François Ruffin: “La démondialisation est un moyen, mais pas une fin”

par Kévin Boucaud-Victoire

Dans son dernier livre, “Leur folie, nos vies”, François Ruffin revient sur la crise du coronavirus et propose un nouveau projet de société, plus social et plus écologique.

Dans Leur folie, nos vies le journaliste-député insoumis revient sur la pandémie du coronavirus et la crise qu’elle a initié. Dans cet ouvrage qui tire la sonnette d’alarme, l’élu de la Somme recueille de nombreux témoignages d’infirmières, d’ambulanciers, d’auxiliaires de vie, de caissières, mais aussi d’intellectuels comme Dominique Bourg, Pablo Servigne ou encore Cynthia Fleury.

Marianne : Ce livre est né d’une émission sur Facebook que vous avez animée depuis votre cuisine. Elle s’intitulait L’An 01, comme la bande-dessinée de Gébé adaptée en film. Pourquoi avoir choisi cette référence ?

François Ruffin : Le film L’An 01, qui se déroule après Mai 68, a pour slogan : “On arrête tout, on réfléchit, et c’est pas triste.” La crise initiée par le Covid-19 a été un moment d’arrêt, autant l’utiliser pour réfléchir. Quelque part, je pense que cette pause était espérée. Nous ressentons la bien la “folie” – le terme a été utilisé par Emmanuel Macron – de notre monde. Nous sommes comme des hamsters dans une roue qui pédalent sans cesse pour travailler plus, pour produire plus, pour consommer plus, pour travailler plus, pour produire plus, pour consommer plus, etc.

Quelle est la toile de fond de nos consciences ? Je pense que c’est la crise climatique. Actuellement, lorsque que je ramasse un morceau de terre en Picardie, il est sec. Normalement, nous devrions avoir de la pluie et une terre plus grasse. La Sibérie bat des records de température, le permafrost fond, les forêts sont déjà en train de brûler. Nous vivons une des années les plus chaudes. Nous savons tous que nous fonçons droit dans le mur écologique. Tous les modélisateurs, toutes les statistiques, tous les scientifiques nous disent la même chose : “Nous fonçons droit dans le mur.”

Le début de Leur folie, nos vies constitue la suite d’Il est où le bonheur (Les Liens qui Libèrent, 2019), qui était consacré à la question écologique. Les trois premiers mots sont : “On en était où ?” Cela signifie : “On en était où dans l’écriture ?” Nous avons parfaitement conscience de foncer droit dans le mur et pourtant nous allons continuer avec le triptyque “croissance/concurrence/mondialisation”. Nous sommes incapables d’appuyer sur le frein. Là, d’un seul coup, à cause d’un truc qui fait 1/1000ème de millimètre, tout est à l’arrêt. Si ce n’est pas à ce moment-là que nous changeons de direction, cela n’arrivera jamais.

Certes, une grande partie de la population a été contrainte de s’arrêter. Malgré la récession qui vient, le capitalisme ne semble pas en danger et les émissions de gaz à effet de serre n’ont que peu reculé. Ajoutons que les plus fragiles socialement ont été en première ligne. Le confinement a-t-il réellement été ce grand arrêt dont vous parlez ?

Je pense qu’une crise est essentiellement ce que nous en faisons. La crise de 1929 a donné le nazisme en Allemagne, le “New deal” aux États-Unis et le Front populaire en France. Après ce temps d’arrêt, il y a plusieurs solutions. Le risque de repartir comme avant, ou pire, est grand. En 2008, la réponse de nos dirigeants a été : “Vu la chute des économies, ce n’est pas le moment de changer. Il faut d’abord relancer, repartir et rebondir.” Cette fois, j’espère que nous dirons : “Tant qu’à faire, autant changer de direction, à la fois pour le social et pour l’écologie.”

Je crois qu’ils n’arriveront pas à remettre leur système sur pied. Ce sera pire. J’ai toujours eu la conscience qu’il était tout à fait possible que l’Etat supplée un temps le capitalisme. Ce serait une sorte de mini-parenthèse. Mais si nous les laissons diriger, tout repartira comme avant.

