À Gonesse, la Zad expulsée mais la lutte renforcée

Par Justine Guitton-Boussion
et Alexandre-Reza Kokabi (Reporterre)
24 février 2021

Expulsée mardi 23 février, la Zad du triangle de Gonesse aura permis de populariser son combat pour les terres agricoles. La lutte va se déplacer sur les terrains politiques et juridiques. Et l’alternative écologique et citoyenne du projet Carma est prête à entrer en scène.

L’expulsion s’est déroulée sans heurt ni violence. Mardi 23 février, au petit matin, des policiers et gendarmes ont expulsé la Zad du triangle de Gonesse (Val-d’Oise). Une vingtaine de militants occupaient les lieux, à une quinzaine de kilomètres au nord de Paris, depuis le 7 février. Ils dénonçaient la construction d’une gare au milieu des champs prolongeant la ligne 17 du Grand Paris Express. Et ce, malgré l’abandon du projet de mégacentre commercial EuropaCity en novembre 2019.

Valérie Pécresse, présidente de la région Île-de-France et de l’Établissement public foncier d’Île-de-France, propriétaire du terrain occupé par les militants, avait porté plainte contre le Collectif pour le triangle de Gonesse (CPTG) et son président, Bernard Loup, pour leur soutien à la Zad. Le tribunal de Pontoise a ordonné vendredi 19 février l’expulsion immédiate des activistes et le commandement d’huissier a été remis lundi 22 février.

Arrivée des engins de chantier pour détruire les cabanes de la Zad, mardi 23 février.

Quelques heures plus tard, mardi matin, les camions des policiers et gendarmes sont arrivés. Les zadistes ont d’abord tenté d’empêcher les forces de l’ordre de pénétrer sur le terrain, avant d’abandonner. Vers dix heures du matin, 24 militants ont été emmenés en bus jusqu’au commissariat de Cergy-Pontoise — à 45 kilomètres de la zone à défendre. Des personnalités politiques et des représentants d’associations se sont réunis devant le bâtiment toute la journée pour manifester leur soutien aux gardés à vue. Tous les activistes ont été libérés mardi en fin de journée.

Vague de soutien pour les zadistes

Pendant seize jours, les zadistes ont permis de faire connaître leur lutte à l’échelle nationale. Toute la journée de mardi, après l’expulsion, les réactions de personnalités politiques et d’associations se sont accumulées. Le syndicat agricole la Confédération paysanne a rappelé « son soutien à la mobilisation de celles et ceux qui s’opposent aux politiques publiques qui gaspillent des terres agricoles » [1]. Dans un communiqué commun, des eurodéputés, sénateurs et membres d’Europe Écologie-Les Verts ont demandé « la libération immédiate de toutes les personnes arrêtées ce matin pour avoir défendu le maintien de terres agricoles et l’implantation d’un projet écologique et citoyen ».

« Le triangle de Gonesse est un sujet local, régional et national extrêmement symbolique de la manière dont l’ensemble des forces politiques peuvent promouvoir des discours verts et, dans les faits, continuer des pratiques destructrices des terres agricoles, a déploré Julien Bayou, secrétaire national du parti Europe Écologie-Les Verts. La ligne 17 envisage de relier Le Bourget à Roissy, où un terminal 4 était envisagé. C’était déjà idiot avant mais cela devint absurde maintenant que le terminal a été abandonné, que le trafic aérien s’est effondré et ne reprendra pas demain de la même façon qu’hier. »

En deux semaines d’existence, la Zad a permis au combat des militants du triangle de Gonesse d’avoir une audience nationale.

« Valérie Pécresse a saisi les tribunaux au lieu d’assumer le débat démocratique nécessaire sur [l’avenir du] triangle de Gonesse, a tweeté la députée Clémentine Autain, venue avec d’autres élus de la France insoumise soutenir les zadistes à Cergy. C’est une question politique qui n’a pas à se traiter au commissariat. Je demande un débat public. »

La députée des Deux-Sèvres Delphine Batho, ancienne ministre de l’Écologie, a elle aussi affiché son « soutien total de ce combat contre cette aberration ».

