires de 177 milliards $ en 2016. Au niveau mondial, c’est la plus grande société active dans le secteur minier. Mais en fait, la société est spécialisée, pas tellement dans l’exploitation de mines, mais plutôt dans le commerce, la vente et revente des concessions, de minerais etc. Partout dans le monde, le géant Glencore est accusé de corruption et de magouilles. Alors on jette dehors Gertler et on remplace quelques directeurs et le jeu peut continuer. Et l’expert Jason Stearns se transforme encore une fois en mégaphone du gouvernement Trump en reprenant mot pour mot dans une série de 5 tweets des phrases d’un communiqué officiel de l’administration Trump concernant des sanctions contre Gertler, « l’ami de Kabila » (6).

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Secundo : il y a peu de débat de fond. Tout se fait dans une atmosphère de lynchage du « régime de Kabila ». Il y a eu, par exemple une réponse exhaustive de la Gécamines sur le rapport de Global Witness en juillet dernier et du centre Carter en novembre. Il y a là un débat de chiffres mais aussi des remarques plus fondamentales. Ainsi le directeur général par intérim de la Gécamines, Jacques Kamenga Tshimuanga reproche au Centre Carter sa « vision idéologique »: la Gécamines devrait « abandonner son statut de producteur pour se cantonner à celui de gestionnaire de portefeuille de participations minoritaires », recommande le Centre Carter.

Jacques Kamenga Tshimuanga affirme que cette recommandation « mise en œuvre depuis près de 15 ans, a déjà conduit à l’appauvrissement du Congo au profit des partenaires extérieurs ». En fait, au lieu de 15 ans, M. Kamenga devrait parler de 3 décennies. En effet, ce n’est pas seulement le Centre Carter qui défend cette politique. Il s’agit de la vision que le FMI et la Banque mondiale ont imposée depuis les années 1980. Une vision ultra-libérale qui voit les grands groupes multinationaux comme les seuls acteurs compétents pour l’exploitation des minerais pendant que la Gécamines, société d’Etat, devrait se limiter à rendre la vie facile à ces « vrais acteurs ». Or depuis quelques années, la Gécamines essaie de quitter cette voie et de redevenir une société de production en suivant une politique industrielle ambitieuse. Le 23 décembre 2017, Kamenga a annoncé la construction de deux usines de production de cuivre en 2018. La première sera construite à Kolwezi et aura une capacité de production de 80 000 tonnes de cuivre par an. Avec cette nouvelle usine, la capacité de production annuelle de la Gécamines pourra ainsi atteindre plus de 200 000 tonnes dans les années à venir. La seconde usine, dont la capacité de production n’a pas été révélée, sera construite à Kambove.

Or, dans les médias occidentaux, aussi bien les chiffres que ces arguments plus fondamentaux sont balayés avec un mépris basé sur une croyance aveugle au credo libéral du FMI.

Transparency International, l’ONG que nous avons mentionnée au début de cet article a publié un article intéressant sur son site sous le titre « Corruption et inégalité : comment les populistes trompent le peuple».

L’auteur, Finn Heinrich, écrit : « La corruption et l’inégalité sociale sont intimement liées et forment la source du mécontentement populaire. Mais la façon dont les dirigeants populistes traitent ce problème est erronée : ils emploient le message de la corruption et de l’inégalité afin de trouver de l’appui mais ils n’ont aucunement l’intention de résoudre sérieusement le problème. »

On peut dire que tant que les analyses sur la corruption en Afrique sont détachées des questions fondamentales de société et du fonctionnement de l’économie mondiale, elles tendent à aboutir à la même conclusion stérile. L’idée que tout sera résolu quand on aura remplacé les dirigeants actuels par de « bons dirigeants » est une idée populiste. Une idée qui en réalité n’a encore nulle part diminué la corruption, au contraire. Car pour trouver les « bons dirigeants » il faut que le peuple sache agir de concert avec ses dirigeants et sache les juger sur les solutions aux questions fondamentales qu’ils défendent en paroles et en actes. Comment sortir de ce système qui réduit le Congo à un rôle de livreur de matières premières à l’économie mondiale, laquelle est dominée par les grandes multinationales occidentales ? Comment aller vers une économie qui produit des valeurs ajoutées servant avant tout le marché intérieur ? Comment le peuple peut-il conquérir lui-même ses droits démocratiques et sa souveraineté ?

 

Notes

(1) Dans le recueil “Conjonctures congolaises 2014”, “Croissance cloisonnée : note sur l’extraversion économique en RDC”, editions Harmattan, pages 25-39.Stefaan Marysse est prof. dr. em à l’université d’Anvers avec une expertise pour l’Afrique Central.

(2) Le Centre Carter, note que l’estimation du AfricaProgress Panel quiestime la perte à 1,5 milliards $ plus correcte que l’estimation que Joyce a publie : “This seems a more rigorous estimate than the one of U.K. member of Parliament Eric Joyce, who claimed Congo lost US$5.5 billion for the same deals. More than 80 percent of the US$5.5 billion revenue loss Joyce reported related to canceled FQM projects (the Kolwezi tailings and the Sakania titles) that were sold to Gertler, over US$4.5 billion. However the Africa Progress Panel put the loss at US$665 million.” “A State Affair: Privatizing Congo’s Copper sector.” November 201(, page 89.

(3)  Raf Custers, Chasseurs de matières premières, co-édition Investig’Action-Gresea-Couleurs Livres, Bruxelles 2013, 245p.
« Quand le profit est adéquat, le capital devient audacieux. Garantissez-lui 10 %, et on pourra l’employer partout ; à 20 %, il s’anime, à 50 %, il devient carrément téméraire ; à 100 %, il foulera aux pieds toutes les lois humaines ; à 300 %, il n’est pas de crime qu’il n’osera commettre ». Pour se rendre compte de l’actualité de cette phrase que Marx reprend dans le capital, il faut lire le livre de Raf Custers.
Custers raconte la voracité des grandes multinationales dans le Sud aujourd’hui. Le livre lui-même est à commander via ce lien.
Voici deux extraits de ce livre qui contient en outre des enquêtes exclusives sur le pillage des minerais en divers pays d’Afrique et d’Amérique latine : ici et ici

(4) Commodity Daily Briefing 102634710 / Barclays, octobre 2010

(5) Congosiasa, 14 octobre 2010

(6) Twitter de @jasonkstearns du 21 décembre

Source : Investig’Action

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