La crise de 1929 a donné le Front populaire, le “New deal” et le nazisme, mais celle de 2008 n’a accouché d’aucun “nouveau monde”. Il y a simplement eu l’austérité, c’est-à-dire une accentuation de ce qu’il y avait déjà. Rien ne nous prouve qu’il y aura un “nouveau monde”, meilleur ou pire….

Pire, c’est sûr. Si nous laissons faire, ce sera un pas en avant dans le cauchemar orwellien : des drones dans notre jardin, de la distanciation, des relations qui deviennent plus compliquées. Je pense que la pente du “laisser faire”, c’est une aggravation des inégalités, qui étaient déjà présentes, avec les uns qui arrivent à épargner 44 milliards et les autres qui perdent leur boulot. Est-ce qu’il y a les forces sociales conscientes et suffisantes pour peser et embarquer la société dans une autre direction ?

Une chose semble certaine : le pouvoir du numérique dans nos vies se renforcera. Pendant la crise, beaucoup ont télétravaillé, les enfants ont suivi l’école à la maison et les loisirs sont souvent passés par les écrans, entre Netflix et les “apéros Skype”. Ajoutons à cela la possibilité du traçage sur nos smartphones. Comment percevez-vous cela ?

C’est une question politique. Que voulons-nous demain ? Avant la crise, le commerce de centre-ville était déjà bouffé par les bâtiments en forme de boîtes à chaussures en périphérie. Aujourd’hui, la crise du Covid-19 peut être un accélérateur pour aller vers du “drive” et de l’Amazon. Si c’est cela que nous voulons, il faut le dire. Mais je suis convaincu que sans intervention du politique, c’est-à-dire de la démocratie, donc des choix conscients des citoyens, la pente, elle, est le drive et Amazon.

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Cependant, si nous ne voulons pas cela, nous devons trouver des mesures pour rééquilibrer, par exemple une taxe sur le mètre carré de logistique. Cela permettrait de rendre plus couteux les centres Amazon. La crise peut effectivement être porteuse du pire, dont le tout-numérique. La vraie question que nous devons nous poser est : quel usage souhaitons-nous de la technologie ? Il peut y avoir une part d’usages positifs.

Vous écrivez : “C’est un virus de droite : les scientifiques, et le gouvernement, nous demandent de nous isoler, de couper les liens, même avec nos proches, même avec nos parents. Les enfants ne sortent plus, se plongent encore plus dans les écrans, qui relèvent quasiment de la prescription médicale. (…) Mais c’est un virus de gauche : d’un coup l’économie n’est plus la suprême finalité, passe avant la santé. Le PIB, le taux de croissance, les petits calculs budgétaires sont mis entre parenthèses.” N’est-ce pas idéologiser à outrance cette crise ?

Je laisse les deux voies ouvertes. Ce que j’explique, c’est que ce sont les femmes et les hommes qui font l’histoire. Cette dernière n’est pas une fatalité. Il peut sortir de ce temps de crise sanitaire, qui va amener une crise économique et une crise sociale, le pire ou le meilleur, comme je le disais pour la crise de 29. Tout comme la Seconde Guerre mondiale a été le pire, c’est d’elle qu’est sortie la Sécurité sociale.

Nous pourrions discuter de l’idéologisation du virus. Mais là, je ne pense pas que c’est de cela qu’il s’agit. C’est un appel à l’action et à la responsabilité. Mais je suis convaincu que la pente est celle du pire. Cela dit ce n’est pas nouveau. L’effort de mon camp est toujours contre la pente et contre des forces organisées, gigantesques et puissantes.

Vous soulignez que le gouvernement a finalement choisi le productivisme et le travail, en demandant aux Français de refaire tourner la machine, alors qu’à côté de cela nous étions privés de nos petits plaisirs. Vous soulignez par exemple que vos enfants ne pouvaient pas voir leurs amis et que les parcs sont longtemps restés fermés. Il semble pourtant que durant cette crise, les gouvernements, dont le nôtre, ont préféré la santé et la sécurité à l’économie et la liberté….