Ce qui se passe sur les terres de Gonesse a une très forte résonance avec les débats qui entourent le projet de loi Climat et résilience, sur lequel le Haut Conseil pour le climat a rendu un avis ce matin qui pointe l’ensemble des faiblesses de ce texte. Il y aura à l’Assemblée nationale des amendements des parlementaires écologistes pour sanctuariser ces terres de Gonesse, et pour l’abandon du projet du Grand Paris Express tel qu’il est pensé aujourd’hui, qui ne répond pas aux attentes des Franciliens en termes de transport en commun.

Des associations comme Agir pour l’environnement, Youth for Climate France ou France Nature Environnement Paris ont également manifesté leur soutien sur les réseaux sociaux.

« Il est inconcevable d’abandonner la lutte »

Galvanisés, les opposants à l’artificialisation du triangle de Gonesse ne désarment pas. Les zadistes et leurs soutiens se retrouveront ce vendredi 26 février devant la préfecture de Cergy, à 12 h 30, et samedi 27 février à 11 h, place de la Bataille de Stalingrad à Paris. Les participants sont invités à apporter une poignée de terre. « Cette gare en plein champ, loin des habitants, est le cheval de Troie qui rendrait irréversible l’urbanisation de ces terres limoneuses : il est inconcevable d’abandonner la lutte, prévient Siamak Shoara, membre du CPTG. En seize jours de zone à défendre, on a vu l’accélération du débat dans la sphère publique et la convergence avec les collectifs d’habitants locaux. Nous continuerons jusqu’à ce que le gouvernement nous réponde par autre chose que la force. »

Les activistes vont également poursuivre le combat sur le terrain juridique. « Dans les prochains jours, on va lancer une procédure en référé pour bloquer les travaux de la gare », explique à Reporterre Stéphane Tonnelat, membre du groupe juridique du CPTG. Le vendredi 15 novembre 2019, le tribunal administratif de Montreuil (Seine-Saint-Denis) avait déjà suspendu pour un an les travaux sur toute la portion nord du futur métro 17. « Deux irrégularités » entachaient l’autorisation environnementale délivrée par les préfets de la Seine-Saint-Denis, de Seine-et-Marne et du Val-d’Oise. La suspension a été levée en décembre 2020 par la cour d’appel de Versailles. « Cela a permis à la Société du Grand Paris de commencer les travaux préparatoires au chantier », regrette Siamak Shoara. Un chemin a été tracé au milieu des champs et des foreuses sont arrivées sur place.

Bernard Loup, président du Collectif pour le triangle de Gonesse.

« Pourtant, la Société du Grand Paris n’a rien changé à ses études d’impact, constate Stéphane Tonnelat. On espère que notre référé suspension lui donnera du fil à retordre et nous donnera le temps de réfléchir à tête reposée sur l’avenir du triangle. » S’il admet que l’abandon de la gare devrait coûter en indemnités, le militant estime cependant que « ce coût serait nettement moins élevé que celui de cette gare inutile, déficitaire et surtout moins élevé que d’amputer l’avenir des générations futures ».

Plutôt que d’enfouir ces terres limoneuses sous le béton, les activistes ont construit un projet alternatif visant à développer une agriculture vivrière : le projet Carma (Coopération pour une ambition rurale, métropolitaine et agricole). Carma vise à sanctuariser les terres du triangle de Gonesse pour relocaliser la production alimentaire. Il propose également l’investissement dans la formation aux métiers de la transition écologique pour les communes alentour, particulièrement affectées par la précarité. « Nous sommes prêts à démarrer dès demain matin », assure Robert Spizzichino, l’un des pilotes de Carma, qui va remettre un projet territorial de coopération économique et écologique (PTCE) « d’ici début mai » à la secrétaire d’État auprès de la ministre de la Transition écologique, Bérangère Abba.

Un « complexe d’amorçage » se dessine déjà avec une ferme pilote « pour lancer le processus de développement agroécologique dans le secteur », une ferme horticole, une unité de recyclage des déchets sur l’emplacement de la Zad, et un espace consacré aux plantes médicinales. « Nous avons une grande ambition pour l’avenir de ces terres, s’enthousiasme Robert Spizzichino. Maintenant, le gouvernement peut soit s’engager résolument à nos côtés, soit s’entêter à tout ficher en l’air. »

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