Situation explosive en Algérie

L’article à lire pour comprendre la situation explosive en Algérie, à quelques semaines de l’élection présidentielle

La candidature pour un cinquième mandat d’Abdelaziz Bouteflika, qui aura 82 ans samedi, provoque une contestation populaire inédite en Algérie. Franceinfo revient sur les enjeux de ce scrutin décisif pour l’avenir du pays.

Il y a vraiment un ras-le-bol généralisé”, martèle Soufiane Djilali, coordinateur du collectif d’opposition Mouwatana. Depuis la mi-février, des milliers d’Algériens ont commencé à défiler dans les rues pour réclamer du changement à la tête de leur pays, en vue de l’élection présidentielle, dont le premier tour doit se tenir le 18 avril.

Le point de départ de cette contestation a été l’annonce, le 10 février, de la candidature d’Abdelaziz Bouteflika, qui aura 82 ans samedi 2 mars, pour un cinquième mandat consécutif. Pour comprendre ce mouvement de protestation et les enjeux de ce scrutin, il faut se pencher sur les rouages du système politique algérien.

Comment se déroule une élection présidentielle en Algérie ?

“Le président de la République est élu au suffrage universel, direct et secret” pour un mandat de cinq ans, au scrutin uninominal majoritaire à deux tours, selon l’article 85 de la Constitution de 1996. Voilà pour la théorie. “Quand on regarde de l’extérieur, il y a un Parlement, des élections… mais en réalité ce n’est pas un Etat de droit”, juge Jean-Charles Jauffret, professeur émérite à l’IEP d’Aix-en-Provence, spécialiste de la guerre d’Algérie. “On sait depuis longtemps que les urnes sont bourrées en Algérie”, complète le politologue Antoine Basbous, directeur de l’Observatoire des pays arabes.

La Constitution prévoit toute une série de conditions pour pouvoir être candidat à la présidentielle, comme le fait de “ne pas avoir acquis une nationalité étrangère” ou d’être “de confession musulmane”. Une révision en 2016 a également rétabli une limite à deux mandats présidentiels, comme avant 2008. Mais cela ne s’applique pas encore à Abdelaziz Bouteflika, car cette règle doit entrer en vigueur après les prochaines élections. “De toute manière, le Conseil constitutionnel fait ce qu’il veut. On est en permanence dans l’abus de pouvoir”, assure le politologue Kader Abderrahim, spécialiste du Maghreb.

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Une “comédie” politique, résume l’opposant Soufiane Djilali. “Les gens ne votent plus, on boycotte les élections. Je pense qu’aux dernières élections législatives de 2017, il n’y avait même pas 12% de participation, malgré les dires du régime qui a annoncé 35%”, dénonce celui qui dirige le parti d’opposition Jil Jadid (“nouvelle génération”).

Du coup, il n’y a qu’un seul candidat ?

Non, plusieurs autres candidats ont déclaré leur intention de concourir face à Abdelaziz Bouteflika. C’est le cas de l’ancien Premier ministre Ali Benflis, du général-major à la retraite Ali Ghediri ou encore de l’islamiste modéré Abderrazak Makri. D’autres partis ou personnalités ont entamé les démarches pour se présenter, comme l’homme d’affaires Rachid Nekkaz, mais ne sont pas sûrs d’obtenir les 60 000 signatures d’électeurs inscrits ou de voir leur candidature validée par le Conseil constitutionnel.

On prévoit toujours un ou deux ‘lièvres’ pour légitimer l’élection triomphale de Bouteflika”, grince ainsi Antoine Basbous. En 2009, par exemple, il y avait six candidats, ce qui n’a pas empêché le président sortant d’obtenir plus de 90% des voix. En réalité, le nom du futur chef de l’Etat serait décidé par un petit cercle au sein du pouvoir algérien, selon les spécialistes interrogés par franceinfo. “Cela se passe entre dix et quinze personnes qui se mettent d’accord”, estime le chercheur Kader Abderrahim. “L’élection est généralement jouée d’avance, et on arrête même le score de Bouteflika au sein du clan”, confirme Antoine Basbous.

“En 2004, par exemple, Bouteflika voulait placer son pourcentage au-dessus de Chirac (qui avait fait 82% en 2002) et il a fait 85%” .Antoine Basbous, directeur de l’Observatoire des pays arabesà franceinfo

Je comprends pas, c’est quoi ce “clan” qui se cache derrière Bouteflika ?

“En Algérie, personne ne sait qui fait quoi et qui décide”, indiquait récemment à franceinfo la politologue Dalia Ghanem-Yazbeck. L’état de santé d’Abdelaziz Bouteflika l’empêche de prendre des décisions et provoque les appétits de son entourage. “Depuis qu’il a été terrassé par un AVC en 2013, il est alité dans sa résidence à Zeralda, dans la banlieue ouest d’Alger”, indique Antoine Basbous. “C’est une véritable momie, une statue… Du coup, il s’exprime souvent par la voix de son frère”, ajoute Jean-Charles Jauffret. “Saïd Bouteflika a une influence considérable”, confirme Kader Abderrahim. Pour autant, le conseiller spécial, âgé de 61 ans, ne semble pas en mesure de succéder à son grand frère. “Il n’a pas la stature, la légitimité. Il a juste envie de pouvoir garder la main et que le clan ne soit pas inquiété par la suite”, estime Antoine Basbous.

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Quel est ce “clan” ou ce “système” ? Ces expressions désignent les cercles de pouvoir qui se sont composés autour du vide laissé par la présidence. “Cela correspond à une partie de l’armée, aux représentants des régions ou encore aux hommes d’affaires qui gagnent des contrats et s’enrichissent grâce au régime”, décrypte Antoine Basbous. Jean-Charles Jauffret évoque lui trois piliers : la famille du président, les partis politiques au pouvoir et l’armée aidée des services de renseignements. France 24 a ainsi recensé la douzaine de personnalités qui gravitent au sommet.

“Le chef d’état-major de l’armée, Ahmed Gaïd Salah, est l’un des hommes les plus puissants du pays.” Jean-Charles Jauffret, professeur à Sciences Po Aix à franceinfo

“Il faut ajouter tous ceux qui ont été corrompus par l’argent de la manne pétrolière”, poursuit Jean-Charles Jauffret. “Depuis une quinzaine d’années, la corruption s’est développée, abonde Kader Abderrahim, la rente pétro-gazière sert à redistribuer de l’argent et c’est une manière d’acheter la paix sociale.” Il cite l’exemple de l’Ansej (l’Agence nationale de soutien à l’emploi des jeunes), un organisme qui prête de l’argent à des jeunes pour des projets de création d’entreprises. “Dans les faits, la plupart des jeunes ne remboursent pas”, observe le politologue.

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