Lors des premiers jours de confinement, j’ai été surpris de voir que les chantiers de bâtiments continuaient de tourner. Il en était de même chez Valeo ou dans certaines usines. Dans le même temps, on interdit aux gens d’aller jardiner, d’aller se promener – alors que s’ils vont dans les bois cueillir des champignons, je ne vois pas où est le problème. Il y avait un côté pénitence dans ce truc-là, c’est-à-dire qu’il faut souffrir. Toute source de plaisir doit être interdite. Pourtant, je ne comprends pas l’utilité interdire des plaisirs simples comme la pêche, les randonnées, la cueillette des champignons. Pourquoi ne pas avoir le droit de souffler avec ses enfants dans un coin d’herbe quand on n’a pas de jardin chez soi ? Mais il avait plus tragique : l’impossibilité d’assister aux enterrements. C’est inhumain, même pour des raisons sanitaires, je ne le comprends pas. Il était aussi tragique que des personnes meurent sans pouvoir être accompagnées dans leurs derniers instants sur terre par leurs enfants. Ce rite qui se vit depuis quasiment les origines de l’humanité, a été brisé.

Mais en effet, pour préserver la vie, de la Chine capitalisto-communiste, jusqu’à la France, en passant par l’Italie ou l’Allemagne, les gouvernements ont pris la décision de cesser assez largement. J’ai été agréablement surpris. Il est heureux que la vie humaine se soit mise à compter. Je ne l’aurais pas parié. Cela signifie aussi que le poids des opinions publiques a permis cela. Cela dépasse la question des morts. Cela aurait été scandaleux qu’une personne soit malade et ne puisse pas accéder aux urgences pour être soignée. Imaginez que des milliers des personnes cherchent à aller aux urgences et qu’elles ne puissent pas être accueillies. Il est donc heureux que nous ayons fait en partie cesser les activités. Il serait bien que nous tirions les mêmes conséquences pour une autre crise qui nous tue à feu doux, la crise climatique.

Votre livre est structuré autour de quatre grands chapitres qui expriment quatre grands domaines à réformer : l’économie, la santé, la démocratie et protectionnisme. Pouvez-vous revenir dessus ?

Le livre suit une direction générale : cette crise est pour moi révélatrice d’une crise de direction. Nous n’avons plus de dirigeants qui dirigent ou nous disent quels sont les buts poursuivis. Sur le terrain écologique, je suis favorable à un effort de guerre climatique.

Cela signifie-t-il une planification écologique ?

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Je propose surtout qu’il y ait une direction et que nous définissions les secteurs stratégiques, vers lesquels on canalise tout cela. C’est sans doute le premier chapitre sur l’économie, qui est le plus important. Depuis le XIXe siècle, l’économie dirige les existences humaines tout en s’asseyant sur l’environnement. Il faut une sorte d’inversion des trois sphères de l’économiste René Passet (économique, activités humaines et biosphère). C’est à nous de décider ce que nous souhaitons faire de l’économie et non pas à l’économie de décider de ce qu’elle fait de nous.

Cela s’est conjugué avec le fait que pendant longtemps, “plus” signifiait” mieux”. Plus de richesse a permis de mieux vivre. Plus de pain a permis mieux s’alimenter. Depuis les années 1970, cette logique est rompue. Il n’y a plus de lien entre “plus” et “mieux”, entre la croissance et le bonheur ou le bien-être.

Je ne vois pas comment des gens qui ont été incapables produire des blouses et des masques pendant la crise vont être ceux qui vont nous permettre de réorienter l’agriculture, l’énergie, les transports et l’industrie. Nos dirigeants ont rétréci le champ politique. Nous sommes rentrés purement dans une logique comptable, qui est une logique des moyens budgétaires, mais pas des finalités poursuivies. Il faut retrouver une logique des finalités poursuivies.

La vraie question est donc existentielle ?

Je suis convaincu que nous traversons une crise métaphysique, les gilets jaunes étaient une première alerte. Nous devrons donc surmonter une crise sanitaire, une crise économique, une crise sociale et aussi une crise existentielle. Quels sont les buts que nous nous fixons ensemble ? Tout cela n’a pas de sens, c’est-à-dire qu’il n’y a pas de cap, pas de direction, pas de boussole. Nous voyons bien cela sur plusieurs dossiers. Prenons l’agriculture, nos dirigeants affirment vouloir la souveraineté alimentaire et “en même temps”, ils signent un traité de libre-échange avec le Mexique qui permet l’importation de 20.000 tonnes de viande bovine, à des conditions sanitaires jusqu’ici interdites en Europe. Nous voyons bien que cela n’a pas de sens. C’est pareil lorsqu’ils nous parlent de monter en gamme et de circuits-courts et qu’”en même temps” ils signent le CETA.

