Tandis que Belém accueille la COP30, ses habitants ressentent déjà les répercussions de la crise climatique. Entre chaleurs extrêmes et pluies dévastatrices, les quartiers populaires sont les plus durement frappés.
Par Raphaël Bernard
10 novembre 2025
À Belém, le futur est déjà là. Alors que le monde commence à peine à admettre son incapacité à tenir la promesse d’un réchauffement contenu à moins de 1,5 °C par rapport à l’ère pré-industrielle, la métropole amazonienne a observé ses maximales de températures bondir de 1,9 °C lors des cinquante dernières années. Avec 222 jours de chaleur extrême par an prévus d’ici 2050, elle est en route pour devenir la deuxième ville la plus chaude sur Terre, selon une étude conjointe de l’ONG The Carbon Plan et du Washington Post.
Chaleurs invivables, mais aussi pluies intenses et inondations… C’est ici, dans une ville frappée de plein fouet par les conséquences du chaos climatique, que se réunissent des représentants des États du monde entier pour la COP30, qui débute le 10 novembre.
La capitale du Pará, située à la rencontre de l’océan et de la forêt vierge, a beau bénéficier d’une position unique, elle n’échappe pas à la réalité des métropoles mondiales : c’est dans ses quartiers les plus pauvres que la crise climatique frappe le plus fort. Et rien n’indique que la tenue de la COP, censée apporter des solutions au bouleversement climatique, changera la donne.
Quartiers oubliés
« Ici, la première information que nous avons reçue, c’était le “polygone de la COP”. Une carte dessinée par la mairie et par l’État du Pará pour dire où les investissements en infrastructures seraient situés. Tous les quartiers inclus dans ce polygone sont des quartiers privilégiés, qui disposent déjà d’aménagements », lance, amer, Andrew Leal, juché sur un toit de son quartier de Terra Firme, un des quartiers les plus vulnérables de la ville. Avec sa compagne Waleska Queiroz, il a fondé l’Observatorio das Baixadas, une ONG qui rend compte des effets du dérèglement climatique sur les quartiers périphériques de Belém.
À l’horizon, les herbes folles disputent l’espace aux rues terreuses jonchées de déchets, parmi lesquels les chiens et les chats errants déambulent à la recherche d’un peu de nourriture. En ce début de soirée, la chaleur a beau être étouffante, il n’est pas difficile d’imaginer ce que devient le quartier lors des épisodes de pluies violentes, qui deviennent de plus en plus fréquents, année après année : une étude de l’Université fédérale du Pará note que plus de 40 % des épisodes de pluie intenses de la région de Belém enregistrés entre 1985 et 2020 ont eu lieu à partir de 2011. Un chiffre affolant pour les habitants de Terra Firme.
Car malgré son nom — « terre ferme » en français — 72 % du quartier sont des terres inondables, aménagées entre 2 et 6 mètres au-dessus du niveau de l’eau. « Ici, quand il pleut, les rues deviennent des fleuves, témoigne Beatriz, 27 ans, volontaire de l’Observatorio. Il y a des jours où je ne peux même pas sortir de chez moi pour aller à l’université. Sauf qu’un certificat d’inondations, ça n’existe pas… Donc la fac me le compte comme une absence, ce qui veut dire que la situation nous pénalise aussi dans notre accès à l’éducation. Sans parler des maladies qui viennent parfois avec ces inondations, comme la leptospirose ou les maladies transmises par les escargots », énumère la jeune fille aux cheveux noirs de jais.
Des maisons qui menacent de s’effondrer
Face à cette situation, les pouvoirs publics apportent bien peu de réponses. Au volant de sa voiture, Andrew conduit jusqu’au passage Vitoria Regia, qui l’a vu naître. Dans cette rue longue et étroite, l’asphalte est venue remplacer la terre battue. Les inondations, elles, continuent. « Les travaux de drainage ont augmenté la hauteur de la route d’environ 1 mètre, laissant les maisons très en dessous du niveau de la rue », dit-il.
Résultat : auparavant les pluies inondaient la rue, l’eau s’infiltre désormais directement dans les habitations, aggravant le problème au lieu de le résoudre. À tel point que de nombreux habitants, comme les parents d’Andrew, ont dû quitter leur maison qui menaçait de s’effondrer. « Il n’y a pas eu de concertation publique avant d’exécuter le projet. Les habitants n’ont même pas pu demander s’ils avaient droit aux mécanismes d’aide publique au logement. Mes parents n’ont reçu aucune sorte de compensation financière », fulmine-t-il.
Pour le militant, diplômé en architecture et en urbanisme, le scandale ne s’arrête pas là. « À Terra Firme, la plupart des travaux de drainage et de canalisation entraînent l’arrachage d’arbres. Tout le quartier est en train de devenir un gigantesque îlot de chaleur ! », s’insurge Andrew. Un aspect pourtant crucial dans une ville qui, en dépit de sa localisation géographique, fait partie des capitales les moins arborisées du Brésil.
Professeur à l’institut de géosciences de l’Université fédérale du Pará (UFPA), Bergson Cavalcanti de Moraes détaille : « Une partie des radiations solaires est transformée en chaleur latente — nécessaire à l’évaporation de l’humidité présente dans les cours d’eau ou les plantes. Le reste se répercute en chaleur sensible, c’est-à-dire celle que nous ressentons. » Résultat : en l’absence d’eau et de végétation, la sensation de chaleur est décuplée, poursuit l’auteur d’une étude établissant un lien entre l’anthropisation et les bouleversements climatiques à l’œuvre à Belém et sa banlieue.
Pour le scientifique, le phénomène s’attribue également à l’urbanisation de la ville, qui, comme de nombreuses métropoles brésiliennes, a connu un processus de développement sauvage et désordonné. Cela est particulièrement visible à Terra Firme, quartier en grande partie constitué d’habitations spontanées de briques et de bois, dont la population a été multipliée par 15 en cinquante ans. Jusqu’à devenir le quatrième quartier le plus chaud de Belém, selon le relevé du site InfoAmazonia. « Quand je suis arrivé dans le quartier il y a quarante ans, le climat était bien différent. Les arbres aidaient à nous ventiler », confirme un riverain, avant de repartir en mobylette.
Les négociations de la COP, en pleine fournaise
Là encore, la réponse des pouvoirs publics semble défaillante. « Cela se voit y compris dans les constructions entreprises à l’occasion de la COP », déroule Bergson Cavalcanti de Moraes. « Si l’on prend l’exemple du Parque da Cidade [“parc de la ville” en français, abritant les structures où se tiendront les négociations de la COP, érigé spécialement pour l’événement], personne ne peut y rester une journée entière. J’ai eu l’occasion d’y aller moi-même, avec ma famille, et la température grimpe jusqu’aux 40 °C. Précisément parce qu’il n’y a pas un arbre pour capter cette chaleur. »
Ces derniers mois, l’installation d’arbres métalliques recouverts de plantes, commodément renommés « jardins suspendus » par les organisateurs de la COP, ont suscité des commentaires allant des moqueries à l’indignation, dans une région abritant pourtant autour de 16 000 espèces d’arbres différentes. Une série de mauvais choix qui, pour Andrew Leal, témoignent d’un problème politique plus profond : « Pour eux, moins il y a de nature, plus c’est développé. »
Sollicités par Reporterre à plusieurs reprises, ni la mairie de Belém, ni l’État du Pará n’ont répondu à nos questions.
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