Durant cette crise, Arnaud Montebourg a souvent été sollicité par les médias. Lors de son discours du 12 mars, Macron a critiqué la mondialisation. Est-ce que la démondialisation pourrait être l’idée forte du “monde de demain” ?

Le 15 juin 2009, à Genève, Nicolas Sarkozy avait déjà parlé de réguler la mondialisation. Je veux éviter que, pour paraphraser Jean Giraudoux, “la bataille de l’après n’ait pas lieu”. Je crains qu’on ne la perde pas, mais qu’on ne puisse pas la mener, comme en 2008. Je pense que nous sommes actuellement dans une fin de cycle des idées sans doute encore plus prononcée qu’en 2008.

Je pense que la “démondialisation” fait partie de ces idées qui relèvent du bon sens. Au fond, la mondialisation, les Français n’en ont jamais voulu. Ils n’ont jamais voté pour cela. Cela s’est toujours fait malgré eux. D’ailleurs, lorsqu’ils votaient contre, on parlait de “foule irrationnelle”. Il faut néanmoins avoir en tête que la démondialisation est un moyen, mais pas une fin. C’est pareil pour le protectionnisme ou la relocalisation. Cela ne détermine pas quelle société nous désirons. Cela signifie jusque que nous rapprochons les circuits de production. Plusieurs questions restent en suspens. Quels circuits voulons-nous ? De quoi avons-nous besoin ? Est-ce que tout doit suivre une logique de marché ou est-ce qu’il y a des champs qui en sortent ? Le plus important est de savoir ce que nous souhaitons produire ou non, et à quelles conditions environnementales et sociales.

Quelle échelle choisir pour mettre en place ce protectionnisme ? L’Union européenne ? La nation ? Dans ce dernier cas, faut-il rompre avec les traités européens ?

Je suis très sceptique sur le fait que les 27 pays de l’Union européenne se mettent d’accord, alors qu’ils se sont fondés sur la libre-circulation des capitaux et des marchandises, y compris avec les pays tiers. Je n’imagine pas un basculement vers une bonne dose de protectionnisme – qu’il faut différencier de l’autarcie.

Mais il faut se demander : comment se fait l’Histoire ? Comment avance-t-elle ? En 1789, la France n’est pas allée chercher l’Angleterre, la Prusse et l’impératrice pour qu’ils se mettent d’accord et fondent des républiques. A un moment donné, un pays a choisi d’avancer. Cela a produit des effets. De la même manière, avant de faire le Front populaire en France, nous ne sommes pas allés demander à l’Angleterre, à l’Allemagne, à l’Italie de faire la même chose que nous en même temps. Nous le faisons et cela produit des effets ou cela n’en produit pas. Je pense que l’histoire est pour l’instant encore largement nationale.

Si jamais elle peut être européenne, avec les 27, tant mieux. Il y a quand même deux choses qui permettent de penser que cela pourrait marcher. D’abord nous sommes dans une fin de cycle idéologique. Les gens ne veulent plus du triptyque concurrence, croissance, mondialisation. Cela peut continuer, mais malgré eux. Ensuite, nous avons une Europe du sud qui souffre : l’Espagne, le Portugal, l’Italie et la Grèce. Cela signifie que la responsabilité d’un dirigeant français aujourd’hui, c’est d’aller chercher des alliances avec tout ces pays-là, y compris avec des gouvernements de droite. Ce qui importe, ce n’est ni la couleur, ni l’appartenance, mais le sentiment qu’il faut sortir de l’orthodoxie libérale ou budgétaire. Il y a une aspiration des peuples du sud de l’Europe à sortir de cela, parce que c’est une logique mortifère.

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Vous défendez également trois chantiers politiques prioritaires : le développement d’une agriculture paysanne, une réorientation de la construction, ainsi qu’une nouvelle attention aux métiers du soin…

Les chantiers qui doivent être prioritaires pour demain, ce sont des chantiers que la main invisible ne pourra pas satisfaire.

Prenons l’agriculture : demain, si nous souhaitons des circuits courts, une relocalisation, ainsi qu’une sortie de la chimie et un peu de la mécanique, nous aurons des emplois beaucoup moins productifs. Ce n’est pas possible dans une logique de marché. Donc il faut aider l’émergence de cette agriculture. Il doit y avoir un soutien massif, parce qu’elle ne se fera pas toute seule.

Enfin, je me demande : “Demain, qu’est-ce qui fera du progrès dans l’humanité ?” Ce ne sera pas “plus de biens”, mais “plus de liens” ou “mieux de liens”. Il y a un certain nombre de métiers qui, dans une logique de marché, sont dévalorisés et sous-payés. Nous pouvons parler des femmes de ménage, des auxiliaires de vie sociale, assistantes maternelle, animatrices de périscolaire, accompagnants d’enfants en situation de handicap ou des aides-soignantes. J’appelle ces métiers-là, les métiers du “lien”. Aujourd’hui, le progrès n’est plus ressenti lorsque nous avons un deuxième téléphone avec 4G et avoir demain un frigo connecté avec la 5G ne changera rien. Ce sera parce que nous avons une meilleure relation avec nos voisins, nos cousins.

Cette bataille n’est-elle pas plus anthropologique que politique ?

Je pense que la politique doit être la transcription de mouvements à l’intérieur de la société. La bataille intellectuelle est déjà menée depuis des années par des personnes comme Dominique Bourg ou René Passet. Comment arriver à ce que ces idées qui traversent la société trouvent une traduction politique ? Aujourd’hui nous ne pouvons plus nous permettre de dire : “Ça viendra, les choses avancent.” Nous sommes pris dans une course contre la montre.

Pour que ces idées puissent se traduire politiquement, il faut qu’un parti ou un mouvement s’en empare. Existe-t-il aujourd’hui ?

J’en appelle à un Front populaire écologique. Je pense qu’il faut marcher sur deux jambes : une rouge et une verte. Nous ne pouvons pas nous permettre d’être hémiplégique. Donc j’espère une union de la gauche et des écologistes.

Cette union est-elle vraiment possible et opérante ? Les divergences sont nombreuses, notamment sur les questions sociétales, mais aussi sur l’Union européenne…

C’est effectivement très difficile. L’union est toujours un combat. Il faut couper la main invisible du marché. Bien sûr des pans de la société peuvent restés dictés par le marché. C’est une espèce d’impératif. Il faut rompre avec la main invisible du marché. Ensuite, il faut accepter qu’il y ait de la conflictualité. Tout cela sera le résultat d’une énorme confrontation, avec les firmes, le MEDEF, la BCE, la Commission européenne et ainsi de suite. C’est une histoire tumultueuse. Dire que cela va se passer sur un lit de pétales de roses, sans épines, ce n’est pas vrai.

Vous faites référence au Conseil national de la résistance (CNR) et à son programme “Les jours heureux”. Le CNR n’était pas une union de la gauche, mais des bonnes volontés. Outre des communistes et des socialistes, nous y trouvions des gaullistes et même des maurassiens. Est-ce qu’aujourd’hui il ne s’agit pas de tendre la main à tous ceux qui veulent rompre avec la logique néolibérale ?

Le centre de gravité était quand même très à gauche. Mais ce qui m’intéresse dans le CNR, ce n’est pas tant le programme en lui-même, “Les jours heureux”. La gauche a l’habitude d’en pondre régulièrement de très jolis. La surprise, c’est qu’il a été en partie mis en œuvre, parce qu’il y avait un rapport de force à la Libération, un rapport de force dans les urnes, avec ce que nous avions appelé une “chambre écarlate”, avec une domination des partis marxistes, communistes et socialistes, et avec un million de personnes qui sortaient des maquis. Il y avait une CGT et un PCF très puissants. Cela suppose un rapport de force dans la société. Ce qui m’intéresse : il y a l’élection, un homme finira à l’Élysée. Mais pour moi, ce bonhomme et ses ministres ne seront rien sans une énorme force populaire qui pousse. Seuls, ils ne pourront rien face à la puissance des forces en face.

* François Ruffin, Leur folie, nos vies, éditions Les Liens qui Libèrent, 276 pages, 17,50 euros